Read Ebook: Histoire de la Révolution française Tome 09 by Thiers Adolphe
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L'archiduc Charles sentait que, pour garder la chauss?e de la Carniole et couvrir Trieste, il allait perdre la chauss?e de la Carinthie, qui ?tait la plus directe et la plus courte, et celle que Bonaparte voulait suivre pour marcher sur Vienne. La chauss?e de la Carniole communique avec celle de la Carinthie et le col de Tarwis par une route transversale qui suit la vall?e de l'Izonzo. L'archiduc Charles dirige la division Bayalitsch par cette communication sur le col de Tarwis, pour pr?venir Mass?na, s'il est possible. Il se retire ensuite avec le reste de ses forces sur le Frioul, afin de disputer le passage du Bas-Izonzo.
Bonaparte le suit et s'empare de Palma-Nova, place v?nitienne que l'archiduc avait occup?e, et qui renfermait des magasins immenses. Il marche ensuite sur Gradisca, ville situ?e en avant de l'Izonzo. Il y arrive le 29 vent?se . La division Bernadotte s'avance vers Gradisca, qui ?tait faiblement retranch?e, mais gard?e par trois mille hommes. Pendant ce temps, Bonaparte dirige la division Serrurier un peu au-dessous de Gradisca, pour y passer l'Izonzo et couper la retraite ? la garnison. Bernadotte, sans attendre le r?sultat de cette manoeuvre, somme la place de se rendre. Le commandant s'y refuse. Les soldats du Rhin demandent l'assaut, pour entrer dans la place avant les soldats d'Italie. Ils fondent sur les retranchemens, mais une gr?le de balles et de mitraille en abat plus de cinq cents. Heureusement la manoeuvre de Serrurier fait cesser le combat. Les trois mille hommes de Gradisca mettent bas les armes, et livrent des drapeaux et du canon.
Pendant ce temps, Mass?na ?tait enfin arriv? au col de Tarwis, et, apr?s un combat assez vif, s'?tait empar? de ce passage des Alpes. La division Bayalitsch, achemin?e ? travers les sources de l'Izonzo pour pr?venir Mass?na ? Tarwis, allait donc trouver l'issue ferm?e. L'archiduc Charles, pr?voyant ce r?sultat, laisse le reste de son arm?e sur la route du Frioul et de la Carniole, avec ordre de venir le rejoindre derri?re les Alpes ? Klagenfurth; il vole ensuite de sa personne ? Villach, o? arrivaient de nombreux d?tachements du Rhin, pour attaquer Tarwis, en chasser Mass?na, et rouvrir la route ? la division Bayalitsch. Bonaparte de son c?t? laisse la division Bernadotte ? la poursuite des corps qui se retiraient dans la Carniole, et avec les divisions Guyeux et Serrurier, se met ? harceler par derri?re la division Bayalitsch ? travers la vall?e d'Izonzo.
Le prince Charles, apr?s avoir ralli? derri?re les Alpes les d?bris de Lusignan et d'Orkscay, qui avaient perdu le col de Tarwis, les renforce de six mille grenadiers, les plus beaux et les plus braves soldats de l'empereur, et r?attaque le col de Tarwis, o? Mass?na avait ? peine laiss? un d?tachement. Il parvient ? le recouvrer, et s'y ?tablit avec les corps de Lusignan, d'Orkscay et les six mille grenadiers. Mass?na r?unit toute sa division pour l'emporter de nouveau. Les deux g?n?raux sentaient tous deux l'importance de ce point. Tarwis enlev?, l'arm?e fran?aise ?tait ma?tresse des Alpes, et prenait la division Bayalitsch tout enti?re. Mass?na fond t?te baiss?e avec sa brave infanterie, et, suivant son usage, paie de sa personne. Le prince Charles ne se prodigue pas moins que le g?n?ral r?publicain, et s'expose plusieurs fois ? ?tre pris par les tirailleurs fran?ais. Le col de Tarwis est le plus ?lev? des Alpes Noriques, il domine l'Allemagne. On se battait au-dessus des nuages, au milieu de la neige et sur des plaines de glace. Des lignes enti?res de cavalerie ?taient renvers?es et bris?es sur cet affreux champ de bataille. Enfin, apr?s avoir fait donner jusqu'? son dernier bataillon, l'archiduc Charles abandonne Tarwis ? son opini?tre adversaire, et se voit oblig? de sacrifier la division Bayalitsch. Mass?na, rest? ma?tre de Tarwis, se rabat sur la division Bayalitsch qui arrivait, et l'attaque en t?te, tandis qu'elle est press?e en queue par les divisions Guyeux et Serrurier r?unies sous les ordres de Bonaparte. Cette division n'a d'autre ressource que de se rendre prisonni?re. Une foule de soldats, natifs de la Carniole et de la Croatie, se sauvent ? travers les montagnes en jetant bas leurs armes; mais il en reste cinq mille au pouvoir des Fran?ais, avec tous les bagages, avec les administrations et les parcs de l'arm?e autrichienne, qui avaient suivi cette route. Ainsi Bonaparte ?tait arriv? en quinze jours au sommet des Alpes, et sur le point o? il commandait il avait enti?rement r?alis? son but.
Dans le Tyrol, Joubert justifiait sa confiance en livrant des combats de g?ans. Les deux g?n?raux Laudon et Kerpen occupaient les deux rives de l'Adige. Joubert les avait attaqu?s et battus ? Saint-Michel, leur avait tu? deux mille hommes et pris trois mille. Les poursuivant sans rel?che sur Neumark et Tramin, et leur enlevant encore deux mille hommes, il avait rejet? Laudon ? la gauche de l'Adige, dans la vall?e de la Meran, et Kerpen ? droite, au pied du Brenner. Kerpen, renforc? ? Clausen de l'une des deux divisions venant du Rhin, s'?tait fait battre encore. Il s'?tait renforc? de nouveau, ? Mittenwald, de la seconde division du Rhin, avait ?t? battu une derni?re fois, et s'?tait retir? enfin au-del? du Brenner. Joubert, apr?s avoir ainsi d?blay? le Tyrol, avait fait un ? droite, et il marchait ? travers le Putersthal pour rejoindre son g?n?ral en chef. On ?tait au 12 germinal , et d?j? Bonaparte ?tait ma?tre du sommet des Alpes; il avait pr?s de vingt mille prisonniers; il allait r?unir Joubert et Mass?na ? son corps principal, et marcher avec cinquante mille hommes sur Vienne. Son adversaire rompu faisait effort pour rallier ses d?bris, et les r?unir aux troupes qui arrivaient du Rhin. Tel ?tait le r?sultat de cette marche prompte et audacieuse.
Mais tandis que Bonaparte obtenait ces r?sultats si rapides, tout ce qu'il avait pr?vu et appr?hend? sur ses derri?res se r?alisait. Les provinces v?nitiennes, travaill?es par l'esprit r?volutionnaire, s'?taient soulev?es. Elles avaient ainsi fourni au gouvernement v?nitien un pr?texte pour d?ployer des forces consid?rables, et pour se mettre en mesure d'accabler l'arm?e fran?aise, en cas de revers. Les provinces de la rive droite du Mincio ?taient les plus atteints de l'esprit r?volutionnaire, par l'effet du voisinage de la Lombardie. Dans les villes de Bergame, Brescia, Salo, Cr?me, se trouvaient une multitude de grandes familles, auxquelles le joug de la noblesse du Livre d'Or ?tait insupportable, et qui, appuy?es par une bourgeoisie nombreuse, formaient des partis puissans. En suivant les conseils de Bonaparte, en ouvrant les pages du livre d'or, en apportant quelques modifications ? l'ancienne constitution, le gouvernement de Venise aurait d?sarm? le parti redoutable qui s'?tait form? dans toutes les provinces de la terre-ferme; mais l'aveuglement ordinaire ? toutes les aristocraties avait emp?ch? cette transaction, et rendu une r?volution in?vitable. La part que prirent les Fran?ais dans cette r?volution est facile ? d?terminer, malgr? toutes les absurdit?s invent?es par la haine et r?p?t?es par la sottise. L'arm?e d'Italie ?tait compos?e de r?volutionnaires m?ridionaux, c'est-?-dire de r?volutionnaires ardens. Dans tous leurs rapports avec les sujets v?nitiens, il n'?tait pas possible qu'ils ne communiquassent leur esprit, et qu'ils n'excitassent la r?volte contre la plus odieuse des aristocraties europ?ennes; mais cela ?tait in?vitable, et il n'?tait au pouvoir ni du gouvernement ni des g?n?raux fran?ais de l'emp?cher. Quant aux intentions du directoire et de Bonaparte, elles ?taient claires. Le directoire souhaitait la chute naturelle de tous les gouvernemens italiens, mais il ?tait d?cid? ? n'y prendre aucune part active, et du reste il s'en reposait enti?rement sur Bonaparte de la conduite des op?rations politiques et militaires en Italie. Quant ? Bonaparte lui-m?me, il avait trop besoin d'union, de repos et d'amis sur ses derri?res pour vouloir r?volutionner Venise. Une transaction entre les deux partis lui convenait bien davantage. Cette transaction et notre alliance ?tant refus?es, il se proposait d'exiger ? son retour ce qu'il n'avait pu obtenir par la voie de la douceur; mais pour le moment il ne voulait rien essayer; ses intentions ? cet ?gard ?taient positivement exprim?es ? son, gouvernement, et il avait donn? au g?n?ral Kilmaine l'ordre le plus formel de ne prendre aucune part aux ?v?nemens politiques, et de maintenir le calme le plus qu'il pourrait.
Les villes de Bergame et de Brescia, les plus agit?es de la terre-ferme, ?taient fort en communication avec Milan. Partout se formaient des comit?s r?volutionnaires secrets pour correspondre avec les patriotes milanais. On leur demandait du secours pour secouer le joug de Venise. Les victoires des Fran?ais ne laissaient plus aucun doute sur l'expulsion d?finitive des Autrichiens. Les patrons de l'aristocratie ?taient donc vaincus; et quoique les Fran?ais affectassent la neutralit?, il ?tait clair qu'ils n'emploieraient pas leurs armes ? faire rentrer sous le joug les peuples qui l'auraient secou?. Tous ceux donc qui s'insurgeaient paraissaient devoir rester libres. Telle ?tait la mani?re de raisonner des Italiens. Les habitans de Bergame, plus rapproch?s de Milan, firent demander secr?tement aux chefs milanais s'ils pouvaient compter sur leur appui, et sur le secours de la l?gion lombarde command?e par Lahoz. Le Podestat de Bergame, Ottolini, celui qui, fid?le agent des inquisiteurs d'?tat, donnait de l'argent et des armes aux paysans et aux montagnards, avait des espions parmi les patriotes milanais; il connut le projet qui se tramait, et obtint le nom des principaux habitans de Bergame, agens de la r?volte. Il se h?ta de d?p?cher un courrier ? Venise, pour porter leurs noms aux inquisiteurs d'?tat, et provoquer leur arrestation. Les habitans de Bergame, avertis du p?ril, firent courir apr?s le porteur de la d?p?che, le firent arr?ter, et publi?rent les noms de ceux d'entre eux qui ?taient compromis. Cet ?v?nement d?cida l'explosion. Le 11 mars, au moment m?me o? Bonaparte marchait sur la Piave, le tumulte commen?a dans Bergame. Le podestat Ottolini fit des menaces qui ne furent pas ?cout?es. Le commandant fran?ais que Bonaparte avait plac? dans le ch?teau avec une garnison, pour veiller aux mouvemens des montagnards du Bergamasque, redoubla de vigilance et renfor?a tous ses postes. De part et d'autre on invoqua son appui; il r?pondit qu'il ne pouvait entrer dans les d?m?l?s des sujets v?nitiens avec leur gouvernement, et il dit que le doublement de ses postes n'?tait qu'une pr?caution pour la s?ret? de la place qui lui ?tait confi?e. En ex?cutant ses ordres, et en restant neutre, il faisait bien assez pour les Bergamasques. Ceux-ci s'assembl?rent le lendemain 12 mars, form?rent une municipalit? provisoire, d?clar?rent la ville de Bergame libre, et chass?rent le podestat Ottolini, qui se retira avec les troupes v?nitiennes. Sur-le-champ, ils envoy?rent une adresse ? Milan, pour obtenir l'appui des Lombards. L'incendie devait se communiquer rapidement ? Brescia, et ? toutes les villes voisines. Les habitans de Bergame, ? peine affranchis, envoy?rent une d?putation ? Brescia. La pr?sence des Bergamasques souleva les Brescians. C'?tait Battaglia, ce V?nitien qui avait soutenu de si sages avis dans les d?lib?rations du s?nat, qui ?tait podestat ? Brescia. Il ne crut pas pouvoir r?sister, et il se retira. La r?volution de cette ville s'op?ra le 15 mars. L'incendie continua de se r?pandre, en longeant le pied des montagnes. Il se communiqua ? Salo, o? la r?volution se fit de m?me par l'arriv?e des Bergamasques et des Brescians, par la retraite des autorit?s v?nitiennes, et en pr?sence des garnisons fran?aises, qui restaient neutres, mais dont l'aspect, quoique silencieux, remplissait les r?volt?s d'esp?rance. Ce soul?vement du parti patriote dans les villes devait naturellement d?terminer le soul?vement du parti contraire, qui ?tait dans les montagnes et les campagnes. Les montagnards et les paysans, arm?s de longue main par Ottolini, re?urent le signal des capucins et des moines qui vinrent pr?cher dans les hameaux: ils se pr?par?rent ? venir saccager les villes insurg?es, et, s'ils le pouvaient, ? assassiner les Fran?ais. D?s cet instant, les g?n?raux fran?ais ne pouvaient plus demeurer inactifs, tout en voulant rester neutres. Ils connaissaient trop bien les intentions des montagnards et des paysans, pour souffrir qu'ils prissent les armes; et sans vouloir donner de l'appui ? aucun parti, ils se voyaient oblig?s d'intervenir, et de comprimer celui qui avait et qui annon?ait contre eux des intentions hostiles. Kilmaine ordonna sur-le-champ au g?n?ral Lahoz, commandant la l?gion lombarde, de marcher vers les montagnes pour s'opposer ? leur armement. Il ne voulait ni ne devait mettre obstacle aux op?rations des troupes v?nitiennes r?guli?res, si elles venaient agir contre les villes insurg?es, mais il ne voulait pas souffrir un soul?vement dont le r?sultat ?tait incalculable, dans le cas d'une d?faite en Autriche. Il envoya sur-le-champ des courriers ? Bonaparte, et fit h?ter la marche de la division Victor, qui revenait des ?tats du pape.
Le gouvernement de Venise, comme il arrive toujours aux gouvernements aveugl?s, qui ne veulent pas pr?venir le danger en accordant ce qui est indispensable, fut ?pouvant? de ces ?v?nemens, comme s'ils avaient ?t? impr?vus. Il fit marcher sur-le-champ les troupes qu'il r?unissait depuis long-temps, et les achemina sur les villes de la rive droite du Mincio. En m?me temps, persuad? que les Fran?ais ?taient l'influence secr?te qu'il fallait conjurer, il s'adressa au ministre de France Lallemant, pour savoir si, dans ce p?ril extr?me, la r?publique de Venise pouvait compter sur l'amiti? du directoire. La r?ponse du ministre Lallemant fut simple, et dict?e par sa position. Il d?clara qu'il n'avait aucune instruction de son gouvernement pour ce cas, ce qui ?tait vrai; mais il ajouta que si le gouvernement v?nitien voulait apporter ? sa constitution les modifications r?clam?es par le besoin du temps, il pensait que la France l'appuierait volontiers. Lallemant ne pouvait pas faire d'autre r?ponse; car si la France avait offert son alliance ? Venise contre les autres puissances, elle ne la lui offrit jamais contre ses propres sujets, et elle ne pouvait la lui offrir contre eux, qu'? condition que le gouvernement adopterait des principes sages et raisonnables. Le grand-conseil de Venise d?lib?ra sur la r?ponse de Lallemant. Il y avait plusieurs si?cles que la proposition d'un changement de constitution n'avait ?t? faite publiquement. Sur deux cents voix, elle n'en obtint que cinq. Une cinquantaine de voix se d?clar?rent pour l'adoption d'un parti ?nergique; mais cent quatre-vingts se prononc?rent pour une r?forme lente, successive, renvoy?e ? des temps plus calmes, c'est-?-dire, pour une d?termination ?vasive. On r?solut d'envoyer sur-le-champ deux d?put?s ? Bonaparte, pour sonder ses intentions, et invoquer son appui. On choisit l'un des sages de terre-ferme, J.-B. Cornaro, et le fameux procurateur Pezaro, qu'on a d?j? vu si souvent en pr?sence du g?n?ral.
Les courriers de Kilmaine et les envoy?s v?nitiens atteignirent Bonaparte au moment o? ses manoeuvres hardies lui avaient assur? la ligne des Alpes et ouvert les ?tats h?r?ditaires. Il ?tait ? Gorice, occup? ? r?gler la capitulation de Trieste. Il apprit avec une v?ritable peine les ?v?nemens qui se passaient sur ses derri?res, et on le croira facilement si on r?fl?chit combien il y avait d'audace et de danger dans sa marche sur Vienne. Du reste, ses d?p?ches au directoire font foi de la peine qu'il ?prouvait; et ceux qui ont dit qu'il n'exprimait pas sa v?ritable pens?e dans ces d?p?ches ont montr? peu de jugement, car il ne fait aucune difficult? d'y avouer ses ruses les moins franches contre les gouvernemens italiens. Cependant que pouvait-il faire au milieu de pareilles circonstances? Il n'?tait pas g?n?reux ? lui de comprimer par la force le parti qui proclamait nos principes, qui caressait, accueillait nos arm?es, et d'assurer le triomphe ? celui qui ?tait pr?t, en cas de revers, ? an?antir nos principes et nos arm?es. Il r?solut de profiter encore de cette circonstance pour obtenir des envoy?s de Venise les concessions et les secours qu'il n'avait pu leur arracher. Il re?ut les deux envoy?s poliment, et leur donna audience le 5 germinal . <> On se s?para avec humeur. Une entrevue nouvelle eut lieu le lendemain. Bonaparte, calm?, renouvela toutes ses propositions; mais Pezaro ne fit rien pour le satisfaire, et promit seulement d'informer le s?nat de toutes ses demandes. Alors Bonaparte, dont l'irritation commen?ait ? ne plus se contenir, prit Pezaro par le bras et lui dit: <
Les ?v?nemens ?taient tellement avanc?s, qu'il ?tait impossible qu'ils s'arr?tassent. L'insurrection de Bergame avait eu lieu le 22 vent?se ; celle de Brescia le 27 ; celle de Salo le 4 germinal . Le 8 germinal , la ville de Cr?me fit sa r?volution, et les troupes fran?aises s'y trouv?rent forc?ment engag?es. Un d?tachement qui pr?c?dait la division Victor, de retour en Lombardie, se pr?senta aux portes de Cr?me. C'?tait dans un moment de fermentation. La vue des troupes fran?aises ne pouvait qu'accro?tre les esp?rances et la hardiesse des patriotes. Le podestat v?nitien, qui ?tait dans l'effroi, refusa d'abord l'entr?e aux Fran?ais; puis il en introduisit quarante, lesquels s'empar?rent des portes de la ville, elles ouvrirent aux troupes fran?aises qui suivaient. Les habitans profit?rent de l'occasion, s'insurg?rent, et renvoy?rent le podestat v?nitien. Les Fran?ais n'avaient pris ce parti que pour s'ouvrir passage; les patriotes en profit?rent pour se soulever. Quand il existe de pareilles dispositions, tout devient cause, et les ?v?nemens les plus involontaires ont des r?sultats qui font supposer la complicit? l? o? il n'en existe point. Telle fut la situation des Fran?ais, qui, sans aucun doute, souhaitaient individuellement la r?volution, mais qui officiellement observaient la neutralit?.
Les montagnards et les paysans, excit?s par les agens de Venise et par les pr?dications des capucins, inondaient les campagnes. Les r?gimens esclavons, d?barqu?s des lagunes sur la terre-ferme, s'avan?aient sur les villes insurg?es. Kilmaine avait donn? ses ordres, et mis en mouvement la l?gion lombarde pour d?sarmer les paysans. D?j? plusieurs escarmouches avaient eu lieu; des villages avaient ?t? incendi?s, des paysans saisis et d?sarm?s. Mais ceux-ci, de leur c?t?, mena?aient de saccager les villes et d'?gorger les Fran?ais, qu'ils d?signaient sous le nom de jacobins. D?j? m?me ils assassinaient d'une mani?re horrible tous ceux qu'ils trouvaient isol?s. Ils firent d'abord la contre-r?volution ? Salo; aussit?t une troupe des habitans de Bergame et de Brescia, appuy?e par un d?tachement des Polonais de la l?gion lombarde, marcha sur Salo, pour en chasser les montagnards. Quelques individus envoy?s pour parlementer furent attir?s dans la ville et ?gorg?s; le d?tachement fut envelopp? et battu, deux cents Polonais furent faits prisonniers, et envoy?s ? Venise. On saisit ? Salo, ? V?rone, dans toutes les villes v?nitiennes, les partisans connus des Fran?ais; on les envoya sous les plombs, et les inquisiteurs d'?tat, encourag?s par ce mis?rable succ?s, se montr?rent dispos?s ? de cruelles vengeances. On pr?tend qu'il fut d?fendu de nettoyer le canal Orfano, qui ?tait destin?, comme on sait, ? l'horrible usage de noyer les prisonniers d'?tat. Cependant le gouvernement de Venise, tandis qu'il se pr?parait ? d?ployer les plus grandes rigueurs, cherchait ? tromper Bonaparte par des actes de condescendance apparente, et il accorda le million par mois qui avait ?t? demand?. L'assassinat des Fran?ais ne continua pas moins partout o? ils furent rencontr?s. La situation devenait extr?mement grave, et Kilmaine envoya de nouveaux courriers ? Bonaparte. Celui-ci, en apprenant les combats livr?s par les montagnards, l'?v?nement de Salo, o? deux cents Polonais avaient ?t? faits prisonniers, l'emprisonnement de tous les partisans de la France, et les assassinats commis sur les Fran?ais, fut saisi de col?re. Sur-le-champ il envoya une lettre foudroyante au s?nat, dans laquelle il r?capitulait tous ses griefs, et demandait le d?sarmement des montagnards, l'?largissement des prisonniers polonais et des sujets v?nitiens jet?s sous les plombs. Il chargea Junot de porter cette lettre, de la lire au s?nat; et ordonna au ministre Lallemant de sortir sur-le-champ de Venise, en d?clarant la guerre, si toutes les satisfactions exig?es n'?taient pas accord?es.
Il ?tait ? Klagenfurth, capitale de la Carinthie, le 11 germinal . Joubert ? sa gauche achevait son mouvement et allait le rejoindre. Bernadotte, qu'il avait d?tach? pour traverser la chauss?e de la Carniole, s'?tait empar? de Trieste, des riches mines d'Idria, des magasins autrichiens, et allait arriver par Laybach et Klagenfurth. Il ?crivit au prince Charles, le m?me jour 11 , une lettre m?morable. < < L'archiduc Charles ne pouvait accueillir cette ouverture, car la d?termination du conseil aulique n'?tait pas encore prise. On embarquait ? Vienne les meubles de la couronne et les papiers pr?cieux sur le Danube, et on envoyait les jeunes archiducs et archiduchesses en Hongrie. La cour se pr?parait, dans un cas extr?me, ? ?vacuer la capitale. L'archiduc r?pondit au g?n?ral Bonaparte qu'il d?sirait la paix autant que lui, mais qu'il n'avait aucun pouvoir pour en traiter, et qu'il fallait s'adresser directement ? Vienne. Bonaparte s'avan?a rapidement ? travers les montagnes de la Carinthie, et, le 12 germinal au matin , poursuivit l'arri?re-garde ennemie sur Saint-Weith et Freisach, et la culbuta. Dans l'apr?s-midi du m?me jour, il rencontra l'archiduc, qui avait pris position en avant des gorges ?troites de Neumark, avec les restes de son arm?e du Frioul, et avec quatre divisions venues du Rhin, celles de Kaim, de Mercantin, du prince d'Orange, et la r?serve des grenadiers. Un combat furieux s'engagea dans ces gorges. Mass?na en eut encore tout l'honneur. Les soldats du Rhin d?fi?rent les vieux soldats de l'arm?e d'Italie. C'?tait ? qui s'avancerait plus vite et plus loin. Apr?s une action acharn?e, dans laquelle l'archiduc perdit trois mille hommes sur le champ de bataille et douze cents prisonniers, tout fut enlev? ? la ba?onnette, et les gorges emport?es. Bonaparte marcha sans rel?che le lendemain, de Neumark sur Unzmark. C'?tait entre ces deux points qu'aboutissait la route transversale, qui unissait la grande chauss?e du Tyrol ? la grande chauss?e de la Carinthie. C'?tait par cette route qu'arrivait Kerpen poursuivi par Joubert. L'archiduc, voulant avoir le temps de rallier Kerpen ? lui, proposa une suspension d'armes pour prendre, disait-il, en consid?ration la lettre du 11 . Bonaparte r?pondit qu'on pouvait n?gocier et se battre, et continua sa marche. Le lendemain 14 germinal , il livra encore un violent combat ? Unzmark, o? il fit quinze cents prisonniers, entra ? Knitelfeld, et ne trouva plus d'obstacle jusqu'? L?oben. L'avant-garde y entra le 18 germinal . Kerpen avait fait un grand d?tour pour rejoindre l'archiduc, et Joubert avait donn? la main ? l'arm?e principale. Le jour m?me o? Bonaparte entrait ? L?oben, le lieutenant-g?n?ral Bellegarde, chef d'?tat-major du prince Charles, et le g?n?ral major Merfeld, arriv?rent au quartier-g?n?ral au nom de l'empereur, que la marche rapide des Fran?ais avait intimid?, et qui voulait une suspension d'armes. Ils la demandaient de dix jours. Bonaparte sentait qu'une suspension d'armes de dix jours donnait ? l'archiduc le temps de recevoir ses derniers renforts du Rhin, de remettre ensemble toutes les parties de son arm?e, et de reprendre haleine. Mais lui-m?me en avait grand besoin, et il gagnait de son c?t? l'avantage de rallier Bernadotte et Joubert; d'ailleurs il croyait au d?sir sinc?re de traiter, et il accorda cinq jours de suspension d'armes, pour donner ? des pl?nipotentiaires le temps d'arriver, et de signer des pr?liminaires. La convention fut sign?e le 18 , et dut se prolonger seulement jusqu'au 23 . Il ?tablit son quartier-g?n?ral ? L?oben, et porta l'avant-garde de Mass?na sur le Simmering, derni?re hauteur des Alpes Noriques, qui est ? vingt-cinq lieues de Vienne, et d'o? l'on peut voir les clochers de cette capitale. Il employa ces cinq jours ? reposer et ? rallier ses colonnes. Il fit une proclamation aux habitans pour les rassurer sur ses intentions, et il joignit les effets aux paroles, car rien ne fut pris sans ?tre pay? par l'arm?e. Bonaparte attendit l'expiration des cinq jours, pr?t ? frapper un nouveau coup pour ajouter ? la terreur de la cour imp?riale, si elle n'?tait pas encore assez ?pouvant?e. Mais tout se disposait ? Vienne pour mettre fin ? cette longue et cruelle lutte, qui durait depuis six ann?es, et qui avait fait r?pandre des torrens de sang. Le parti anglais dans le minist?re ?tait enti?rement discr?dit?; Thugut ?tait pr?t ? tomber en disgr?ce. Les Viennois demandaient la paix ? grands cris: l'archiduc Charles lui-m?me, le h?ros de l'Autriche, la conseillait, et d?clarait que l'Empire ne pouvait plus ?tre sauv? par les armes. L'empereur penchait pour cet avis. On se d?cida enfin, et on fit partir sur-le-champ pour L?oben le comte de Merfeld, et le marquis de Gallo, ambassadeur de Naples ? Vienne. Ce dernier fut choisi par l'influence de l'imp?ratrice, qui ?tait fille de la reine de Naples, et qui se m?lait beaucoup des affaires. Leurs instructions ?taient de signer des pr?liminaires qui serviraient de base pour traiter plus tard de la paix d?finitive. Ils arriv?rent le 24 germinal , ? l'instant o? la tr?ve ?tant achev?e, Bonaparte allait faire attaquer les avant-postes. Ils d?clar?rent qu'ils avaient des pleins pouvoirs pour arr?ter les bases de la paix. On neutralisa un jardin dans les environs de L?oben, et on traita au milieu des bivouacs de l'arm?e fran?aise. Le jeune g?n?ral, devenu tout ? coup n?gociateur, n'avait jamais fait d'apprentissage diplomatique; mais depuis une ann?e il avait eu ? traiter les plus grandes affaires qui se puissent traiter sur la terre; il avait une gloire qui en faisait l'homme le plus imposant de son si?cle, et il avait un langage aussi imposant que sa personne. Il repr?sentait donc glorieusement la r?publique fran?aise. Il n'avait pas mission pour n?gocier; c'est Clarke qui ?tait rev?tu de tous les pouvoirs ? cet ?gard, et Clarke, qu'il avait mand?, n'?tait point encore arriv? au quartier-g?n?ral. Mais il pouvait consid?rer les pr?liminaires de la paix comme un armistice, ce qui ?tait dans les attributions des g?n?raux; d'ailleurs il ?tait certain que Clarke signerait tout ce qu'il aurait fait, et il entra sur-le-champ en pourparler. Le plus grand souci de l'empereur et de ses envoy?s ?tait le r?glement de l'?tiquette. D'apr?s un ancien usage, l'empereur avait sur les rois de France l'honneur de l'initiative; il ?tait toujours nomm? le premier dans le protocole des trait?s, et ses ambassadeurs avaient le pas sur les ambassadeurs fran?ais. C'?tait le seul souverain auquel cet honneur f?t conc?d? par la France. Les deux envoy?s de l'empereur consentaient ? reconna?tre sur-le-champ la r?publique fran?aise, si l'ancienne ?tiquette ?tait conserv?e. < On aborda ensuite les questions essentielles. Le premier et le plus important article ?tait la cession des provinces belgiques ? la France. Il ne pouvait plus entrer dans l'intention de l'Autriche de les refuser. Il fut convenu d'abord que l'empereur abandonnerait ? la France toutes ses provinces belgiques; qu'en outre il consentirait, comme membre de l'empire germanique, ? ce que la France ?tend?t sa limite jusqu'au Rhin. Il s'agissait de trouver des indemnit?s, et l'empereur avait exig? qu'on lui en procur?t de suffisantes, soit en Allemagne, soit en Italie. Il y avait deux moyens de lui en procurer en Allemagne, lui donner la Bavi?re, ou s?culariser divers ?tats eccl?siastiques de l'Empire. La premi?re id?e avait plus d'une fois occup? la diplomatie europ?enne. La seconde ?tait due ? Rewbell, qui avait imagin? ce moyen comme le plus convenable et le plus conforme ? l'esprit de la r?volution. Ce n'?tait plus le temps, en effet, o? des ?v?ques devaient ?tre souverains temporels, et il ?tait ing?nieux de faire payer ? la puissance eccl?siastique les agrandissemens que recevait la r?publique fran?aise. Mais les agrandissemens de l'empereur en Allemagne ne pouvaient que difficilement obtenir l'assentiment de la Prusse. D'ailleurs, si on donnait la Bavi?re, il fallait trouver des indemnit?s pour le prince qui la poss?dait. Enfin les ?tats d'Allemagne ?tant sous l'influence imm?diate de l'empereur, il ne gagnait pas beaucoup ? les acqu?rir, et il aimait beaucoup mieux des agrandissemens en Italie, qui ajoutaient v?ritablement de nouveaux territoires ? sa puissance. Il fallait donc songer ? chercher des indemnit?s en Italie. Si on avait consenti ? rendre sur-le-champ ? l'empereur la Lombardie; si on avait pris l'engagement de conserver dans son ?tat actuel la r?publique de Venise, et de ne pas faire arriver la d?mocratie jusqu'aux fronti?res des Alpes, il aurait consenti sur-le-champ ? la paix, et aurait reconnu la r?publique cispadane, compos?e du duch? de Mod?ne, des deux l?gations et de la Romagne. Mais replacer la Lombardie sous le joug de l'Autriche, la Lombardie qui nous avait montr? tant d'attachement, qui avait fait pour nous tant d'efforts et de sacrifices, et dont les principaux habitans s'?taient si fort compromis, ?tait un acte odieux et une faiblesse; car notre situation nous permettait d'exiger davantage. Il fallait donc assurer l'ind?pendance de la Lombardie, et chercher en Italie des indemnit?s qui d?dommageassent l'Autriche de la double perte de la Belgique et de la Lombardie. Il y avait un arrangement tout simple, qui s'?tait pr?sent? plus d'une fois ? l'esprit des diplomates europ?ens, qui plus d'une fois avait ?t? un sujet d'esp?rance pour l'Autriche et de crainte pour Venise, c'?tait d'indemniser l'Autriche avec les ?tats v?nitiens. Les provinces illyriennes, l'Istrie et toute la Haute-Italie, depuis l'Izonzo jusqu'? l'Oglio, formaient de riches possessions, et pouvaient fournir d'amples d?dommagemens ? l'Autriche. La mani?re dont l'aristocratie v?nitienne s'?tait conduite avec la France, ses refus constans de s'allier avec elle, ses armemens secrets dont le but ?vident ?tait de tomber sur les Fran?ais en cas de revers, le soul?vement r?cent des montagnards et des paysans, l'assassinat des Fran?ais, avaient rempli Bonaparte d'indignation. D'ailleurs, si l'empereur, pour qui Venise s'?tait secr?tement arm?e, acceptait ses d?pouilles, Bonaparte, contre qui elle avait fait ces armemens, ne pouvait avoir aucun scrupule ? les c?der. Du reste, il y avait des d?dommagemens ? offrir ? Venise. On avait la Lombardie, le duch? de Mod?ne, les l?gations de Bologne et de Ferrare, la Romagne, provinces riches et consid?rables, dont une partie formait la r?publique cispadane. On pouvait indemniser Venise avec quelques-unes de ces provinces. Cet arrangement parut le plus convenable, et l?, pour la premi?re fois, fut arr?t? le principe de d?dommager l'Autriche avec les provinces de la terre-ferme de Venise, sauf ? d?dommager celle-ci avec d'autres provinces italiennes. On en r?f?ra ? Vienne, dont on ?tait ? peine ?loign? de vingt-cinq lieues. Ce genre d'indemnit? fut agr??; les pr?liminaires de la paix furent aussit?t fix?s, et r?dig?s en articles, qui durent servir de base ? une n?gociation d?finitive. L'empereur abandonnait ? la France toutes ses possessions des Pays-Bas, et consentait, comme membre de l'Empire, ? ce que la r?publique acqu?t la limite du Rhin. Il renon?ait en outre ? la Lombardie. En d?dommagement de tous ces sacrifices, il recevait les ?tats v?nitiens de la terre-ferme, l'Illyrie, l'Istrie et la Haute-Italie jusqu'? l'Oglio. Venise restait ind?pendante, conservait les ?les Ioniennes, et devait recevoir des d?dommagemens pris sur les provinces qui ?taient ? la disposition de la France. L'empereur reconnaissait les r?publiques qui allaient ?tre fond?es en Italie. L'arm?e fran?aise devait se retirer des ?tats autrichiens, et cantonner sur la fronti?re de ces ?tats, c'est-?-dire, ?vacuer la Carinthie et la Carniole, et se placer sur l'Izonzo et aux d?bouch?s du Tyrol. Tous les arrangemens relatifs aux provinces et au gouvernement de Venise, devaient ?tre faits d'un commun accord avec l'Autriche. Deux congr?s devaient s'ouvrir, l'un ? Berne pour la paix particuli?re avec l'empereur, l'autre dans une ville d'Allemagne pour la paix avec l'Empire. La paix avec l'empereur devait ?tre conclue dans trois mois, sous peine de la nullit? des pr?liminaires. L'Autriche avait de plus une raison puissante de h?ter la conclusion du trait? d?finitif, c'?tait d'entrer au plus t?t en possession des provinces v?nitiennes, afin que les Fran?ais n'eussent pas le temps d'y r?pandre les id?es r?volutionnaires. On se demande pourquoi Bonaparte ne profitait pas de sa position pour rejeter tout-?-fait les Autrichiens hors de l'Italie; pourquoi surtout il les indemnisait aux d?pens d'une puissance neutre, et par un attentat semblable ? celui du partage de la Pologne. D'abord, ?tait-il possible d'affranchir enti?rement l'Italie? Ne fallait-il pas bouleverser encore l'Europe, pour la faire consentir au renversement du pape, du roi de Pi?mont, du grand-duc de Toscane, des Bourbons de Naples, et du prince de Parme? La r?publique fran?aise ?tait-elle capable des efforts qu'une telle entreprise aurait encore exig?s? N'?tait-ce pas beaucoup de jeter dans cette campagne les germes de la libert?, en instituant deux r?publiques, d'o? elle ne manquerait pas de s'?tendre bient?t jusqu'au fond de la p?ninsule? Le partage des ?tats v?nitiens n'avait rien qui ressembl?t ? l'attentat c?l?bre qu'on a si souvent reproch? ? l'Europe. La Pologne fut partag?e par les puissances m?mes qui l'avaient soulev?e, et qui lui avaient promis solennellement leurs secours. Venise, ? qui les Fran?ais avaient sinc?rement offert leur amiti?, l'avait refus?e, et se pr?parait ? les trahir, et ? les surprendre dans un moment de p?ril. Si elle avait ? se plaindre de quelqu'un, c'?tait des Autrichiens, au profit de qui elle voulait trahir les Fran?ais. La Pologne ?tait un ?tat dont les limites ?taient clairement trac?es sur la carte de l'Europe, dont l'ind?pendance ?tait, pour ainsi dire, command?e par la nature, et importait au repos de l'Occident; dont la constitution, quoique vicieuse, ?tait g?n?reuse; dont les citoyens, indignement trahis, avaient d?ploy? un beau courage, et m?rit? l'int?r?t des nations civilis?es. Venise, au contraire, n'avait de territoire naturel que ses lagunes, car sa puissance n'avait jamais r?sid? dans ses possessions de terre-ferme; elle n'?tait pas d?truite parce que certaines de ses provinces ?taient ?chang?es contre d'autres; sa constitution ?tait la plus inique de l'Europe; son gouvernement ?tait abhorr? de ses sujets; sa perfidie et sa l?chet? ne lui donnaient aucun droit ni ? l'int?r?t, ni ? l'existence. Rien donc dans le partage des ?tats v?nitiens ne pouvait ?tre compar? au partage de la Pologne, si ce n'est le proc?d? particulier de l'Autriche. D'ailleurs, pour se dispenser de donner de pareilles indemnit?s aux Autrichiens, il fallait les chasser de l'Italie, et on ne le pouvait qu'en traitant dans Vienne m?me. Mais il aurait fallu pour cela le concours des arm?es du Rhin, et on avait ?crit ? Bonaparte qu'elles ne pourraient entrer en campagne avant un mois. Il ne lui restait, dans cette situation, qu'? r?trograder, pour attendre leur entr?e en campagne, ce qui exposait ? bien des inconv?niens; car il e?t donn? par l? ? l'archiduc le temps de pr?parer une arm?e formidable contre lui, et ? la Hongrie de se lever en masse pour se jeter sur ses flancs. De plus, il fallait r?trograder, et presque avouer la t?m?rit? de sa marche. En acceptant les pr?liminaires, il avait l'honneur d'arracher seul la paix; il recueillait le fruit de sa marche si hardie; il obtenait des conditions qui, dans la situation de l'Europe, ?taient fort brillantes et qui ?taient surtout beaucoup plus avantageuses que celles qui avaient ?t? fix?es ? Clarke, puisqu'elles stipulaient la ligne du Rhin et des Alpes, et une r?publique en Italie. Ainsi, moiti? par des raisons politiques et militaires, moiti? par des consid?rations personnelles, il se d?cida ? signer les pr?liminaires. Clarke n'?tait pas encore arriv? au quartier-g?n?ral. Avec sa hardiesse accoutum?e et l'assurance que lui donnaient sa gloire, son nom, et le voeu g?n?ral pour la paix, Bonaparte passa outre, et signa les pr?liminaires, comme s'il e?t ?t? question d'un simple armistice. La signature fut donn?e ? L?oben le 29 germinal an V . Si dans le moment il e?t connu ce qui se passait sur le Rhin, il ne se serait pas tant h?t? de signer les pr?liminaires de L?oben; mais il ne savait que ce qu'on lui avait mand?, et on lui avait mand? que l'inaction serait longue. Il fit partir sur-le-champ Mass?na pour porter ? Paris le trait? des pr?liminaires. Ce brave g?n?ral ?tait le seul qui n'e?t pas ?t? d?put? pour porter des drapeaux et recevoir ? son tour les honneurs du triomphe. Bonaparte jugea que l'occasion de l'envoyer ?tait belle, et digne des grands services qu'il avait rendus. Il exp?dia des courriers pour les arm?es du Rhin et de Sambre-et-Meuse, qui pass?rent par l'Allemagne, afin d'arriver beaucoup plus vite, et de faire cesser toutes les hostilit?s, si elles ?taient commenc?es. Elles l'?taient, en effet, ? l'instant m?me de la signature des pr?liminaires. Hoche, impatient depuis long-temps d'entrer en action, ne cessait de demander les hostilit?s. Moreau ?tait accouru ? Paris pour solliciter les fonds n?cessaires ? l'achat d'un ?quipage de pont. Enfin l'ordre fut donn?. Hoche, ? la t?te de sa belle arm?e, d?boucha par Neuwied, tandis que Championnet, avec l'aile droite, d?bouchait par Dusseldorf, et marchait sur Uckerath et Altenkirchen. Hoche attaqua les Autrichiens ? Heddersdoff, o? ils avaient ?lev? des retranchemens consid?rables, leur tua beaucoup de monde, et leur fit cinq mille prisonniers. Apr?s cette belle action, il s'avan?a rapidement sur Francfort, battant toujours Kray, et cherchant ? lui couper la retraite. Il allait l'envelopper par une manoeuvre habile et l'enlever peut-?tre, lorsqu'arriva le courrier de Bonaparte, qui annon?ait la signature des pr?liminaires. Cette circonstance arr?ta Hoche au milieu de sa marche victorieuse, et lui causa un vif chagrin, car il se voyait encore une fois arr?t? dans sa carri?re. Si du moins on e?t fait passer les courriers par Paris, il aurait eu le temps d'enlever Kray tout entier, ce qui aurait ajout? un beau fait d'armes ? sa vie, et aurait eu l'influence la plus grande sur la suite des n?gociations. Tandis que Hoche se portait si rapidement sur la Nidda, Desaix, qui avait re?u de Moreau l'autorisation de franchir le Rhin, tentait une des actions les plus hardies dont l'histoire de la guerre fasse mention. Il avait choisi pour passer le Rhin un point fort au-dessous de Strasbourg. Apr?s avoir ?chou? avec ses troupes sur une ?le de gravier, il avait enfin abord? la rive oppos?e; il ?tait rest? l? pendant vingt-quatre heures, expos? ? ?tre jet? dans le Rhin, et oblig? de lutter contre toute l'arm?e autrichienne pour se maintenir dans des taillis, des mar?cages, en attendant que le pont f?t jet? sur le fleuve. Enfin le passage s'?tait op?r?; on avait poursuivi les Autrichiens dans les Montagnes-Noires, et on s'?tait empar? d'une partie de leurs administrations. Ici encore l'arm?e fut arr?t?e au milieu de ses succ?s par le courrier parti de L?oben, et on dut regretter que les faux avis donn?s ? Bonaparte l'eussent engag? ? signer si t?t. Les courriers arriv?rent ensuite ? Paris, o? ils caus?rent une grande joie ? ceux qui souhaitaient la paix, mais non au directoire, qui jugeant notre situation formidable, voyait avec peine qu'on n'en e?t pas tir? un parti plus avantageux. Lar?velli?re et Rewbell d?siraient en philosophes l'affranchissement entier de l'Italie; Barras souhaitait, en fougueux r?volutionnaire, que la r?publique humili?t les puissances; Carnot, qui affectait la mod?ration depuis quelque temps, qui appuyait assez g?n?ralement les voeux de l'opposition, approuvait la paix, et pr?tendait que, pour l'obtenir durable, il ne fallait pas trop humilier l'empereur. Il y eut de vives discussions au directoire sur les pr?liminaires; cependant, pour ne pas trop indisposer l'opinion, et ne point para?tre d?sirer une guerre ?ternelle, il fut d?cid? qu'on approuverait les bases pos?es ? L?oben. Tandis que ces choses se passaient sur le Rhin et en France, des ?v?nemens importans ?clataient en Italie. On a vu que Bonaparte, averti des troubles qui agitaient les ?tats v?nitiens, du soul?vement des montagnards contre les villes, de l'?chec des Brescians devant Salo, de la capture de deux cents Polonais, de l'assassinat d'une grande quantit? de Fran?ais, de l'emprisonnement de tous leurs partisans, avait ?crit de L?oben une lettre foudroyante au s?nat de Venise. Il avait charg? son aide-de-camp Junot de la lire lui-m?me au s?nat, de demander ensuite l'?largissement de tous les prisonniers, la recherche et l'extradition des assassins, et il lui avait prescrit de sortir de suite de Venise, en faisant afficher une d?claration de guerre, si une pleine satisfaction n'?tait accord?e. Junot fut pr?sent? au s?nat le 26 germinal . Il lut la lettre mena?ante de son g?n?ral, et se comporta avec toute la rudesse d'un soldat, et d'un soldat victorieux. On lui r?pondit que les armemens qui avaient ?t? faits n'avaient pour but que de maintenir la subordination dans les ?tats de la r?publique; que, si des assassinats avaient ?t? commis, c'?tait un malheur involontaire qui serait r?par?. Junot ne voulait pas se payer de vaines paroles, et mena?ait de faire afficher la d?claration de guerre si on n'?largissait pas les prisonniers d'?tat et les Polonais, si on ne donnait pas l'ordre de d?sarmer les montagnards et de poursuivre les auteurs de tous les assassinats. Cependant on parvint ? le calmer, et il fut arr?t? avec lui et le ministre fran?ais Lallemant qu'on allait ?crire au g?n?ral Bonaparte, et lui envoyer deux d?put?s pour convenir des satisfactions qu'il avait ? exiger. Les deux d?put?s choisis furent Fran?ois Donat et L?onard Justiniani. Mais, pendant ce temps, l'agitation continuait dans les ?tats v?nitiens. Les villes ?taient toujours en hostilit? avec la population des campagnes et des montagnes. Les agens du parti aristocratique et monacal r?pandaient les bruits les plus faux sur le sort de l'arm?e fran?aise en Autriche. Ils pr?tendaient qu'elle avait ?t? envelopp?e et d?truite, et ils s'appuyaient sur deux faits pour autoriser leurs fausses nouvelles. Bonaparte, en attirant ? lui les deux corps de Joubert et de Bernadotte, qu'il avait fait passer, l'un par le Tyrol, l'autre par la Carniole, avait d?couvert ses ailes. Joubert avait battu et rejet? Kerpen au-del? des Alpes, mais il avait laiss? Laudon dans une partie du Tyrol, d'o? celui-ci avait bient?t reparu, soulevant toute la population fid?le de ces montagnes, et descendant l'Adige pour se porter sur V?rone. Le g?n?ral Servier, laiss? avec douze cents hommes ? la garde du Tyrol, se retirait pied ? pied sur V?rone, pour venir se r?fugier aupr?s des troupes fran?aises laiss?es dans la Haute-Italie. En m?me temps un corps de m?me force, laiss? dans la Carniole, se retirait devant les Croates, insurg?s comme les Tyroliens, et se repliait sur Palma-Nova. C'?taient l? des faits insignifians, et le ministre de France, Lallemant, s'effor?ait de d?montrer au gouvernement de Venise leur peu d'importance, pour lui ?pargner de nouvelles imprudences; mais tous ses raisonnemens ?taient inutiles; et tandis que Bonaparte obligeait les pl?nipotentiaires autrichiens ? venir traiter au milieu de son quartier-g?n?ral, on r?pandait dans les ?tats de Venise qu'il ?tait battu, d?bord?, et qu'il allait p?rir dans sa folle entreprise. Le parti ennemi des Fran?ais et de la r?volution, ? la t?te duquel ?taient la plupart des membres du gouvernement v?nitien, sans que le gouvernement par?t y ?tre lui-m?me, se montrait plus exalt? que jamais. C'est ? V?rone surtout que l'agitation ?tait grande. Cette ville, la plus importante des ?tats v?nitiens, ?tait la premi?re expos?e ? la contagion r?volutionnaire, car elle venait imm?diatement apr?s Salo sur la ligne des villes insurg?es. Les V?nitiens tenaient ? la sauver et ? en chasser les Fran?ais. Tout les y encourageait, tant les dispositions des habitans, que l'affluence des montagnards et l'approche du g?n?ral Laudon. D?j? il s'y trouvait des troupes italiennes et esclavonnes, au service de Venise. On en fit approcher de nouvelles, et bient?t toutes les communications furent intercept?es avec les villes voisines. Le g?n?ral Balland, qui commandait ? V?rone la garnison fran?aise, se vit s?par? des autres commandans plac?s dans les environs. Plus de vingt mille montagnards inondaient la campagne. Les d?tachemens fran?ais ?taient attaqu?s sur les routes, des capucins pr?chaient la populace dans les rues, et on vit para?tre un faux manifeste du podestat de V?rone, qui encourageait au massacre des Fran?ais. Ce manifeste ?tait suppos?, et le nom de Battaglia, dont on l'avait sign?, suffisait pour en prouver la fausset?; mais il n'en devait pas moins contribuer ? ?chauffer les t?tes. Enfin un avis ?man? des chefs du parti dans V?rone, annon?ait au g?n?ral Laudon qu'il pouvait s'avancer, et qu'on allait lui livrer la place. C'?tait dans les journ?es des 26 et 27 germinal que tout ceci se passait. On n'avait aucune nouvelle de L?oben, et le moment paraissait en effet des mieux choisis pour une explosion. Le g?n?ral Balland se tenait sur ses gardes. Il avait donn? ? toutes ses troupes l'ordre de se retirer dans les forts au premier signal. Il r?clama aupr?s des autorit?s v?nitiennes contre les traitemens exerc?s ? l'?gard des Fran?ais, et surtout contre les pr?paratifs qu'il voyait faire. Mais il n'obtint que des paroles ?vasives et point de satisfaction r?elle. Il ?crivit ? Mantoue, ? Milan, pour demander des secours, et il se tint pr?t ? s'enfermer dans les forts. Le 28 germinal , jour de la seconde f?te de P?ques, une agitation extraordinaire se manifesta dans V?rone; des bandes de paysans y entr?rent en criant: Mort aux jacobins! Balland fit retirer ses troupes dans les forts, ne laissa que des d?tachemens aux portes, et signifia qu'au premier acte de violence, il foudroyerait la ville. Mais vers le milieu du jour, des coups de sifflet furent entendus dans les rues; on se pr?cipita sur les Fran?ais, des bandes arm?es assaillirent les d?tachemens laiss?s ? la garde des portes, et massacr?rent ceux qui n'eurent pas le temps de rejoindre les forts. De f?roces assassins couraient sur les Fran?ais d?sarm?s que leurs fonctions retenaient dans V?rone, les poignardaient et les jetaient dans l'Adige. Ils ne respectaient pas m?me les h?pitaux, et se souill?rent du sang d'une partie des malades. Cependant tous ceux qui pouvaient s'?chapper, et qui n'avaient pas le temps de courir vers les forts, se jetaient dans l'h?tel du gouvernement, o? les autorit?s v?nitiennes leur donn?rent asile, pour que le massacre ne par?t pas leur ouvrage. D?j? plus de quatre cents malheureux avaient p?ri, et la garnison fran?aise fr?missait de rage en voyant les Fran?ais ?gorg?s et leurs cadavres flottant au loin sur l'Adige. Le g?n?ral Balland ordonna aussit?t le feu, et couvrit la ville de boulets. Il pouvait la mettre en cendres. Mais si les montagnards qui avaient d?bord? s'en inqui?taient peu, les habitans et les magistrats v?nitiens effray?s voulurent parlementer pour sauver leur ville. Ils envoy?rent un parlementaire au g?n?ral Balland pour s'entendre avec lui et arr?ter le d?sastre. Le g?n?ral Balland consentit ? entendre les pourparlers, afin de sauver les malheureux qui s'?taient r?fugi?s au palais du gouvernement, et sur lesquels on mena?ait de venger tout le mal fait ? la ville. Il y avait l? des femmes, des enfans appartenant aux employ?s des administrations, des malades ?chapp?s aux h?pitaux, et il importait de les tirer du p?ril. Balland demandait qu'on les lui livr?t sur-le-champ, qu'on f?t sortir les montagnards et les r?gimens esclavons, qu'on d?sarm?t la populace, et qu'on lui donn?t des otages pris dans les magistrats v?nitiens pour garans de la soumission de la ville. Les parlementaires demandaient qu'un officier v?nt traiter au palais du gouvernement. Le brave chef de brigade Beaupoil eut le courage d'accepter cette mission. Il traversa les flots d'une populace furieuse, qui voulait le mettre en pi?ces, et parvint enfin aupr?s des autorit?s v?nitiennes. Toute la nuit se passa en vaines discussions avec le prov?diteur et le podestat, sans pouvoir s'entendre. On ne voulait pas d?sarmer, on ne voulait pas donner d'otages, on voulait des garanties contre les vengeances que le g?n?ral Bonaparte ne manquerait pas de tirer de la ville rebelle. Mais pendant ces pourparlers, la convention de ne pas tirer dans l'intervalle des conf?rences n'?tait pas ex?cut?e par les hordes furieuses qui avaient envahi V?rone; on se fusillait avec les forts, et nos troupes faisaient des sorties. Le lendemain matin, 29 germinal , le chef de brigade Beaupoil rentra dans les forts, au milieu des plus grands p?rils, sans avoir rien obtenu. On apprit que les magistrats v?nitiens ne pouvant gouverner cette multitude furieuse, avaient disparu. Les coups de fusil recommenc?rent contre le fort. Alors le g?n?ral Balland fit de nouveau mettre le feu ? ses pi?ces, et tira sur la ville ? toute outrance. Le feu ?clata dans plusieurs quartiers. Quelques-uns des principaux habitans se r?unirent au palais du gouvernement pour prendre la direction de la ville en l'absence des autorit?s. On parlementa de nouveau, on convint de ne plus tirer; mais la convention n'en fut pas mieux ex?cut?e par les insurg?s, qui ne cess?rent de tirer sur les forts. Les f?roces paysans qui couvraient la campagne se jet?rent sur la garnison du fort de la Chiusa, plac? sur l'Adige, et l'?gorg?rent. Ils en firent de m?me ? l'?gard des Fran?ais r?pandus dans les villages autour de V?rone. Pendant que cet ?v?nement se passait ? V?rone, il se commettait ? Venise m?me un acte plus odieux encore, s'il est possible. Un r?glement d?fendait aux vaisseaux arm?s des puissances bellig?rantes d'entrer dans le port du Lido. Un lougre command? par le capitaine Laugier, faisant partie de la flottille fran?aise dans l'Adriatique, chass? par des fr?gates autrichiennes, s'?tait sauv? sous les batteries du Lido, et les avait salu?es de neuf coups de canon. On lui signifia de s'?loigner malgr? le temps et malgr? les vaisseaux ennemis qui le poursuivaient. Il allait ob?ir, lorsque, sans lui donner le temps de prendre le large, les batteries font feu sur le malheureux vaisseau, et le criblent sans piti?. Le capitaine Laugier, se comportant avec un g?n?reux d?vouement, fait descendre son ?quipage ? fond de cale, et monte sur le pont avec un porte-voix pour se faire entendre, et r?p?ter qu'il se retire. Mais il tombe mort sur le pont avec deux hommes de son ?quipage. Dans le m?me moment, des chaloupes v?nitiennes, mont?es par des Esclavons, abordent le lougre, fondent sur le pont et massacrent l'?quipage, ? l'exception de deux ou trois malheureux qui sont conduits ? Venise. Ce d?plorable ?v?nement eut lieu le 4 flor?al . Dans ce moment, on apprenait avec les massacres de V?rone, la prise de cette ville, et la signature des pr?liminaires. Le gouvernement se voyait tout-?-fait compromis, et ne pouvait plus compter sur la ruine du g?n?ral Bonaparte, qui, loin d'?tre envelopp? et battu, ?tait au contraire victorieux, et venait d'imposer la paix ? l'Autriche. Il allait se trouver maintenant en pr?sence de ce g?n?ral tout-puissant dont il avait refus? l'alliance, et dont il venait de massacrer les soldats. Il ?tait plong? dans la terreur. Qu'il e?t ordonn? officiellement, et les massacres de V?rone, et les cruaut?s commises au port du Lido, ce n'?tait pas vraisemblable; et on ne conna?trait pas la marche des gouvernemens domin?s par les factions, si on le supposait. Les gouvernemens qui sont dans cette situation n'ont pas besoin de donner les ordres dont ils souhaitent l'ex?cution; ils n'ont qu'? laisser agir la faction dont ils partagent les voeux. Ils lui livrent leurs moyens, et font par elle tout ce qu'ils n'oseraient pas faire eux-m?mes. Les insurg?s de V?rone avaient des canons; ils ?taient appuy?s par les r?gimens r?guliers v?nitiens; le podestat de Bergame, Ottolini, avait re?u de longue main tout ce qui ?tait n?cessaire pour armer les paysans; ainsi, apr?s avoir fourni les moyens, le gouvernement n'avait qu'? laisser faire; et c'est ainsi qu'il se conduisit. Dans le premier instant cependant, il commit une imprudence: ce fut de d?cerner une r?compense au commandant du Lido, pour avoir fait respecter, dit-il, les lois v?nitiennes. Il ne pouvait donc se flatter d'offrir des excuses valables au g?n?ral Bonaparte. Il envoya de nouvelles instructions aux deux d?put?s Donat et Justiniani, qui n'?taient charg?s d'abord que de r?pondre aux sommations faites par Junot le 26 germinal . Alors les ?v?nemens de V?rone et du Lido n'?taient pas connus; mais maintenant les deux d?put?s avaient une bien autre t?che ? remplir, et bien d'autres ?v?nemens ? expliquer. Ils s'avanc?rent au milieu des cris d'all?gresse excit?s par la nouvelle de la paix, et ils comprirent bient?t qu'eux seuls auraient sujet d'?tre tristes, au milieu de ces grands ?v?nemens. Ils apprirent en route que Bonaparte, pour les punir du refus de son alliance, de leurs rigueurs contre ses partisans, et de quelques assassinats isol?s commis sur les Fran?ais, avait c?d? une partie de leurs provinces ? l'Autriche. Que serait-ce quand il conna?trait les odieux ?v?nemens qui avaient suivi! Ces paroles, prononc?es avec courroux, atterr?rent les envoy?s v?nitiens. Ils sollicit?rent une seconde entrevue, mais ils ne purent pas obtenir d'autres paroles du g?n?ral, qui persista toujours dans les m?mes intentions, et dont la volont? ?vidente ?tait de faire la loi ? Venise, et de d?truire par la force une aristocratie qu'il n'avait pu engager ? s'amender par ses conseils. Mais bient?t ils eurent de bien autres sujets de crainte, en apprenant avec d?tail les massacres de V?rone, et surtout l'odieuse cruaut? commise au port du Lido. N'osant se pr?senter ? Bonaparte, ils hasard?rent de lui ?crire une lettre des plus soumises, pour lui offrir toutes les explications qu'il pourrait d?sirer. < Bonaparte les cong?dia. C'?tait le 13 flor?al ; il publia sur-le-champ un manifeste de guerre contre Venise. La constitution fran?aise ne permettait ni au directoire, ni aux g?n?raux de d?clarer la guerre, mais elle les autorisait ? repousser les hostilit?s commenc?es. Bonaparte, s'?tayant sur cette disposition et sur les ?v?nemens de V?rone et du Lido, d?clara les hostilit?s commenc?es, somma le ministre Lallemant de sortir de Venise, fit abattre le lion de Saint-Marc dans toutes les provinces de la terre-ferme, municipaliser les villes, proclamer partout le renversement du gouvernement v?nitien, et, en attendant la marche de ses troupes qui revenaient de l'Autriche, ordonna au g?n?ral Kilmaine de porter les divisions Baraguay-d'Hilliers et Victor sur le bord des lagunes. Ses d?terminations, aussi promptes que son courroux, s'ex?cut?rent sur-le-champ. En un clin d'oeil on vit dispara?tre l'antique lion de Saint-Marc des bords de l'Izonzo jusqu'? ceux du Mincio, et partout il fut remplac? par l'arbre de la libert?. Des troupes s'avanc?rent de toutes parts, et le canon fran?ais retentit sur ces rivages, qui depuis si long-temps n'avaient pas entendu le canon ennemi. L'antique ville de Venise, plac?e au milieu de ses lagunes, pouvait pr?senter encore des difficult?s presque invincibles, m?me au g?n?ral qui venait d'humilier l'Autriche. Toutes les lagunes ?taient arm?es. Elle avait trente-sept gal?res, cent soixante-huit barques canonni?res, portant sept cent cinquante bouches ? feu, et huit mille cinq cents matelots ou canonniers. Elle avait pour garnison trois mille cinq cents Italiens, et onze mille Esclavons, des vivres pour huit mois, de l'eau douce pour deux, et les moyens de renouveler ces provisions. Nous n'?tions pas ma?tres de la mer; nous n'avions point de barques canonni?res, pour traverser les lagunes; il fallait s'avancer la sonde ? la main, le long de ces canaux inconnus pour nous, et sous le feu d'innombrables batteries. Quelque braves et audacieux que fussent les vainqueurs de l'Italie, ils pouvaient ?tre arr?t?s par de pareils obstacles, et condamn?s ? un si?ge de plusieurs mois. Et que d'?v?nemens aurait pu amener un d?lai de plusieurs mois! L'Autriche repouss?e pouvait rejeter les pr?liminaires, rentrer dans la lice, ou faire na?tre de nouvelles chances. Mais si la situation militaire de Venise pr?sentait ces ressources, son ?tat int?rieur ne permettait pas qu'on en fit un usage ?nergique. Comme tous les corps us?s, cette aristocratie ?tait divis?e; elle n'avait ni les m?mes int?r?ts, ni les m?mes passions. La haute aristocratie, ma?tresse des places, des honneurs, et disposant de grandes richesses, avait moins d'ignorance, de pr?jug?s et de passions, que la noblesse inf?rieure; elle avait surtout l'ambition du pouvoir. La masse de la noblesse, exclue des emplois, vivant de secours, ignorante et furieuse, avait les v?ritables pr?jug?s aristocratiques. Unie aux pr?tres, elle excitait le peuple qui lui appartenait, comme il arrive dans tous les ?tats o? la classe moyenne n'est pas encore assez puissante pour l'attirer ? elle. Ce peuple, compos? de marins et d'artisans, dur, superstitieux, et ? demi sauvage, ?tait pr?t ? se livrer ? toutes les fureurs. La classe moyenne, compos?e de bourgeois, de commer?ans, de gens de loi, de m?decins, etc., souhaitant comme partout l'?tablissement de l'?galit? civile, se r?jouissait de l'approche des Fran?ais, mais n'osait pas laisser ?clater sa joie, en voyant un peuple qu'on pouvait pousser aux plus grands exc?s, avant qu'une r?volution f?t op?r?e. Enfin, ? tous ces ?l?mens de division, se joignait une circonstance non moins dangereuse. Le gouvernement v?nitien ?tait servi par des Esclavons. Cette soldatesque barbare, ?trang?re au peuple v?nitien, et souvent en hostilit? avec lui, n'attendait qu'une occasion pour se livrer au pillage, sans le projet de servir aucun parti. Telle ?tait la situation int?rieure de Venise. Ce corps us? ?tait pr?t ? se disloquer. Les grands, en possession du gouvernement, ?taient effray?s de lutter contre un guerrier comme Bonaparte; quoique Venise p?t tr?s bien r?sister ? une attaque, ils n'envisageaient qu'avec ?pouvante les horreurs d'un si?ge, les fureurs auxquelles deux partis irrit?s ne manqueraient pas de se livrer, les exc?s de la soldatesque esclavonne, les dangers auxquels seraient expos?s Venise et ses ?tablissemens maritimes et commerciaux; ils redoutaient surtout de voir leurs propri?t?s, toutes situ?es sur la terre-ferme, s?questr?es par Bonaparte, et menac?es de confiscation. Ils craignaient m?me pour les pensions dont vivait la petite noblesse, et qui seraient perdues si, en poussant la lutte ? l'extr?mit?, on s'exposait ? une r?volution. Ils pensaient qu'en traitant ils pourraient sauver les anciennes institutions de Venise par des modifications; conserver le pouvoir qui est toujours assur? aux hommes habitu?s ? le manier; sauver leurs terres, les pensions de la petite noblesse, et ?viter ? la ville les horreurs du sac et du pillage. En cons?quence, ces hommes qui n'avaient ni l'?nergie de leurs anc?tres, ni les passions de la masse nobiliaire, song?rent ? traiter. Les principaux membres du gouvernement se r?unirent chez le doge. C'?taient les six conseillers du doge, les trois pr?sidens de la garantie criminelle, les six sages-grands, les cinq sages de terre-ferme, les cinq sages des ordres, les onze sages sortis du conseil, les trois chefs du conseil des dix, les trois avogadori. Cette assembl?e extraordinaire, et contraire m?me aux usages, avait pour but de pourvoir au salut de Venise. L'?pouvante y r?gnait. Le doge, vieillard affaibli par l'?ge, avait les yeux remplis de larmes. Il dit qu'on n'?tait pas assur? cette nuit m?me de dormir tranquillement dans son lit. Chacun fit diff?rentes propositions. Un membre proposait de se servir du banquier Haller pour gagner Bonaparte. On trouva la proposition ridicule et vaine. D'ailleurs l'ambassadeur Quirini avait ordre de faire ? Paris tout ce qu'il pourrait, et d'acheter m?me des voix au directoire, s'il ?tait possible. D'autres propos?rent de se d?fendre. On trouva la proposition imprudente, et digne de t?tes folles et jeunes. Enfin on s'arr?ta ? l'id?e de proposer au grand conseil une modification ? la constitution, afin d'apaiser Bonaparte par ce moyen. Le grand conseil, compos? ordinairement de toute la noblesse, et repr?sentant la nation v?nitienne, fut convoqu?. Six cent dix-neuf membres, c'est-?-dire un peu plus de la moiti?, furent pr?sens. La proposition fut faite au milieu d'un morne silence. D?j? cette question avait ?t? agit?e, sur une communication du ministre Lallemant au s?nat; et on avait d?cid? alors de renvoyer les modifications ? d'autres temps. Mais cette fois on sentit qu'il n'?tait plus possible de recourir ? des moyens dilatoires. La proposition du doge fut adopt?e par cinq cent quatre-vingt-dix-huit voix. Elle portait que deux commissaires envoy?s par le s?nat, seraient autoris?s ? n?gocier avec le g?n?ral Bonaparte, et ? traiter m?me des objets qui ?taient de la comp?tence du grand conseil, c'est-?-dire des objets constitutionnels, sauf ratification. Les deux commissaires partirent sur-le-champ et trouv?rent Bonaparte sur le bord des lagunes, au pont de Marghera. Il disposait ses troupes, et les artilleurs fran?ais ?changeaient d?j? des boulets avec les canonni?res v?nitiennes. Les deux commissaires lui remirent la d?lib?ration du grand conseil. Un instant il parut frapp? de cette d?termination; puis, reprenant un ton brusque, il leur dit: < Bonaparte, satisfait d'avoir jet? l'?pouvante chez les V?nitiens, ne voulait pas en venir ? des hostilit?s r?elles, parce qu'il appr?ciait la difficult? d'emporter les lagunes, et qu'il pr?voyait une intervention de l'Autriche. Un article des pr?liminaires portait que tout ce qui ?tait relatif ? Venise serait r?gl? d'accord avec la France et l'Autriche. S'il y entrait de vive force, on se plaindrait ? Vienne de la violation des pr?liminaires, et de toutes mani?res il lui convenait mieux de les amener ? se soumettre. Satisfait de les avoir effray?s, il partit pour Mantoue et Milan, ne doutant pas qu'ils ne vinssent bient?t faire leur soumission pleine et enti?re. L'assembl?e de tous les membres du gouvernement, qui s'?tait d?j? form?e chez le doge, se r?unit de nouveau pour entendre le rapport des commissaires. Il n'y avait plus moyen de r?sister aux exigences du g?n?ral; il fallait consentir ? tout, car le p?ril devenait chaque jour plus imminent. On disait que la bourgeoisie conspirait et voulait ?gorger la noblesse, que les Esclavons allaient profiter de l'occasion pour piller la ville. On convint de faire une nouvelle proposition au grand conseil, tendante ? accorder tout ce que demandait le g?n?ral Bonaparte. Le 15 flor?al , le grand conseil fut assembl? de nouveau. A la majorit? de sept cent quatre voix contre dix, il d?cida que les commissaires seraient autoris?s ? traiter ? toutes conditions avec le g?n?ral Bonaparte, et qu'une proc?dure serait commenc?e sur-le-champ contre les trois inquisiteurs d'?tat et le commandant du Lido. Les commissaires, munis de ces nouveaux pouvoirs, suivirent Bonaparte ? Milan pour aller mettre l'orgueilleuse constitution v?nitienne ? ses pieds. Mais six jours ne suffisaient pas, et la tr?ve devait expirer avant qu'ils eussent pu s'entendre avec le g?n?ral. Pendant ce temps la terreur allait croissant dans Venise. Un instant on fut tellement ?pouvant?, qu'on autorisa le commandant des lagunes ? capituler avec les g?n?raux fran?ais, charg?s du commandement en l'absence de Bonaparte. On lui recommanda seulement l'ind?pendance de la r?publique, la religion, la s?ret? des personnes et des ambassadeurs ?trangers, les propri?t?s publiques et particuli?res, la monnaie, la banque, l'arsenal, les archives. Cependant on obtint des g?n?raux fran?ais une prolongation de la tr?ve, pour donner aux envoy?s v?nitiens le temps de n?gocier avec Bonaparte. L'arrestation des trois inquisiteurs d'?tat avait d?sorganis? la police de Venise. Les plus influens personnages de la bourgeoisie s'agitaient, et manifestaient ouvertement l'intention d'agir, pour h?ter la chute de l'aristocratie. Ils entouraient le charg? d'affaires de France, Villetard, qui ?tait rest? ? Venise apr?s le d?part du ministre Lallemant, et qui ?tait un ardent patriote. Ils cherchaient et esp?raient en lui un soutien pour leurs projets. En m?me temps les Esclavons se livraient ? l'indiscipline et faisaient craindre les plus horribles exc?s. Ils avaient eu des rixes avec le peuple de Venise, et la bourgeoisie semblait elle-m?me exciter ces rixes, qui amenaient la division dans les forces du parti aristocratique. Le 20 flor?al , la terreur fut port?e ? son comble. Deux membres tr?s influens du parti r?volutionnaire, les nomm?s Spada et Zorzi, entr?rent en communication avec quelques-uns des personnages qui composaient la r?union extraordinaire form?e chez le doge. Ils insinu?rent qu'il fallait s'adresser au charg? d'affaires de France, et s'entendre avec lui pour pr?server Venise des malheurs qui la mena?aient. Donat et Battaglia, deux patriciens qu'on a d?j? vus figurer, s'adress?rent ? Villetard le 9 mai. Ils lui demand?rent quels seraient, dans le p?ril actuel, les moyens les plus propres ? sauver Venise. Celui-ci r?pondit qu'il n'?tait nullement autoris? ? traiter par le g?n?ral en chef, mais que si on lui demandait son avis personnel, il conseillait les mesures suivantes: l'embarquement et le renvoi des Esclavons; l'institution d'une garde bourgeoise; l'introduction de quatre mille Fran?ais dans Venise, et l'occupation par eux de tous les points fortifi?s; l'abolition de l'ancien gouvernement; son remplacement par une municipalit? de trente-six membres choisis dans toutes les classes et ayant le doge actuel pour maire; l'?largissement de tous les prisonniers pour cause d'opinion. Villetard ajouta que sans doute ? ce prix le g?n?ral Bonaparte accorderait la gr?ce des trois inquisiteurs d'?tat et du commandant du Lido. Ces propositions furent port?es au conseil r?uni chez le doge. Elles ?taient bien graves, puisqu'elles entra?naient une enti?re r?volution dans Venise. Mais les chefs du gouvernement craignaient une r?volution ensanglant?e par les projets du parti r?formateur, par les fureurs populaires et par la cupidit? des Esclavons. Deux d'entre eux firent une vive r?sistance. Pezaro dit qu'ils devaient se retirer en Suisse avant de consommer eux-m?mes la ruine de l'antique gouvernement v?nitien. Cependant les r?sistances furent ?cart?es, et il fut r?solu que ces propositions seraient pr?sent?es au grand conseil. La convocation fut fix?e au 23 flor?al . En attendant, on paya aux Esclavons la solde arri?r?e, et on les embarqua pour les renvoyer en Dalmatie. Mais le vent contraire les retint dans le port, et leur pr?sence dans les eaux de Venise ne fit qu'entretenir le trouble et la terreur. Le 23 flor?al , le grand conseil fut r?uni avec appareil pour voter l'abolition de cette antique aristocratie. Un peuple immense ?tait r?uni. D'une part, on apercevait la bourgeoisie joyeuse enfin de voir le pouvoir de ses ma?tres renvers?; et d'autre part, le peuple excit? par la noblesse, pr?t ? se pr?cipiter sur ceux qu'il regardait comme les instigateurs de cette r?volution. Le doge prit la parole en versant des larmes, et proposa au grand conseil d'abdiquer sa souverainet?. Tandis qu'on allait d?lib?rer, on entendit tirer des coups de fusil. La noblesse se crut menac?e d'un massacre. < Les Esclavons furent enfin embarqu?s et renvoy?s apr?s de grands exc?s commis dans les villages du Lido et de Malamocco. La nouvelle municipalit? fut institu?e; et, le 27 flor?al , la flottille alla chercher une division de quatre mille Fran?ais, qui s'?tablit paisiblement dans Venise. Tandis que ces choses se passaient ? Venise, Bonaparte signait ? Milan, et le m?me jour, avec les pl?nipotentiaires v?nitiens, un trait? conforme en tout ? la r?volution qui venait de s'op?rer. Il stipulait l'abdication de l'aristocratie, l'institution d'un gouvernement provisoire, l'introduction d'une division fran?aise ? titre de protection, la punition des trois inquisiteurs d'?tat et du commandant du Lido. Des articles secrets stipulaient en outre des ?changes de territoire, une contribution de 3 millions en argent, de 3 millions en munitions navales, et l'abandon ? la France de trois vaisseaux de guerre et de deux fr?gates. Ce trait? devait ?tre ratifi? par le gouvernement de Venise; mais la ratification devenait impossible, puisque l'abdication avait d?j? eu lieu, et elle ?tait inutile, puisque tous les articles du trait? ?taient d?j? ex?cut?s. La municipalit? provisoire ne crut pas moins devoir ratifier le trait?. Bonaparte, sans se compromettre avec l'Autriche, sans se donner les horribles embarras d'un si?ge, en ?tait donc venu ? ses fins. Il avait renvers? l'aristocratie absurde qui l'avait trahi, il avait plac? Venise dans la m?me situation que la Lombardie, le Mod?nois, le Bolonais, le Ferrarais; maintenant il pouvait, sans aucun embarras, faire tous les arrangemens de territoire qui lui para?traient convenables. En c?dant ? l'empereur toute la terre-ferme qui s'?tend de l'Izonzo ? l'Oglio, il avait le moyen d'indemniser Venise, en lui donnant Bologne, Ferrare et la Romagne, qui faisaient actuellement partie de la Cispadane. Ce n'?tait pas replacer ces provinces sous le joug que de les donner ? Venise r?volutionn?e. Restaient ensuite le duch? de Mod?ne et la Lombardie, dont il ?tait facile de composer une seconde r?publique, alli?e de la premi?re. Il y avait encore mieux ? faire, c'?tait, si on pouvait faire cesser les rivalit?s locales, de r?unir toutes les provinces affranchies par les armes fran?aises, et de composer avec la Lombardie, le Mod?nois, le Bolonais, le Ferrarais, la Romagne, la Pol?sine, Venise et les ?les de la Gr?ce, une puissante r?publique, qui dominerait ? la fois le continent et les mers de l'Italie. Les articles secrets relatifs aux 3 millions en munitions navales, et aux trois vaisseaux et deux fr?gates, ?taient un moyen de mettre la main sur toute la marine v?nitienne. Le vaste esprit de Bonaparte, dont la pr?voyance se portait sur tous les objets ? la fois, ne voulait pas qu'il nous arriv?t avec les V?nitiens ce qui nous ?tait arriv? avec les Hollandais, c'est-?-dire que les officiers de la marine, ou les commandans des ?les, m?contens de la r?volution, livrassent aux Anglais les vaisseaux et les ?les qui ?taient sous leur commandement. Il tenait surtout beaucoup aux importantes ?les v?nitiennes de la Gr?ce, Corfou, Zante, C?phalonie, Sainte-Maure, C?rigo. Sur-le-champ il donna des ordres pour les faire occuper. Il ?crivit ? Toulon pour qu'on lui envoy?t par terre un certain nombre de marins, promettant de les d?frayer et de les ?quiper ? leur arriv?e ? Venise. Il demanda au directoire des ordres pour que l'amiral Brueys appareill?t sur-le-champ avec six vaisseaux, afin de venir rallier toute la marine v?nitienne, et d'aller s'emparer des ?les de la Gr?ce. Il fit partir de son chef deux millions pour Toulon, afin que l'ordonnateur de la marine ne f?t pas arr?t? par le d?faut de fonds. Il passa encore ici par dessus les r?glemens de la tr?sorerie, pour ne pas subir de d?lai. Cependant, craignant que Brueys n'arriv?t trop tard, il r?unit la petite flottille qu'il avait dans l'Adriatique aux vaisseaux trouv?s dans Venise, m?la les ?quipages v?nitiens aux ?quipages fran?ais, pla?a ? bord deux mille hommes de troupes, et les fit partir sur-le-champ pour s'emparer des ?les. Il s'assurait ainsi la possession des postes les plus importans dans le Levant et l'Adriatique, et prenait une position qui, devenant tous les jours plus imposante, devait influer singuli?rement sur les n?gociations d?finitives avec l'Autriche. Ainsi, apr?s avoir en deux mois soumis le pape, pass? les Alpes Juliennes, impos? la paix ? l'Autriche, repass? les Alpes et puni Venise, Bonaparte ?tait ? Milan, exer?ant une autorit? supr?me sur toute l'Italie, attendant, sans la presser, la marche de la r?volution, faisant travailler ? la constitution des provinces affranchies, se cr?ant une marine dans l'Adriatique, et rendant sa situation toujours plus imposante pour l'Autriche. Les pr?liminaires de L?oben avaient ?t? approuv?s ? Paris et ? Vienne; l'?change des ratifications avait ?t? fait entre Bonaparte et M. de Gallo, et on attendait incessamment l'ouverture des conf?rences pour la paix d?finitive. Bonaparte ? Milan, simple g?n?ral de la r?publique, ?tait plus influent que tous les potentats de l'Europe. Des courriers arrivant et partant sans cesse, annon?aient que c'?tait l? que les destin?es du monde venaient aboutir. Les Italiens enthousiastes attendaient des heures enti?res pour voir le g?n?ral sortir du palais Serbelloni. De jeunes et belles femmes entouraient madame Bonaparte, et lui composaient une cour brillante. D?j? commen?ait cette existence extraordinaire qui a ?bloui et domin? le monde. Avec l'Autriche, le continent ?tait soumis. Il ne restait plus que l'Angleterre ? combattre; et, r?duite ? elle-m?me, elle courait de v?ritables p?rils. Hoche, arr?t? ? Francfort au moment des plus beaux triomphes, ?tait impatient de s'ouvrir une nouvelle carri?re. L'Irlande l'occupait toujours, il n'avait nullement renonc? ? son projet de l'ann?e pr?c?dente. Il avait pr?s de quatre-vingt mille hommes entre le Rhin et la Nidda; il en avait laiss? environ quarante mille dans les environs de Brest; l'escadre arm?e dans ce port ?tait encore toute pr?te ? mettre ? la voile. Une flotte espagnole r?unie ? Cadix n'attendait qu'un coup de vent, qui oblige?t l'amiral anglais Jewis ? s'?loigner, pour sortir de la rade, et venir dans la Manche combiner ses efforts avec ceux de la marine fran?aise. Les Hollandais ?taient enfin parvenus aussi ? r?unir une escadre, et ? r?organiser une partie de leur arm?e. Hoche pouvait donc disposer de moyens immenses pour soulever l'Irlande. Il se proposait de d?tacher vingt mille hommes de l'arm?e de Sambre-et-Meuse, et de les acheminer vers Brest, pour y ?tre embarqu?s de nouveau. Il avait choisi ses meilleures troupes pour cette grande op?ration, but de toutes ses pens?es. Il se rendit aussi en Hollande en gardant le plus grand incognito, et en faisant r?pandre le bruit qu'il ?tait all? passer quelques jours dans sa famille. L?, il veilla de ses yeux ? tous les pr?paratifs. Dix-sept mille Hollandais d'excellentes troupes furent embarqu?s sur une flotte, et n'attendaient qu'un signal pour venir se r?unir ? l'exp?dition pr?par?e ? Brest. Si ? ces moyens venaient se joindre ceux des Espagnols, l'Angleterre ?tait menac?e, comme on le voit, de dangers incalculables. Pitt ?tait dans la plus grande ?pouvante. La d?fection de l'Autriche, les pr?paratifs faits au Texel et ? Brest, l'escadre r?unie ? Cadix, et qu'un coup de vent pouvait d?bloquer, toutes ces circonstances ?taient alarmantes. L'Espagne et la France travaillaient aupr?s du Portugal, pour le contraindre ? la paix, et on avait encore ? craindre la d?fection de cet ancien alli?. Ces ?v?nemens avaient sensiblement affect? le cr?dit, et amen? une crise longtemps pr?vue, et souvent pr?dite. Le gouvernement anglais avait toujours eu recours ? la banque, et en avait tir? des avances ?normes, soit en lui faisant acheter des rentes, soit en lui faisant escompter les bons de l'?chiquier. Elle n'avait pu fournir ? ces avances que par d'abondantes ?missions de billets. L'?pouvante s'emparant des esprits, et le bruit s'?tant r?pandu que la banque avait fait au gouvernement des pr?ts consid?rables, tout le monde courut pour convertir ses billets en argent. Aussi, d?s le mois de mars, au moment o? Bonaparte s'avan?ait sur Vienne, la banque se vit-elle oblig?e de demander la facult? de suspendre ses paiemens. Cette facult? lui fut accord?e, et elle fut dispens?e de remplir une obligation devenue inex?cutable, mais son cr?dit et son existence n'?taient pas sauv?s pour cela. Sur-le-champ on publia le compte de son actif et de son passif. L'actif ?tait de 17,597,280 livres sterling; le passif de 13,770,390 livres sterling. Il y avait donc un surplus dans son actif de 3,826,890 livres sterling. Mais on ne disait pas combien dans cet actif il entrait de cr?ances sur l'?tat. Tout ce qui consistait ou en lingots ou en lettres de change de commerce ?tait fort s?r; mais les rentes, les bons de l'?chiquier, qui faisaient la plus grande partie de l'actif, avaient perdu cr?dit avec la politique du gouvernement. Les billets perdirent sur-le-champ plus de quinze pour cent. Les banquiers demand?rent ? leur tour la facult? de payer en billets, sous peine d'?tre oblig?s de suspendre leurs paiemens. Il ?tait naturel qu'on leur accord?t la m?me faveur qu'? la banque, et il y avait m?me justice ? le faire, car c'?tait la banque qui, en refusant de remplir ses engagemens en argent, les mettait dans l'impossibilit? d'acquitter les leurs de cette mani?re. Mais d?s lors on donnait aux billets cours forc? de monnaie. Pour ?viter cet inconv?nient, les principaux commer?ans de Londres se r?unirent, et donn?rent une preuve remarquable d'esprit public et d'intelligence. Comprenant que le refus d'admettre en paiement les billets de la banque am?nerait une catastrophe in?vitable, dans laquelle toutes les fortunes auraient ?galement ? souffrir, ils r?solurent de la pr?venir, et ils convinrent d'un commun accord de recevoir les billets en paiement. D?s cet instant, l'Angleterre entra dans la voie du papier-monnaie. Il est vrai que ce papier-monnaie, au lieu d'?tre forc?, ?tait volontaire; mais il n'avait que la solidit? du papier, et il d?pendait ?minemment de la conduite politique du cabinet. Pour le rendre plus propre au service de monnaie, on le divisa en petites sommes. On autorisa la banque dont les moindres billets ?taient de 5 livres sterling , ? en ?mettre de 20 et 40 schellings . C'?tait un moyen de les faire servir au paiement des ouvriers. Quoique le bon esprit du commerce anglais e?t rendu cette catastrophe moins funeste qu'elle aurait pu l'?tre, cependant la situation n'en ?tait pas moins tr?s p?rilleuse; et, pour qu'elle ne dev?nt pas tout ? fait d?sastreuse, il fallait d?sarmer la France, et emp?cher que les escadres espagnole, fran?aise et hollandaise, ne vinssent allumer un incendie en Irlande. La famille royale ?tait toujours aussi ennemie de la r?volution et de la paix; mais Pitt, qui n'avait d'autre vue que l'int?r?t de l'Angleterre, regardait, dans le moment, un r?pit comme indispensable. Que la paix f?t ou non d?finitive, il fallait un instant de repos. Enti?rement d'accord sur ce point avec lord Grenville, il d?cida le cabinet ? entamer une n?gociation sinc?re, qui procur?t deux ou trois ans de rel?che aux ressorts trop tendus de la puissance anglaise. Il ne pouvait plus ?tre question de disputer les Pays-Bas, aujourd'hui c?d?s par l'Autriche; il ne s'agissait plus que de disputer sur les colonies, et d?s lors il y avait moyen et espoir de s'entendre. Non-seulement la situation indiquait l'intention de traiter, mais le choix du n?gociateur la prouvait aussi. Lord Malmesbury ?tait encore d?sign? cette fois, et, ? son ?ge, on ne l'aurait pas employ? deux fois de suite dans une vaine repr?sentation. Lord Malmesbury, c?l?bre par sa longue carri?re diplomatique, et par sa dext?rit? comme n?gociateur, ?tait fatigu? des affaires, et voulait s'en retirer, mais apr?s une n?gociation heureuse et brillante. Aucune ne pouvait ?tre plus belle que la pacification avec la France apr?s cette horrible lutte; et, s'il n'avait eu la certitude que son cabinet voulait la paix, il n'aurait pas consenti ? jouer un r?le de parade, qui devenait ridicule en se r?p?tant. Il avait re?u, en effet, des instructions secr?tes qui ne lui laissaient aucun doute. Le cabinet anglais fit demander des passe-ports pour son n?gociateur; et, d'un commun accord, le lieu des conf?rences fut fix? non ? Paris, mais ? Lille. Le directoire aimait mieux recevoir le ministre anglais dans une ville de province, parce qu'il craignait moins ses intrigues. Le ministre anglais, de son c?t?, d?sirait n'?tre pas en pr?sence d'un gouvernement dont les formes avaient quelque rudesse, et pr?f?rait traiter par l'interm?diaire de ses n?gociateurs. Lille fut donc le lieu choisi, et de part et d'autre on pr?para une l?gation solennelle. Hoche n'en dut pas moins continuer ses pr?paratifs avec vigueur, pour donner plus d'autorit? aux n?gociateurs fran?ais. Ainsi la France, victorieuse de toutes parts, ?tait en n?gociation avec les deux grandes puissances europ?ennes, et touchait ? la paix g?n?rale. Des ?v?nemens aussi heureux et aussi brillans auraient d? ne laisser place qu'? la joie dans tous les coeurs; mais les ?lections de l'an V venaient de donner ? l'opposition des forces dangereuses. On a vu combien les adversaires du directoire s'agitaient ? l'approche des ?lections. La faction royaliste avait beaucoup influ? sur leur r?sultat. Elle avait perdu trois de ses agens principaux, par l'arrestation de Brottier, Laville-Heurnois et Duverne de Presle; mais c'?tait un petit dommage, car la confusion ?tait si grande chez elle, que la perte de ses chefs n'y pouvait gu?re ajouter. Il existait toujours deux associations, l'une compos?e des hommes d?vou?s et capables de prendre les armes, l'autre des hommes douteux, propres seulement ? voter dans les ?lections. L'agence de Lyon ?tait rest?e intacte. Pichegru, conspirant ? part, correspondait toujours avec le ministre anglais Wickam et le prince de Cond?. Les ?lections, influenc?es par ces intrigans de toute esp?ce, et surtout par l'esprit de r?action, eurent le r?sultat qu'on avait pr?vu. La presque totalit? du second tiers fut form?e, comme le premier, d'hommes qui ?taient ennemis du directoire, ou par d?vouement ? la royaut?, ou par haine de la terreur. Les partisans de la royaut? ?taient, il est vrai, fort peu nombreux; mais ils allaient se servir, suivant l'usage, des passions des autres. Pichegru fut nomm? d?put? dans le Jura. A Colmar on choisit le nomm? Chembl?, employ? ? la correspondance avec Wickam; ? Lyon, Imbert-Colom?s, l'un des membres de l'agence royaliste dans le Midi, et Camille Jordan, jeune homme qui avait de bons sentimens, une imagination vive, et une ridicule col?re contre le directoire; ? Marseille, le g?n?ral Willot, qui avait ?t? tir? de l'arm?e de l'Oc?an pour aller commander dans le d?partement des Bouches-du-Rh?ne, et qui, loin de contenir les partis, s'?tait laiss? gagner, peut-?tre ? son insu, par la faction royaliste; ? Versailles, le nomm? Vauvilliers, compromis par la conspiration de Brottier, et destin? par l'agence ? devenir administrateur des subsistances; ? Brest, l'amiral Villaret-Joyeuse, brouill? avec Hoche, et par suite avec le gouvernement, ? l'occasion de l'exp?dition d'Irlande. On fit encore une foule d'autres choix, tout autant significatifs que ceux-l?. Cependant tous n'?taient pas aussi alarmans pour le directoire et pour la r?publique. Le g?n?ral Jourdan, qui avait quitt? le commandement de l'arm?e de Sambre-et-Meuse, apr?s les malheurs de la campagne pr?c?dente, fut nomm? d?put? par son d?partement. Il ?tait digne de repr?senter l'arm?e au corps l?gislatif, et de la venger du d?shonneur qu'allait lui imprimer la trahison de Pichegru. Par une singularit? assez remarquable, Barr?re fut ?lu par le d?partement des Hautes-Pyr?n?es.
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