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Read Ebook: Quentin Durward by Scott Walter Defauconpret A J B Auguste Jean Baptiste Translator

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Ebook has 2549 lines and 191112 words, and 51 pages

CHAPITRE PREMIER.

Le Contraste.

LA fin du quinzi?me si?cle pr?para pour l'avenir une suite d'?v?nemens dont le r?sultat fut d'?lever la France ? cet ?tat formidable de puissance qui a toujours ?t? depuis le principal objet de la jalousie des autres nations de l'Europe. Avant cette ?poque, il ne s'agissait de rien moins que de son existence dans sa lutte contre les Anglais, d?j? ma?tres de ses plus belles provinces; et tous les efforts de son roi, toute la bravoure de ses habitans, purent ? peine pr?server la nation du joug de l'?tranger. Ce n'?tait pas le seul danger qu'elle e?t ? craindre; les princes qui poss?daient les grands fiefs de la couronne, et particuli?rement les ducs de Bourgogne et de Bretagne, en ?taient venus ? rendre si l?g?res leurs cha?nes f?odales, qu'ils ne se faisaient aucun scrupule de lever l'?tendard contre leur seigneur suzerain, le roi de France, sous les plus faibles pr?textes. En temps de paix, ils gouvernaient leurs provinces en princes absolus, et la maison de Bourgogne, ma?tresse du pays qui portait ce nom et de la partie la plus riche et la plus belle de la Flandre, ?tait si riche et si puissante par elle-m?me, qu'elle ne le c?dait ? la couronne de France ni en force ni en splendeur.

? l'imitation des grands feudataires, chaque vassal inf?rieur de la couronne s'arrogeait autant d'ind?pendance que le lui permettaient la distance o? il ?tait du point central de l'autorit?, l'?tendue de son fief et les fortifications de sa tour f?odale: tous ces petits tyrans, affranchis de la juridiction des lois, se livraient impun?ment ? tous les caprices et ? tous les exc?s de l'oppression et de la cruaut?. Dans l'Auvergne seule on comptait plus de trois cents de ces nobles ind?pendans, pour qui le pillage, le meurtre et l'inceste n'?taient que des actes ordinaires et familiers.

Au milieu des mis?res et des horreurs que faisait na?tre un ?tat si d?plorable des affaires publiques, la prodigalit? ?tait port?e jusqu'? l'exc?s par les nobles subalternes, qui, jaloux d'imiter les grands princes, d?pensaient, en d?ployant un luxe grossier mais magnifique, les richesses qu'ils extorquaient au peuple. Un ton de galanterie romanesque et chevaleresque ?tait le trait caract?ristique des relations entre les deux sexes. On parlait encore le langage de la chevalerie errante, et l'on continuait ? s'assujettir ? ses formes, quand d?j? le chaste sentiment d'un amour honorable et la g?n?reuse bravoure qu'il inspire avaient cess? d'en adoucir et d'en r?parer les extravagances. Les joutes et les tournois, les divertissemens et les f?tes multipli?es de chaque petite cour de France, attiraient dans ce royaume tout aventurier qui ne savait o? aller; et en y arrivant il ?tait rare qu'il ne trouv?t pas quelque occasion d'y donner des preuves de ce courage aveugle, de cet esprit t?m?raire et entreprenant auxquels sa patrie plus heureuse n'offrait pas de th??tre.

Assez brave, quand un but utile et politique l'exigeait, Louis n'avait pas la moindre ?tincelle de cette valeur romanesque, ni de cette noble fiert? qui y tient de si pr?s ou qu'elle fait na?tre, et qui continue ? combattre pour le point d'honneur quand le but d'utilit? est atteint. Calme, artificieux, attentif avant tout ? son int?r?t personnel, il savait sacrifier tout orgueil, toute passion qui pouvaient le compromettre. Il avait grand soin de d?guiser ses sentimens et ses vues ? tout ce qui l'approchait, et on l'entendit r?p?ter souvent que--le roi qui ne savait pas dissimuler ne savait pas r?gner; et que, quant ? lui, s'il croyait que son bonnet conn?t ses secrets, il le jetterait au feu. Personne, ni dans son si?cle, ni dans aucun autre, ne sut mieux tirer parti des faiblesses des autres, et ?viter en m?me temps de donner avantage sur lui, en c?dant inconsid?r?ment aux siennes.

Il ?tait cruel et vindicatif, au point de trouver du plaisir aux ex?cutions fr?quentes qu'il commandait. Mais de m?me qu'aucun mouvement de piti? ne le portait jamais ? ?pargner ceux qu'il pouvait condamner sans rien craindre, jamais aucun d?sir de vengeance ne lui fit commettre un acte pr?matur? de violence. Rarement il s'?lan?ait sur sa proie avant qu'elle f?t ? sa port?e et qu'il ne lui rest?t aucun moyen de fuir; tous ses mouvemens ?taient d?guis?s avec tant de soin, que ce n'?tait ordinairement que par le succ?s qu'il avait obtenu qu'on apprenait le but que ses manoeuvres avaient voulu atteindre.

De m?me l'avarice de Louis faisait place ? une apparence de prodigalit? quand il fallait qu'il gagn?t le favori ou le ministre d'un prince rival, soit pour d?tourner une attaque dont il ?tait menac?, soit pour rompre une conf?d?ration dirig?e contre lui. Il aimait le plaisir et les divertissemens; mais ni l'amour ni la chasse, quoique ce fussent ses passions dominantes, ne l'emp?ch?rent jamais de donner r?guli?rement ses soins aux affaires publiques et ? l'administration de son royaume. Il avait une connaissance profonde des hommes, et il l'avait acquise en se m?lant personnellement dans tous les rangs de la vie priv?e. Quoique naturellement fier et hautain, il ne faisait aucune attention aux distinctions arbitraires de la soci?t?; et quoiqu'une telle conduite f?t regard?e ? cette ?poque comme aussi ?trange que peu naturelle, il n'h?sitait pas ? choisir dans le rang le plus bas les hommes ? qui il confiait les emplois les plus importans; mais ces hommes, il savait si bien les choisir, qu'il se trompait rarement sur leurs qualit?s.

Il y avait cependant des contradictions dans le caract?re de ce monarque aussi habile qu'artificieux; car l'homme n'est pas toujours d'accord avec lui-m?me. Quoique Louis f?t le plus faux, et le plus trompeur des hommes, quelques-unes des plus grandes erreurs de sa vie vinrent de la confiance trop aveugle qu'il accorda ? l'honneur et ? l'int?grit? des autres. Les fautes qu'il commit dans ce genre semblent avoir eu pour cause un raffinement excessif de sa politique, qui lui persuadait de feindre une confiance sans r?serve envers ceux qu'il se proposait de tromper; car, dans sa conduite ordinaire, il ?tait aussi m?fiant et aussi soup?onneux qu'aucun tyran qui ait jamais exist?. Deux traits peuvent encore servir ? compl?ter l'esquisse du portrait de ce monarque terrible parmi les souverains turbulens de son ?poque, et qui pourrait ?tre compar? ? un gardien au milieu des b?tes f?roces qu'il domine par sa seule prudence et son habilet? sup?rieure, mais par lesquelles il serait mis en pi?ces s'il ne les domptait en leur distribuant avec adresse et discernement la nourriture et les coups.

Le ciel fit servir ? ses desseins les ravages de la temp?te comme la pluie la plus douce. Ce fut par le moyen du caract?re prudent et ?nergique, quoique fort peu aimable, de ce monarque, qu'il lui plut de rendre ? la grande nation fran?aise les bienfaits d'un gouvernement civil, qu'elle avait presque enti?rement perdu au moment de son av?nement ? la couronne.

Avant de succ?der ? son p?re, Louis avait donn? plus de preuves de vices que de talens. Sa premi?re femme, Marguerite d'?cosse, avait succomb? sous les traits de la calomnie, dans la cour de son mari, sans les encouragemens duquel personne n'e?t os? prononcer un seul mot injurieux contre cette aimable princesse. Il avait ?t? fils ingrat et rebelle, tant?t conspirant pour s'emparer de la personne de son p?re, tant?t lui faisant la guerre ouvertement. Pour le premier de ces crimes, il fut banni dans le Dauphin?, qui ?tait son apanage, et qu'il gouverna avec beaucoup de sagesse. Apr?s le second, il fut r?duit ? un exil absolu, et forc? de recourir ? la merci et presque ? la charit? du duc de Bourgogne et de son fils, ? la cour desquels il re?ut, jusqu'? la mort de son p?re, arriv?e en 1461, une hospitalit? dont il les paya ensuite assez mal.

Depuis cette ?poque, Louis, n'ayant rien ? craindre de l'Angleterre, d?chir?e par ses guerres civiles entre les maisons d'York et de Lancastre, s'occupa, pendant plusieurs ann?es, en m?decin habile, mais sans piti?, ? gu?rir les blessures du corps politique, ou plut?t ? arr?ter, tant?t par des rem?des doux, tant?t en employant le fer et le feu, les progr?s de la gangr?ne mortelle dont il ?tait attaqu?. Ne pouvant r?primer enti?rement les brigandages des compagnies franches et les actes d'oppression d'une noblesse enhardie par l'impunit?, il chercha du moins ? y mettre des bornes, et peu ? peu, ? force d'attention et de pers?v?rance, il augmenta d'une part l'autorit? royale, et diminua de l'autre le pouvoir de ceux qui la contrebalan?aient.

Le roi de France ?tait pourtant toujours entour? d'inqui?tudes et de p?rils. Quoique les membres de la ligue du bien public ne fussent pas d'accord entre eux, ils existaient encore, et les tron?ons du serpent pouvaient se r?unir et redevenir dangereux; mais Louis avait surtout ? craindre la puissance croissante du duc de Bourgogne, alors un des plus grands princes de l'Europe, et qui ne perdait gu?re de son rang par la d?pendance pr?caire o? se trouvait son duch? de la couronne de France.

Celui-ci ?tait calme, r?fl?chi et plein d'adresse, ne poursuivant jamais une entreprise d?sesp?r?e, et n'en abandonnant aucune dont le succ?s ?tait probable, quoique ?loign?. Le g?nie du duc ?tait tout diff?rent: il se pr?cipitait dans le p?ril, parce qu'il l'aimait, et n'?tait arr?t? par aucune difficult?, parce qu'il les m?prisait. Louis ne sacrifiait jamais son int?r?t ? ses passions. Charles, au contraire, ne sacrifiait ni ses passions, ni m?me ses fantaisies, ? aucune consid?ration. Malgr? les liens de parent? qui les unissaient, malgr? les secours que le duc et son p?re avaient accord?s ? Louis pendant son exil, lorsqu'il ?tait dauphin, il r?gnait entre eux une haine et un m?pris r?ciproques. Le duc de Bourgogne m?prisait la politique cauteleuse du roi; il l'accusait de manquer de courage, quand il le voyait employer l'argent et les n?gociations pour se procurer des avantages dont, ? sa place, il se serait assur? ? main arm?e; et il le ha?ssait, non-seulement ? cause de l'ingratitude dont ce prince avait pay? ses services, mais pour les injures personnelles qu'il en avait re?ues. Il ne pouvait lui pardonner les imputations que les ambassadeurs de Louis s'?taient permises contre lui pendant la vie de son p?re, et surtout l'appui que le roi de France accordait en secret aux m?contens de Gand, de Li?ge et d'autres grandes villes de Flandre. Ces cit?s, jalouses de leurs privil?ges et fi?res de leurs richesses y ?taient souvent en insurrection contre leurs seigneurs suzerains, et ne manquaient jamais de trouver des secours secrets ? la cour de Louis, qui saisissait toutes les occasions de fomenter des troubles dans les ?tats d'un vassal devenu trop puissant.

Louis rendait au duc sa haine et son m?pris avec une ?gale ?nergie, quoiqu'il cach?t ses sentimens sous un voile moins transparent. Il ?tait impossible qu'un prince d'une sagacit? si profonde ne m?pris?t pas cette obstination opini?tre qui ne renon?ait jamais ? ses desseins, quelques suites fatales que p?t avoir sa pers?v?rance, et cette t?m?rit? imp?tueuse qui se pr?cipitait dans la carri?re sans se donner le temps de r?fl?chir sur les obstacles qu'elle pouvait y rencontrer. Cependant le roi ha?ssait le duc Charles encore plus qu'il ne le m?prisait, et ces deux sentimens de m?pris et de haine acqu?raient un nouveau degr? d'intensit? par la crainte qui s'y joignait; car il savait que l'attaque d'un taureau courrouc?, auquel il comparait le duc de Bourgogne, est toujours redoutable, quoique cet animal fonde sur son ennemi les yeux ferm?s. Cette crainte n'?tait pas seulement caus?e par la richesse des domaines de la maison de Bourgogne, par la discipline de ses habitans belliqueux et par la masse de leur population nombreuse; elle avait aussi pour objet les qualit?s personnelles qui rendaient le duc formidable. Dou? d'une bravoure qu'il portait jusqu'? la t?m?rit? et m?me au-del?, prodigue dans ses d?penses, splendide dans sa cour, dans son costume, dans tout ce qui l'entourait, d?ployant magnificence h?r?ditaire de la maison de Bourgogne, Charles-le-T?m?raire attirait ? son service tous les esprits ardens de ce si?cle, tous ceux dont le caract?re ?tait analogue au sien; et Louis ne voyait que trop clairement ce que pouvait tenter et ex?cuter une pareille troupe d'hommes r?solus, sous les ordres d'un chef dont le caract?re ?tait aussi indomptable que le leur.

C'est ? l'ann?e 1468, lorsque la haine divisait ces deux princes plus que jamais, quoiqu'il exist?t alors entre eux une tr?ve trompeuse et peu sure, comme cela arrivait souvent, que se rattache le commencement de notre histoire. On pensera peut-?tre que le rang et la condition du personnage que nous allons faire para?tre le premier sur la sc?ne, n'exigeaient gu?re une dissertation sur la situation relative de deux puissans princes; mais les passions des grands, leurs querelles et leurs r?conciliations int?ressent la fortune de tout ce qui les approche; et l'on verra, par la suite de cette histoire, que ce chapitre pr?liminaire ?tait n?cessaire pour qu'on p?t bien comprendre les aventures du personnage dont nous allons parler.

Le Voyageur.

<> PISTOL.

Sur la rive oppos?e ? celle dont le voyageur s'approchait, deux hommes qui paraissaient occup?s d'une conversation s?rieuse semblaient de temps en temps examiner ses mouvemens; car, se trouvant sur une position beaucoup plus ?lev?e que la sienne, ils avaient pu l'apercevoir ? une distance consid?rable.

Le jeune voyageur pouvait avoir de dix-neuf ? vingt ans. Ses traits et son ext?rieur pr?venaient en sa faveur, mais annon?aient que le pays dans lequel il se trouvait ne lui avait pas donn? le jour. Son habit gris fort court et son haut-de-chausses ?taient coup?s ? la mode de Flandre plut?t qu'? celle de France, et son ?l?gante toque bleue, surmont?e d'une branche de houx et d'une plume d'aigle, le faisait reconna?tre pour un ?cossais. Son costume ?tait fort propre, et arrang? avec le soin d'un jeune homme qui n'ignore pas qu'il est bien tourn?. Il portait sur le dos un havresac qui semblait contenir son petit bagage; sa main gauche ?tait couverte d'un de ces gants qui servaient ? tenir un faucon, quoiqu'il n'e?t pas d'oiseau, et il tenait de la main droite un ?pieu de chasseur. ? son ?paule gauche ?tait fix?e une ?charpe brod?e, ? laquelle ?tait suspendu un petit sac de velours ?carlate, semblable ? ceux que portaient les fauconniers de distinction, et o? ils mettaient la nourriture de leurs faucons et tous les objets n?cessaires pour cette chasse favorite. Cette ?charpe ?tait crois?e par une autre bandouli?re qui soutenait un couteau de chasse. Au lieu des bottes qu'on portait ? cette ?poque, ses jambes ?taient couvertes de brodequins de peau de daim ? demi tann?e.

Quoique sa taille n'e?t pas atteint tout son d?veloppement, il ?tait grand, bien fait, et la l?g?ret? de sa marche prouvait que, s'il voyageait en pi?ton, il y trouvait plus de plaisir que de fatigue. Il avait le teint blanc, quoique'un peu bruni, soit par l'influence des rayons du soleil de ce climat ?tranger, soit parce qu'il avait ?t? constamment expos? au grand air dans sa terre natale.

Ses traits, sans ?tre parfaitement r?guliers, ?taient agr?ables et pleins de candeur. Un demi-sourire, qui semblait na?tre de l'heureuse insouciance de la jeunesse, montrait de temps en temps que ses dents ?taient bien rang?es, et blanches comme de l'ivoire; ses yeux bleus, brillans et pleins de gaiet?, se fixaient sur chaque objet qu'ils rencontraient, avec une expression de bonne humeur, de joyeuse franchise et de bonne r?solution.

Le salut du petit nombre de voyageurs qu'il rencontrait sur la route, dans ces temps dangereux, ?tait re?u et rendu par lui suivant le m?rite de chacun. Le militaire tra?neur, moiti? soldat, moiti? brigand, mesurait le jeune homme des yeux, comme pour calculer les chances du butin ou d'une r?sistance d?termin?e; mais il voyait bient?t dans les regards du jeune voyageur une assurance qui faisait tellement pencher la balance du dernier c?t?, qu'il renon?ait ? son projet criminel pour lui dire avec humeur:--Bonjour, camarade!--salut auquel le jeune ?cossais r?pondait d'un ton tout aussi martial quoique moins bourru. Le p?lerin et le fr?re mendiant r?pondaient ? sa salutation respectueuse par une b?n?diction paternelle; et la jeune paysanne aux yeux noirs se retournant pour le regarder quand elle l'avait d?pass? de quelques pas, ils ?changeaient ensemble un bonjour en souriant. En un mot, il y avait quelque chose en lui qui excitait naturellement l'attention, et il exer?ait une attraction v?ritable, qui prenait sa source dans la r?union d'une franchise intr?pide, d'une humeur enjou?e, d'un air spirituel, d'un ext?rieur agr?able. Tout son aspect semblait aussi indiquer un jeune homme entr? dans le monde sans la moindre crainte des dangers qui en assi?gent toutes les avenues, et n'ayant gu?re pourtant d'autres moyens de lutter contre les obstacles, qu'un esprit plein de vivacit? et une bravoure naturelle: or, c'est avec de tels caract?res que la jeunesse sympathise le plus volontiers, comme c'est pour ceux-l? aussi que la vieillesse et l'exp?rience ?prouvent un int?r?t affectueux.

Le jeune homme dont nous venons de faire le portrait avait ?t? aper?u depuis long-temps par les deux individus qui se promenaient le long de la rivi?re, sur le bord oppos? o? ?taient situ?s le parc et le ch?teau; mais comme il descendait la rive escarp?e avec la l?g?ret? d'un daim courant vers une fontaine pour s'y d?salt?rer, le moins ?g? des deux dit ? l'autre:

--C'est notre jeune homme, c'est le Boh?mien; s'il essaie de passer la rivi?re, il est perdu: les eaux sont enfl?es, la rivi?re n'est pas gu?able.

--Qu'il fasse cette d?couverte lui-m?me, comp?re, r?pondit le plus ?g?; il est possible que cela ?pargne une corde et fasse mentir un proverbe.

--Je ne le reconnais qu'? sa toque bleue, reprit le premier, car je ne puis distinguer sa figure: ?coutez! il crie pour nous demander si l'eau est profonde.

--Il n'a qu'? essayer, r?pliqua l'autre; il n'y a en ce monde rien de tel que l'exp?rience.

Cependant le jeune homme, voyant qu'on ne lui faisait aucun signe pour le d?tourner de son intention, et prenant le silence de ceux ? qui il s'adressait pour une assurance qu'il ne courait aucun risque, entra dans le ruisseau sans h?siter et sans autre d?lai que celui qui fut n?cessaire pour ?ter ses brodequins. Le plus ?g? des deux inconnus lui cria au m?me instant de prendre garde ? lui; et se tournant vers son compagnon:

--Par la mort-Dieu, comp?re, lui dit-il ? mi-voix, vous avez fait encore une m?prise; ce n'est pas le bavard de Boh?mien.

Mais cet avis arriva trop tard pour le jeune homme: ou il ne l'entendit pas, ou il ne put en profiter, car il avait d?j? perdu pied; la mort e?t ?t? in?vitable pour tout homme moins alerte et moins habitu? ? nager, le ruisseau ?tant alors aussi profond que rapide.

--Par sainte Anne! s'?cria le m?me interlocuteur, c'est un jeune homme int?ressant! Courez, comp?re, et r?parez votre m?prise en le secourant si vous le pouvez: il est de votre troupe; et si les vieux dictons ne mentent pas, l'eau ne le noiera point.

Dans le fait, le jeune voyageur nageait si vigoureusement, et fendait l'eau avec tant de dext?rit?, que, malgr? l'imp?tuosit? du courant, il aborda ? la rive oppos?e presque en ligne droite de l'endroit d'o? il ?tait parti.

Pendant ce temps, le moins ?g? des deux inconnus avait couru sur le bord de l'eau pour donner du secours au nageur, tandis que l'autre le suivait ? pas lents, se disant ? lui-m?me, chemin faisant:--Sur mon ?me, le voil? ? terre; il empoigne son ?pieu: si je ne me presse davantage, il battra mon comp?re pour la seule action charitable que je l'aie jamais vu faire de sa vie.

Il avait quelque raison pour supposer que tel serait le d?nouement de cette aventure; car le brave ?cossais avait d?j? accost? le Samaritain qui venait ? son secours, en s'?criant d'un ton courrouc?:--Chien discourtois! pourquoi ne m'avez-vous pas r?pondu quand je vous ai demand? si la rivi?re ?tait gu?able? Que le diable m'emporte si je ne vous apprends ? mieux conna?tre une autre fois les ?gards qui sont dus ? un ?tranger!

En entendant un homme d'un ?ge avanc? et d'un air respectable lui adresser de tels reproches, le jeune ?cossais baissa sur-le-champ son b?ton, et r?pondit qu'il serait bien f?ch? d'?tre injuste envers eux, mais que v?ritablement il lui semblait qu'ils l'avaient laiss? mettre ses jours en p?ril, faute d'avoir daign? dire un mot pour l'avertir; ce qui ne convenait ni ? d'honn?tes gens ni ? de bons chr?tiens, encore moins ? de respectables bourgeois, comme ils paraissaient ?tre.

--Beau fils, dit le plus ?g?, ? votre air et ? votre accent, on voit que vous ?tes ?tranger; et vous devriez songer que, quoique vous parliez facilement notre langue, il ne nous est pas aussi ais? de comprendre vos discours.

--Eh bien, mon p?re, r?pondit le jeune homme, je m'embarrasse fort peu du bain que je viens de prendre, et je vous pardonnerai d'en avoir ?t? la cause en partie, pourvu que vous m'indiquiez quelque endroit o? je puisse faire s?cher mes habits, car je n'en ai pas d'autres, et il faut que je t?che de les conserver dans un ?tat pr?sentable.

--Pour qui nous prenez-vous, beau fils? lui demanda le m?me interlocuteur au lieu de r?pondre ? sa question.

--Pour de bons bourgeois, sans contredit, r?pondit l'?cossais; ou bien, tenez, vous, mon ma?tre, vous m'avez l'air d'un traficant d'argent ou d'un marchand de grains, et votre compagnon me semble un boucher ou un nourrisseur de bestiaux.

--Vous avez admirablement devin? nos professions, dit en souriant celui qui venait de l'interroger. Il est tr?s-vrai que je trafique en argent autant que je le puis, et le m?tier de mon comp?re a quelque analogie avec celui de boucher. Quant ? vous, nous t?cherons de vous servir: mais il faut d'abord que je sache qui vous ?tes et o? vous allez; car, dans le moment actuel, les routes sont remplies de voyageurs ? pied et ? cheval, qui ont dans la t?te toute autre chose que des principes d'honn?tet? et la crainte de Dieu.

Le jeune homme jeta un regard vif et p?n?trant sur l'individu qui lui parlait ainsi, et sur son compagnon silencieux, comme pour s'assurer s'ils m?ritaient la confiance qu'on lui demandait; et voici quel fut le r?sultat de ses observations.

Le plus ?g? de ces deux hommes, celui que son costume et sa tournure rendaient le plus remarquable, ressemblait au n?gociant ou au marchand de cette ?poque. Sa jaquette, ses hauts-de-chausses et son manteau ?taient d'une m?me ?toffe, d'une couleur brune, et montraient tellement la corde, que l'esprit malin du jeune ?cossais en conclut qu'il fallait que celui qui les portait f?t tr?s-riche ou tr?s-pauvre; et il inclinait vers la premi?re supposition. Ses v?temens ?taient tr?s-courts et ?troits, mode non adopt?e alors par la noblesse, ni m?me par des citoyens d'une classe respectable, qui portaient des habits fort l?ches et descendant ? mi-jambe.

L'expression de sa physionomie ?tait en quelque sorte pr?venante et repoussante ? la fois; ses traits prononc?s, ses joues fl?tries et ses yeux creux avaient pourtant une expression de malice et de gaiet? qui se trouvait en rapport avec le caract?re du jeune aventurier. Mais, d'une autre part, ses gros sourcils noirs avaient quelque chose d'imposant et de sinistre. Peut-?tre cet effet devenait-il encore plus frappant ? cause du chapeau ? forme basse, en fourrure, qui, lui couvrant le front, ajoutait une ombre de plus ? celle de ses ?pais sourcils; mais il est certain que le jeune ?tranger ?prouva quelque difficult? pour concilier le regard de cet inconnu avec le reste de son ext?rieur, qui n'avait rien de distingu?. Son chapeau surtout, partie du costume sur laquelle tous les gens de qualit? portaient quelque bijou en or ou en argent, n'avait d'autre ornement qu'une plaque de plomb repr?sentant la Vierge, semblable ? celles que les pauvres p?lerins rapportaient de Lorette.

Le jeune ?cossais n'eut besoin que d'un instant pour faire les observations dont il nous a fallu quelque temps pour rendre compte, et il r?pondit, apr?s un moment de silence et en faisant une l?g?re salutation:--Je ne sais ? qui je puis avoir l'honneur de parler, mais il m'est indiff?rent qu'on sache que je suis un cadet ?cossais, et que je viens chercher fortune en France ou ailleurs, suivant la coutume de mes compatriotes.

--P?ques-Dieu! s'?cria l'a?n? des deux inconnus, et c'est une excellente coutume. Vous semblez un gar?on de bonne mine, et de l'?ge qu'il faut pour r?ussir avec les hommes et avec les femmes. Eh bien! qu'en dites vous? je suis commer?ant, et j'ai besoin d'un jeune homme pour m'aider dans mon trafic. Mais je suppose que vous ?tes trop gentilhomme pour vous m?ler des travaux ignobles du n?goce.

--Mon beau monsieur, si vous me faites cette offre s?rieusement, ce dont j'ai quelque doute, je vous dois des remerciemens; je vous prie de les agr?er: mais je crois que je ne vous serai pas fort utile dans votre commerce.

--Oh! je crois bien que tu es plus habile ? tirer de l'arc qu'? r?diger un m?moire de marchandises, et que tu sais manier un sabre mieux que la plume; n'est-il pas vrai?

--Je suis un homme de bruy?res, monsieur, et par cons?quent archer, comme nous le disons. Mais j'ai ?t? dans un couvent, et les bons p?res m'ont appris ? lire, ? ?crire, et m?me ? compter.

--P?ques-Dieu! cela est trop magnifique. Par Notre-Dame d'Embrun, tu es un v?ritable prodige, l'ami!

--Riez tant qu'il vous plaira, mon beau ma?tre, r?pliqua le jeune homme qui n'?tait pas tr?s-satisfait du ton de plaisanterie de sa nouvelle connaissance; quant ? moi, je pense que je ferais bien d'aller me s?cher, au lieu de m'amuser ici ? r?pondre ? vos questions, tandis que l'eau d?coule de mes habits.

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