bell notificationshomepageloginedit profileclubsdmBox

Read Ebook: André Cornélis by Bourget Paul

More about this book

Font size:

Background color:

Text color:

Add to tbrJar First Page Next Page

Ebook has 321 lines and 70956 words, and 7 pages

PAUL BOURGET

ANDR? CORN?LIS

Ex. XX, 13.

ALPHONSE LEMERRE, ?DITEUR

D?DICACE

? MONSIEUR HIPPOLYTE TAINE,

PAUL BOURGET.

Paris, 7 janvier 1887.

ANDR? CORN?LIS

Me souvenir?--J'ai l'impression d'avoir, durant des ann?es, gravi un calvaire de douleur! Mais quel fut mon premier pas sur ce chemin tout mouill? de taches de sang? Par o? prendre cette histoire du lent martyre dont je subis aujourd'hui les affres derni?res? Je ne sais plus.--Les sentiments ressemblent ? ces plages mang?es de lagunes qui ne laissent pas deviner o? commence, o? finit la mer, vague pays, sables noy?s d'eau, ligne incertaine et changeante d'une c?te sans cesse reform?e et d?form?e. Cela n'a pas de bornes et pas de contours. On dessine pourtant ces contr?es sur la carte, et nos sentiments aussi, nous les dessinons apr?s coup, par la r?flexion et avec de l'analyse. Mais la r?alit?, qu'elle est flottante et mouvante! Comme elle ?chappe ? l'?treinte! ?nigme des ?nigmes que la minute exacte o? une plaie s'ouvre dans le coeur,--une de ces plaies qui ne se sont pas referm?es dans le mien.--Afin de tout simplifier et de ne pas sombrer dans cette douloureuse torpeur de la r?verie qui m'envahit comme un opium, attaquons cette histoire par les ?v?nements. Marquons du moins le fait pr?cis qui fut la cause premi?re et d?terminante de tout le reste: cette mort de mon p?re, si tragique et si myst?rieuse. Essayons de retrouver la sorte d'?motion qui me terrassa, d?s lors, sans y rien m?ler de ce que j'ai compris et senti depuis...

J'avais neuf ans. C'?tait en 1864, au mois de juin, par une br?lante et claire fin d'apr?s-midi. Comme d'ordinaire, je travaillais dans ma chambre, au retour du lyc?e Bonaparte, toutes persiennes closes. Nous habitions rue Tronchet, aupr?s de la Madeleine, dans la septi?me maison ? gauche, en venant de l'?glise. On acc?dait ? cette petite pi?ce, coquettement meubl?e et toute bleue, o? j'ai pass? les derni?res journ?es compl?tement heureuses de ma vie, par trois marches cir?es sur lesquelles j'ai but? bien souvent. Tout se pr?cise: j'?tais v?tu d'un grand sarreau noir, et, assis ? ma table, je recopiais les temps d'un verbe latin sur une copie r?gl?e ? l'avance et divis?e en plusieurs compartiments... J'entendis soudain un grand cri, puis des voix affol?es, puis des pas rapides le long du couloir contre lequel donnait la porte de ma chambre. D'instinct, je me pr?cipitai vers cette porte, et, dans le corridor, je me heurtai ? un valet de chambre qui courait, tout p?le, une pile de linge ? la main,--j'en compris l'usage ensuite.--Je n'eus pas ? questionner cet homme. Il m'eut ? peine vu qu'il s'?cria comme malgr? lui:

--Ah! Monsieur Andr?, quel affreux malheur!...

Puis, ?pouvant? de ses paroles et reprenant son esprit:

--Rentrez dans votre chambre, rentrez vite...

Avant que j'eusse pu r?pondre, il me saisissait dans ses bras, me jetait plut?t qu'il ne me d?posait sur les marches de mon escalier, refermait la porte ? double tour, et je l'entendais s'?loigner en toute h?te.

--Non, m'?criai-je en me pr?cipitant sur la porte; dites-moi tout, je veux tout savoir...

Pas de r?ponse. Je pesai sur la serrure, je frappai le battant de mes poings, je m'arcboutai contre le bois avec mon ?paule. Vaines col?res! Et, m'asseyant sur la seconde marche, j'?coutai, fou d'inqui?tude, aller et venir dans le couloir les gens qui savaient, eux, <>,--mais que savaient-ils? Tout enfant que je fusse, je me rendais compte de la terrible signification que le cri du domestique portait avec lui, dans les circonstances actuelles. Il y avait deux jours que mon p?re ?tait sorti, suivant son habitude, apr?s le d?jeuner, pour se rendre ? son cabinet d'affaires, install? depuis quatre ans rue de la Victoire. Il avait ?t? soucieux durant le repas, mais, depuis des mois, son humeur, si gaie jadis, s'?tait assombrie. Au moment de cette sortie, nous ?tions ? table, ma m?re, moi-m?me et un des familiers de notre maison, un M. Jacques Termonde, que mon p?re avait connu ? l'?cole de Droit. Mon p?re s'?tait lev? avant la fin du repas, apr?s avoir regard? la pendule et demand? l'heure exacte.

--Voyons, Corn?lis, vous ?tes si press?? avait dit Termonde.

--Oui, avait r?pondu mon p?re, j'ai rendez-vous avec un client qui se trouve souffrant... un ?tranger... Je dois passer ? son h?tel pour y prendre des pi?ces importantes... Un singulier homme et que je ne suis pas f?ch? de voir de plus pr?s... J'ai fait pour lui quelques d?marches, et je suis presque tent? de les regretter.

Et depuis lors, aucune nouvelle. Le soir de ce jour, quand le d?ner, recul? de quart d'heure en quart d'heure, eut eu lieu sans que mon p?re rentr?t, lui, si m?ticuleux, si ponctuel, ma m?re commen?a de montrer une inqui?tude qui ne fit que grandir, et qu'elle put d'autant moins me cacher que les derni?res phrases de l'absent vibraient encore dans mes oreilles. C'?tait chose si rare qu'il parl?t ainsi de ses occupations! La nuit passa, puis une matin?e, puis une apr?s-midi. La soir?e revint. Ma m?re et moi, nous nous retrouv?mes en t?te-?-t?te, assis ? la table carr?e o? le couvert, tout dress? devant la chaise vide, donnait comme un corps ? notre ?pouvante. M. Jacques Termonde, qu'elle avait pr?venu par une lettre, ?tait arriv? apr?s le repas. On m'avait renvoy? tout de suite, mais non sans que j'eusse eu le temps de remarquer l'extraordinaire ?clat des yeux de cet homme,--des yeux bleus qui d'habitude luisaient froidement dans ce visage fin, encadr? de cheveux blonds et d'une barbe presque p?le. Les enfants ramassent ainsi de menus d?tails, aussit?t effac?s, mais qui r?apparaissent plus tard, au contact de la vie, comme certaines encres invisibles se montrent sur le papier ? l'approche du feu. Tandis que j'insistais pour rester, machinalement j'observai avec quelle agitation ses belles mains, qu'il tenait derri?re son dos, tournaient et retournaient une canne de jonc, objet de mes plus secr?tes envies. Si je n'avais pas tant admir? cette canne, et le combat de centaures, travail de la Renaissance, qui se tordait sur le pommeau d'argent, ce signe d'extr?me trouble m'e?t ?chapp?. Mais comment M. Termonde n'e?t-il pas ?t? saisi de la disparition de son meilleur ami? Sa voix cependant ?tait calme, cette voix si douce qui veloutait chacune de ses phrases, et il disait:

--Demain, je ferai toutes les recherches, si Corn?lis n'est pas revenu... mais il reviendra... Tout s'expliquera apr?s coup... Qu'il soit parti pour l'affaire dont il vous parlait, confiant une lettre ? un commissionnaire, et que cette lettre n'ait pas ?t? remise....

--Ah! disait ma m?re, vous croyez que c'est possible?...

Que j'ai souvent ?voqu? ce dialogue dans mes mauvaises heures, et revu la pi?ce o? il se pronon?ait,--un ?troit salon qu'affectionnait ma m?re, tout garni d'?toffes ? longues raies rouges et blanches, jaunes et noires, que mon p?re avait rapport?es d'un voyage au Maroc, et je la revoyais, elle aussi, ma m?re, avec ses cheveux noirs, ses yeux bruns, sa bouche tremblante. Elle ?tait blanche comme la robe d'?t? qu'elle portait ce soir-l?. M. Termonde ?tait, lui, en redingote ajust?e, ?l?gant et svelte. Que cela me fait sourire lorsqu'on parle des pressentiments! Je m'en allai tout rassur? de ce qu'il avait dit. Je l'admirais d'une mani?re si enfantine, et, jusque-l?, il ne repr?sentait pour moi que des g?teries. J'avais donc assist? aux deux classes du lyc?e, le coeur sinon tranquille, au moins plus apais?... Mais, tandis que j'?tais assis sur les marches de mon petit escalier, toutes mes inqui?tudes avaient recommenc?. De temps ? autre, je frappais de nouveau sur la porte, j'appelais. On ne me r?pondait pas, jusqu'au moment o? la bonne qui m'avait ?lev? entra dans ma chambre.

--Mon p?re? m'?criais-je, o? est mon p?re?

--Pauvre! pauvre!... fit la vieille femme en me prenant dans ses bras.

On l'avait charg?e de m'annoncer l'atroce nouvelle. Les forces lui manquaient. Je m'?chappai d'elle et courus dans le couloir. J'enfilai deux pi?ces vides et j'arrivai dans la chambre ? coucher de mon p?re, avant qu'on p?t m'arr?ter. Ah! sur le lit, ce corps dont le drap moulait la rigidit?, sur l'oreiller cette face exsangue, immobile, avec ses yeux fixes et grands ouverts, comme de quelqu'un ? qui l'on n'a pas ferm? les paupi?res, cette mentonni?re blanche et cette serviette autour du front, et, au pied, agenouill?e, ?cras?e de douleur, une femme encore v?tue de couleurs gaies... c'?tait mon p?re et c'?tait ma m?re! Je me jetai sur elle comme un insens?. <> dit-elle en m'?treignant avec passion. Il y avait dans ce cri une si ardente douleur, une si fr?n?tique tendresse dans cet embrassement, son coeur ?tait si gros de larmes dans cette minute, que j'ai encore chaud jusqu'au fond de l'?me, lorsque j'y pense. Puis, tout de suite, elle m'emporta hors de la chambre, pour que je ne visse plus le spectacle horrible. Ses forces ?taient d?cupl?es par l'exaltation. <> r?p?tait-elle sans prendre garde aux paroles qu'elle pronon?ait.--Elle avait toujours eu des moments de pi?t? mystique.--Et elle couvrait mon visage, mon cou, mes cheveux, de baisers et de larmes.--Pour la sinc?rit? de ces larmes ? cette seconde, que toutes nos souffrances, celles du mort et les miennes, te soient, pauvre m?re, pardonn?es! Vois-tu, m?me aux plus noires heures, et quand le fant?me ?tait l?, qui m'appelait, du moins ta douleur d'alors a plaid? pour toi plus haut que sa plainte. J'ai pu croire en toi toujours, malgr? tout, ? cause des baisers de cette seconde. Oui, ces larmes et ces baisers ne cach?rent pas une arri?re-pens?e. Ton coeur tout entier se r?volta contre la terrible aventure qui me privait de mon p?re. J'en jure par nos sanglots unis de cette seconde, tu n'?tais pour rien dans l'affreux complot. Ah! pardonne-moi d'avoir, encore aujourd'hui, besoin de m'affirmer cela, de redoubler cette ?vidence. Si tu savais comme on a soif et faim de certitude, quelquefois,--jusqu'? l'agonie.

Quand je demandai ? ma m?re, ? ce moment-l?, un r?cit de l'affreux ?v?nement, elle me dit que mon p?re avait ?t? frapp? d'une attaque dans une voiture, et, comme il n'avait point de papiers sur lui, on ?tait demeur? deux jours sans le reconna?tre. Les grandes personnes croient trop volontiers qu'il est ?galement ais? de mentir ? tous les enfants. J'?tais de ceux qui travaillent longuement en pens?e sur les discours qu'on leur tient. ? force de mettre ensemble une masse de petits faits, j'arrivai bien vite ? voir que je ne savais pas toute la v?rit?. Si mon p?re ?tait mort comme on me l'avait racont?, pourquoi le valet de chambre m'avait-il demand?, un jour qu'il me ramenait chez nous, <>? Et pourquoi cet homme avait-il ensuite gard? le silence, lui si loquace d'ordinaire? Ce m?me silence, pourquoi le sentais-je flotter autour de moi, s'abattre sur toutes les bouches, dormir dans tous les regards? Pourquoi changeait-on sans cesse de sujet de conversation, lorsque j'approchais? Je le devinais ? tant de menus signes! Pourquoi ne laissait-on plus tra?ner un seul journal, tandis que, du vivant de mon p?re, les trois feuilles auxquelles nous ?tions abonn?s se trouvaient toujours sur la table du salon? Pourquoi surtout, lorsque je rentrai au coll?ge, dans les premiers jours d'octobre, pr?s de quatre mois apr?s ce malheur, les yeux de mes camarades et m?me ceux des ma?tres se fix?rent-ils sur moi si curieusement? Ce fut, h?las! cette curiosit? qui me r?v?la toute l'?tendue de la catastrophe. Il n'y avait pas deux semaines que les cours avaient recommenc?. Je me trouvais, un matin, ? jouer avec deux nouveaux; je me souviens de leurs noms: Rastouaix et Servoin. Je revois leurs visages, la grosse face bouffie du premier et la mine chafouine du second. C'?tait dans le quart d'heure de r?cr?ation que nous prenions, quoique externes, ? l'int?rieur, entre la classe de latin et celle d'anglais. Les deux enfants m'avaient retenu, depuis la veille, pour une partie de billes, et voici qu'? la fin de cette partie, s'approchant de moi, s'encourageant du regard, ils me demandent, comme cela, sans pr?paratifs:

--Est-ce que c'est vrai qu'on vient d'arr?ter l'assassin de ton p?re?...

--Et qu'on va le guillotiner?...

Apr?s seize ans, je ne peux pas me rappeler sans horreur la sorte de battement de coeur qui me saisit ? ces deux questions. Je dus devenir affreusement p?le, car les deux ?tourdis qui m'avaient port? ce coup avec la l?g?ret? de leur ?ge,--de notre ?ge,--rest?rent l? tout d?contenanc?s. Une col?re aveugle s'emparait de moi qui me poussait ? leur ordonner de se taire et ? me jeter sur eux ? poings ferm?s, s'ils continuaient; une curiosit? folle, en m?me temps;--si c'?tait l? l'explication de ce silence dont je me sentais envelopp??--une timidit? aussi, la peur de l'inconnu. Et un flot de sang me monta au visage, tandis que je balbutiais:

--Je ne sais pas.

Le tambour qui appelait les ?l?ves en classe nous s?para. Quelle journ?e je passai, perdu d'angoisse, ? prendre et ? reprendre les deux phrases qui m'avaient boulevers?! Il e?t ?t? naturel que je questionnasse ma m?re, mais le fait est que je me sentis incapable de lui r?p?ter ce que mes deux bourreaux inconscients m'avaient dit. Chose ?trange! D?s cette ?poque, cette femme que j'aimais pourtant de tout mon coeur exer?ait sur moi une influence paralysante. Elle ?tait si belle dans sa p?leur, si royalement belle et fi?re! Non, je n'aurais jamais os? lui montrer le doute irr?sistible que deux simples demandes d'?coliers avaient soulev? en moi, et instinctivement, sur le r?cit qu'elle m'avait fait. Mais comme j'aurais ?touff? de silence, je pris le parti de m'adresser ? Julie, la bonne qui m'avait ?lev?. C'?tait une vieille fille de cinquante ans, petite, avec une face plate et rid?e comme une pomme trop m?re. Que de bont? dans ses yeux noirs, et sur toute cette face, quoique ses l?vres un peu rentr?es, ? cause de la chute de ses dents de devant, lui donnassent une bouche de sorci?re! Elle avait pleur? mon p?re aupr?s de moi, l'ayant servi autrefois, bien avant son mariage. On la gardait pour mon service particulier et de menus ouvrages, ? c?t? de la femme de chambre, de la cuisini?re et du domestique m?le. C'?tait elle qui me couchait le soir, bordant mon lit, me faisant dire mes pri?res et me confessant de mes petites peines. <> Et ce fut elle qui dans ma chambrette de petit gar?on, ? voix basse, et tandis que je sanglotais dans mon lit ?troit,--oui, ce fut elle qui me raconta la v?rit?. Du moins elle en souffrait autant que moi, et sa vieille main s?che de travailleuse aux doigts piqu?s par l'aiguille ?tait bien douce aux boucles de mes cheveux, qu'elle caressait tout en parlant.

Cette lugubre histoire, et qui mit le poids de son myst?re imp?n?trable sur toute ma jeunesse,--je l'ai retrouv?e ?crite dans les journaux de l'?poque, mais pas plus nette qu'elle ne sortit de la bouche fan?e de ma vieille bonne. La voici, dans l'aridit? de ses d?tails, telle que je l'ai tourn?e et retourn?e, des jours et des jours, avec la st?rile esp?rance d'?clairer d'un rayon ce myst?re. Mon p?re, avocat distingu?, avait depuis quelques ann?es quitt? la Cour, et achet?, dans l'intention d'arriver plus vite ? la grande fortune, un important cabinet d'affaires. Quelques relations officielles, une probit? scrupuleuse, une entente accomplie des questions les plus ardues, une puissance rare de travail lui avaient assur? bien vite une place ? part. Il occupait dix secr?taires, et le million et demi, dont nous h?rit?mes, ma m?re et moi, n'?tait que le commencement d'une richesse qu'il voulait consid?rable, un peu pour lui, beaucoup pour son fils, mais surtout pour sa femme dont il ?tait follement ?pris. Les notes et les lettres trouv?es dans ses papiers attest?rent qu'il ?tait, ? l'?poque de sa mort, en correspondance depuis un mois avec un certain William Henry Rochdale, ou soi-disant tel, charg? par la maison Crawford de San-Francisco, d'obtenir du gouvernement fran?ais une concession de chemin de fer dans la Cochinchine, alors tout r?cemment conquise. C'?tait ? un rendez-vous avec ce Rochdale que mon p?re allait en nous quittant, apr?s avoir d?jeun? avec ma m?re, M. Termonde et moi-m?me. Cela, l'instruction n'eut aucune peine ? l'?tablir. Le lieu de ce rendez-vous ?tait l'h?tel Imp?rial,--un grand b?timent ? longue fa?ade, situ? rue de Rivoli, pas tr?s loin du minist?re de la marine. Les incendies de la Commune ont d?truit ce paquet de maisons, mais que de fois, durant mon enfance, j'ai demand? ? ma bonne de passer l?, pour regarder, avec une ?motion poignante, la cour garnie de verdures, l'escalier et son tapis, la plaque de marbre noir incrust?e de lettres d'or, l'entr?e de cette funeste demeure vers laquelle ce pauvre p?re s'acheminait, tandis que ma m?re causait avec M. Termonde et que je jouais aupr?s d'eux! Mon p?re nous avait quitt?s ? midi un quart et il avait d? aller ? pied en un quart d'heure, car le concierge de l'h?tel, apr?s avoir vu le cadavre, le reconnut et se rappela que mon p?re lui avait demand? le num?ro des chambres occup?es par M. Rochdale, aux environs de midi et demi. Cet ?tranger ?tait arriv? de la veille, et, apr?s quelque h?sitation, il s'?tait d?cid? pour un appartement au second ?tage, compos? d'une chambre ? coucher et d'un salon, le tout s?par? du couloir par une petite pi?ce. Il n'?tait pas sorti depuis ce moment, et il avait pris dans son salon le d?ner du soir, puis le d?jeuner du lendemain. Le concierge se rappelait encore que, vers deux heures, ce m?me Rochdale ?tait descendu, seul; mais, habitu? aux continuelles all?es et venues, cet homme n'avait m?me pas song? ? se demander si le visiteur de midi et demi ?tait ou non reparti. Rochdale avait remis la clef de son appartement, en donnant l'ordre, si quelqu'un venait pour lui, qu'on f?t attendre en haut. Il ?tait parti ainsi, de son pas tranquille, une serviette sous le bras, fumant un cigare, et il n'avait point reparu.

La journ?e se passa. Vers la nuit, les femmes de chambre entr?rent dans l'appartement de l'?tranger pour pr?parer le lit. Elles travers?rent le salon sans y rien remarquer d'anormal. Les bagages du voyageur, compos?s d'une grande malle tr?s fatigu?e et d'un petit n?cessaire tout neuf, ?taient l?, ainsi que les objets de toilette dispos?s sur la commode. Le lendemain matin, vers midi, les m?mes servantes entr?rent, et, trouvant que le voyageur avait d?couch?, elles ne se donn?rent pas d'autre peine que de recouvrir le lit sans s'occuper du salon. Le m?me man?ge se r?p?ta le soir. Ce fut seulement le surlendemain qu'une de ces femmes, ?tant entr?e dans l'appartement au matin, et trouvant de nouveau toutes choses intactes, s'en ?tonna, fureta un peu et d?couvrit sous le canap? un corps couch? tout du long, la t?te envelopp?e de serviettes. Au cri qu'elle poussa, d'autres domestiques accoururent, et le cadavre de mon p?re,--c'?tait lui, h?las!--fut tir? de la cachette o? l'assassin l'avait plac?. Il ne fut pas malais? de reconstituer la sc?ne du meurtre. Un trou ? la nuque indiquait assez que le malheureux avait ?t? tu? par derri?re, presque ? bout portant, sans doute quand il ?tait assis ? la table, examinant des papiers. Le bruit du coup n'avait pas ?t? entendu, en raison de cette proximit? m?me d'une part, puis ? cause du fracas de la rue et aussi de la place du salon, isol? derri?re son antichambre. D'ailleurs les pr?cautions prises par le meurtrier permettaient de croire qu'il s'?tait muni d'armes assez soigneusement choisies pour que la d?tonation f?t tr?s l?g?re. La balle avait touch? la moelle allong?e, et la mort avait d? ?tre foudroyante. L'assassin avait pr?par? les serviettes toutes neuves et sans chiffres dont il enveloppa aussit?t le visage et le cou de sa victime, afin d'?viter toute trace de sang. Il s'?tait essuy? les mains ? une serviette semblable et il avait employ? pour cela l'eau de la carafe, qu'il vida ensuite ? nouveau dans cette m?me carafe qu'on retrouva cach?e sous le tablier baiss? de la chemin?e. ?tait-ce un vol ou une simulation de vol? Mon p?re n'avait plus sur lui ni sa montre, ni son portefeuille, ni aucun papier propre ? reconna?tre son identit?, qu'une indication fortuite d?couvrit cependant aussit?t. Il portait ? l'int?rieur de la poche de sa jaquette une petite bande de toile, mise l? par son tailleur, avec le num?ro de la fourniture et l'adresse de la maison d'o? venait le v?tement. On s'y transporta et c'est ainsi que l'apr?s-midi qui suivit la triste d?couverte, et apr?s les constatations l?gales, le corps put ?tre d?pos? chez nous.

Et l'assassin? Les seules donn?es offertes ? la justice furent bien vite ?puis?es. On ouvrit la malle laiss?e par ce myst?rieux Rochdale,--mais ce n'?tait certainement pas son nom;--elle ?tait remplie d'objets achet?s au hasard, comme la malle elle-m?me, chez un marchand de bric-?-brac que l'on retrouva, et qui donna un signalement tr?s diff?rent de celui qu'avait fourni le concierge de l'h?tel Imp?rial, car il d?peignit le pr?tendu Rochdale comme un homme blond et sans barbe, tandis que le concierge le d?crivait comme un homme tr?s brun, tr?s barbu, et tr?s basan?. On retrouva aussi le fiacre qui avait charg? la malle aussit?t achet?e, et la d?position du cocher fut identique ? celle du marchand de bric-?-brac. L'assassin s'?tait fait conduire par ce fiacre, d'abord dans une boutique d'objets de voyage, o? il avait achet? un n?cessaire, puis dans un magasin de blanc, o? il s'?tait procur? les serviettes, puis ? la gare de Lyon, o? il avait d?pos? la malle et le n?cessaire ? la consigne. On retrouva l'autre fiacre, celui qui trois semaines plus tard l'avait amen? de la gare ? l'h?tel Imp?rial, et le signalement donn? par ce second cocher se trouva ?tre le m?me que celui de la d?position du concierge. On en conclut que dans l'intervalle de ces trois semaines l'assassin s'?tait grim?,--car les t?moignages concordaient sur l'allure, le timbre de la voix, les mani?res et la carrure.--Cette hypoth?se fut confirm?e par un coiffeur du nom de Jullien, lequel vint raconter de lui-m?me ce singulier d?tail: un personnage au teint clair, aux cheveux blonds, glabre, grand et large d'?paules, comme le marchand de bibelots et le premier cocher d?crivaient Rochdale, ?tait venu, le mois pr?c?dent, ? sa boutique, commander une perruque et une barbe assez bien ex?cut?es pour qu'on ne p?t le reconna?tre. Il s'agissait, disait-il, de figurer dans une soir?e costum?e. Cet inconnu prit livraison, en effet, d'une perruque et d'une barbe noires; il se munit de tous les ingr?dients n?cessaires pour se grimer en Am?ricain du Sud, il acheta du Kh?l pour se noircir les paupi?res, une composition de terre de Sienne et d'ambre pour colorer son teint. Le maquillage lui r?ussit assez bien pour qu'il p?t revenir chez Jullien sans que ce dernier le reconn?t. Le coiffeur avait ?t? trop ?tonn? de cette perfection dans le d?guisement, et aussi de l'?tranget? de ce bal masqu? donn? en plein ?t?, pour que son attention ne f?t pas attir?e lors des articles des journaux sur le myst?re de l'h?tel Imp?rial, comme on appela cette affaire. Mais quoi? cette r?v?lation rendait plus difficile encore la t?che des magistrats en d?montrant quelles pr?cautions avait multipli?es l'inconnu. On d?couvrit chez mon p?re deux lettres sign?es Rochdale, dat?es de Londres, mais sans leurs enveloppes, et toutes deux ?crites d'une ?criture renvers?e, que les experts jug?rent simul?e. Il avait d? remettre quelque m?moire justificatif. Peut-?tre mon p?re le portait-il dans la serviette que l'assassin avait prise aussit?t son crime accompli. La maison Crawford de San-Francisco existait r?ellement, mais elle n'avait jamais form? le projet d'une entreprise de voie ferr?e en Cochinchine. On ?tait en pr?sence d'un de ces probl?mes criminels qui d?fient l'imagination. Ce n'?tait probablement pas pour voler que l'assassin avait multipli? ? ce degr? les habilet?s de ses ruses. On n'attire pas un homme d'affaires dans un pi?ge combin? avec cette perfection, pour lui d?rober quelques billets de mille francs et une montre. ?tait-ce une vengeance? On fouilla dans la vie priv?e de mon p?re, et l'on d?couvrit qu'il avait eu quelques-unes de ces faiblesses communes aux jeunes gens de sa classe et de son temps. Il avait ?t? li? autrefois avec une femme mari?e, mais cette intrigue ?tait rompue depuis longtemps, et, si le mari l'avait jamais soup?onn?e, pourquoi aurait-il attendu, avant de s'en venger, que cette relation f?t bris?e? D'ailleurs cet homme, vieux de cinquante-cinq ans ? cette ?poque, engag? dans de grandes entreprises industrielles, n'avait pas un caract?re ? pousser ainsi une passion jusqu'au crime, et son signalement de Parisien ch?tif ne correspondait en rien ? celui du faux Rochdale. ?tait-il admissible que sa femme e?t voulu se venger, elle, par quelque instrument docile, d'un abandon ancien? Dans le d?lire de mes premi?res recherches, plus tard, j'en suis venu ? r?ver cela. J'ai tenu ? la conna?tre. Je l'ai vue. Elle avait des cheveux blancs et un fils plus ?g? que moi,--qui sait? peut-?tre mon fr?re? L'?trange impression que je ressentis ? songer que mon p?re avait aim? cette femme qui me regardait avec des yeux o? elle ne savait pas que je cherchais une inqui?tude! Et je ne trouvais dans ces beaux yeux bleus, demeur?s la seule jeunesse d'un visage vieilli, qu'un attendrissement profond, quelque chose de si doux et de si triste, une telle piti? m?lang?e ? tant de souvenirs que j'eus honte de mes soup?ons comme d'une infamie.

Les faits qui suivirent? Je me les rappelle ? peine. Ils furent si petits, si m?diocres, entre cette premi?re vision d'?pouvante et la vision de tristesse qui lui succ?da deux ann?es plus tard. En 1864, mon p?re mourait. En 1866, ma m?re ?pousait M. Jacques Termonde. Dans l'intervalle de ces deux dates se place une p?riode qui n'est pourtant pas abolie de mon souvenir, car c'est la seule o? ma m?re se soit occup?e de moi avec une attention suivie. Avant la date fatale, c'?tait mon p?re, et, plus tard, ce ne fut personne. Nous avions quitt? notre appartement de la rue Tronchet, qui nous rappelait trop le sinistre drame, et nous nous install?mes dans un petit h?tel du boulevard de Latour-Maubourg, qui avait appartenu ? un peintre amateur. Un mince jardin l'entourait, qui semblait plus grand parce que d'autres jardins verdoyaient derri?re son mur d'enclos. Cet h?tel renfermait une esp?ce de hall qui avait ?t? l'atelier du pr?c?dent propri?taire, et dont ma m?re fit presque tout de suite sa pi?ce d'habitation. Il y avait en elle, je le comprends aujourd'hui ? distance, quelque chose d'irr?el et d'un peu th??tral, mais si na?vement, qui la poussait ? exag?rer l'expression visible de tous les sentiments qu'elle ?prouvait. Tandis qu'elle s'occupait ? ?tudier avec une enfantine coquetterie les attitudes propres ? traduire son ?motion, elle laissait cette ?motion elle-m?me s'en aller de son coeur. C'est ainsi que, dans l'exil volontaire o? elle voulut se clo?trer apr?s son malheur, ne recevant plus qu'un petit nombre d'amis dont ?tait M. Jacques Termonde, elle recommen?a bien vite de se parer et de parer toutes choses autour d'elle, avec le go?t d?licat et subtil qui lui ?tait inn?. C'?tait une femme d'une beaut? singuli?re, mince et p?le, avec des cheveux si longs qu'ils tombaient r?ellement jusqu'? terre quand elle les peignait devant moi le matin. Devait-elle cette beaut? originale de son fin profil, de ses yeux si doux et de sa fragile personne aux gouttes du sang grec qui coulaient dans ses veines? Son a?eul maternel ?tait un M. Votronto, venu du Levant ? Marseille, lors de l'annexion des ?les Ioniennes ? la France. Toujours est-il que souvent depuis j'ai pens? au contraste ?trange de cette beaut? si rare et si menue avec la solide et lourde carrure de mon p?re, et avec la mienne propre. Qui peut dire que ce ne fut pas l? une grande cause ? tant de malentendus irr?parables? Mais, ? cette ?poque, je ne raisonnais pas. Je subissais le charme de cet ?tre gracieux qui me disait: <>. Quand elle ?tait assise ? son piano dans cet asile ?l?gant qu'elle s'?tait organis? parmi les ?toffes drap?es, les plantes vertes et tout un petit d?cor si ? elle, je la contemplais avec une idol?trie infinie. ? cause d'elle, je m'effor?ais, malgr? ma maladresse native, de me garder bien propre dans les costumes de plus en plus compos?s qu'elle me faisait porter, et de plus en plus aussi la terrible image de l'assassin? s'effa?ait de cet int?rieur,--dont toute la d?licatesse ?tait cependant pay?e par la fortune que nous avait laiss?e son travail ? lui. La vie moderne comporte si peu le drame sanglant, les rudes sauvageries du meurtre et de la passion, que les sc?nes tragiques auxquelles une famille a pu assister semblent bien vite, aux personnes m?mes de cette famille, une esp?ce de songe, un cauchemar dont il est impossible de douter et auquel on ne croit pourtant pas enti?rement.

Oui, la vie avait repris son cours presque normal quand le second mariage de ma m?re me fut annonc?. Je me souviens, cette fois, avec une pr?cision minutieuse, non seulement de l'?poque, mais du jour et de l'heure. Je me trouvais en vacances chez mon unique tante, une soeur de mon p?re, vieille demoiselle de quarante-cinq ans, qui habitait Compi?gne. Elle vivait l?, dans une maison situ?e ? l'extr?mit? de la ville, avec trois domestiques, parmi lesquels ?tait ma bonne Julie, dont le caract?re ne convenait pas ? maman. Ma tante Louise ?tait petite, avec un air d'une personne de province;--? peine si elle consentait ? visiter Paris pour quarante-huit heures, quand vivait mon p?re. Elle portait presque toujours une robe de soie noire faite ? la maison, avec une ligne de blanc au cou et aux poignets, et autour du cou aussi une vieille cha?ne d'or, tr?s longue, qui passait sous son corsage et ressortait ? sa ceinture avec sa montre et des breloques anciennes. Quand elle n'avait pas son bonnet ? rubans, noirs comme sa robe, ses cheveux grisonnants montraient leurs bandeaux et encadraient un front et des yeux d'une telle expression de douceur, que la pauvre femme plaisait tout de suite, malgr? son nez un peu fort, ses l?vres trop larges et son menton trop long. Elle avait ?lev? mon p?re ici m?me, dans cette petite ville de Compi?gne. Elle lui avait donn? de sa fortune ce qu'elle avait pu distraire des besoins si simples de sa vie. Quand il avait voulu ?pouser Mlle de Slane, c'?tait le nom de jeune fille de maman, elle l'avait dot? pour que la famille o? il voulait entrer s'ouvr?t plus ais?ment devant lui. Combien elle avait souffert depuis deux ans, le contraste entre le portrait que j'avais d'elle dans mon album d'enfant et de son visage actuel le disait assez. Ses cheveux avaient beaucoup blanchi, les rides qui vont des narines aux coins des l?vres s'?taient creus?es, ses paupi?res s'?taient comme fl?tries. Et cependant elle ne s'?tait livr?e ? aucune d?monstration. ? mon regard de petit gar?on observateur, l'antith?se entre le caract?re de ma m?re et celui de ma tante se pr?cisait dans la diff?rence de leurs douleurs. Alors j'avais de la peine ? comprendre la r?serve de la vieille fille dont je ne pouvais cependant pas suspecter la tendresse. Aujourd'hui, c'est pour l'autre sorte de nature que je suis injuste. Ma m?re aussi avait l'?me tendre, si tendre qu'elle ne s'?tait pas sentie capable de me r?v?ler sa vie nouvelle, et c'?tait ma tante qui s'en chargeait. Elle n'avait pas voulu assister au mariage, et M. Termonde avait pr?f?r?, je l'ai su depuis, que je n'y assistasse point, afin sans doute d'?pargner la sensibilit? de celle qui devenait sa femme. Mon Dieu! comme ma tante Louise, malgr? sa surveillance d'elle-m?me, avait des larmes au bord de ses yeux bruns lorsqu'elle m'emmena dans le fond du jardin, o? mon p?re avait jou?, enfant comme moi. Les teintes dor?es du mois de septembre commen?aient ? s'?tendre sur le feuillage des arbres. Le berceau sous lequel nous nous ass?mes ?tait garni d'une vigne dont les raisins, d?j? presque blonds, attiraient un vol bourdonnant de gu?pes. Ma tante prit mes deux mains dans les siennes et commen?a:

--Andr?, j'ai ? te faire part d'une grande nouvelle.

Je la regardai avec anxi?t?. De la secousse que m'avait inflig?e l'affreux ?v?nement, il me restait une sorte de susceptibilit? nerveuse. Pour la moindre surprise, mon coeur battait ? me faire mal.

--Ta m?re se remarie, dit simplement la vieille fille, ? laquelle mon trouble ne put ?chapper.

Chose ?trange, cette phrase ne me causa pas tout de suite l'impression que mon regard de tout ? l'heure aurait fait pr?voir. ? l'accent de ma tante, j'avais pens? qu'elle allait m'apprendre une maladie de maman ou sa mort. Mon imagination frapp?e avait de ces peurs. Ce fut donc avec un certain calme que je r?pondis:

--Avec qui?

--Tu ne devines pas? demanda ma tante.

--Avec M. Termonde? fis-je brusquement.

--Avec M. Termonde, fit-elle, oui, c'est vrai; mais pourquoi as-tu pens? ? lui tout de suite?... Et, me regardant jusqu'au fond des yeux, elle me dit, ? voix basse, comme si elle avait eu honte de poser une question semblable ? un enfant:

--Que sais-tu?

? ces mots, et sans autre motif qu'une esp?ce d'?nervement presque maladif auquel j'?tais en proie depuis la mort de mon p?re, je me mis ? fondre en larmes.--Des crises pareilles me prenaient quelquefois, tout seul, enferm? dans ma chambre, le verrou tir?, victime d'une angoisse dont je ne pouvais pas triompher, et comme ? l'approche d'un danger. Je pr?voyais d'avance les pires accidents: par exemple, que ma m?re allait ?tre assassin?e comme mon p?re, et moi ensuite, et j'?piais sous tous les meubles. Quand je me promenais avec un domestique, il m'arrivait de me demander si cet homme n'?tait pas complice du myst?rieux criminel et charg? de me conduire ? lui, ou tout au moins de me perdre. Mon imagination, trop excit?e, me dominait. Je me voyais ?chappant au complot, et, pour mieux m'y d?rober, gagnant Compi?gne. Aurais-je assez d'argent? Et je me disais qu'il serait possible de vendre ma montre ? un vieil horloger que je regardais, en allant au lyc?e, travailler, sa loupe contre son oeil droit, derri?re la vitre d'une petite ?choppe. Triste puissance de pr?voir le pire qui m'a ainsi empoisonn? tant d'heures inoffensives de mon enfance!--C'?tait elle encore qui me faisait ? ce moment, et sous la tonnelle de ce jardin d'automne, ?clater en sanglots tandis que ma tante me demandait de lui dire ce que j'avais sur le coeur contre M. Termonde. Le plus douloureux de mes griefs d'alors, je le lui contai, la t?te appuy?e contre son ?paule, et ce grief r?sumait tous les autres. Il y avait de cela deux mois ? peine. Je revenais du coll?ge, vers les cinq heures, contre l'habitude parfaitement gai. Le professeur, comme il arrivait dans les derni?res classes de l'ann?e, nous avait fait une lecture divertissante, et j'avais re?u de sa bouche, ? la sortie, des compliments sur mes compositions de prix. Quelle bonne nouvelle ? rapporter chez nous et qui me vaudrait un baiser plus tendre! Je me pr?cipitai, aussit?t mes cahiers d?pos?s et mes mains lav?es sagement, vers le petit salon o? se tenait ma m?re. J'entrai sans frapper, avec tant de vivacit? qu'elle poussa un l?ger cri lorsque je m'?lan?ai vers elle pour l'embrasser. Elle ?tait debout contre la chemin?e, toute p?le, et M. Termonde aupr?s d'elle, debout aussi, qui me saisit par le bras, pour m'?carter.

--Ah! disait ma m?re, que tu m'as fait peur!...

--Est-ce que c'est une mani?re d'entrer dans un salon? reprit, de son c?t?, M. Termonde.

Add to tbrJar First Page Next Page

 

Back to top