Read Ebook: Mémoires du maréchal Marmont duc de Raguse (8/9) by Marmont Auguste Fr D Ric Louis Viesse De Duc De Raguse
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utiles auxiliaires pour surmonter les obstacles qu'il peut trouver sur sa route et vaincre les difficult?s qu'il aura encore ? combattre. Il a justifi? mon opinion sur sa sagesse par la mani?re dont il a envisag? les projets d?raisonnables de M. de Polignac au moment o? il les a connus, et le bl?me qu'il leur a donn? d?montre suffisamment ? quel point il aurait ?t? loin de son esprit de les conseiller.
Tout porte ? croire que Nicolas s'est impos? la t?che particuli?re de r?g?n?rer l'int?rieur en Russie et d'?purer l'administration. Cette t?che est immense; il faut sa force, sa jeunesse et sa volont? pour l'entreprendre avec esp?rance de r?ussir.
Tout le monde sait quelle corruption existait en Russie dans la haute classe. Je m'abstiendrai d'en rien dire; mais je ferai observer seulement, quant aux femmes, qu'il s'est fait, depuis vingt ans, une grande r?volution en faveur des moeurs: car les d?sordres qui avaient lieu du temps de Catherine II ont ? peine laiss? des souvenirs. L'exemple des souverains a toujours sur leur cour une grande influence, et nulle part plus qu'en Russie cette influence ne se fait sentir. Aussi l'imp?ratrice-m?re, dont la vie est au-dessus de tout soup?on, a-t-elle exerc? l'action la plus salutaire. Depuis, les vertus domestiques de Nicolas et de l'imp?ratrice ont corrobor? des principes respect?s par tout le monde aujourd'hui. La soci?t? de Saint-P?tersbourg est remarquable par une grande r?gularit?. Quant aux hommes, la d?licatesse de moeurs, habituelle ? l'occident de l'Europe, leur est encore inconnue, et peut-?tre en trouverai-je une explication naturelle.
Les institutions et les circonstances dans lesquelles se trouvent les soci?t?s sont dans des conditions d?termin?es. Les hommes en re?oivent plus particuli?rement l'empreinte. Or trois choses, ? mon avis, ont donn? aux Allemands, aux Fran?ais et aux Anglais cette noblesse de coeur qui les distingue.
Je place en premi?re ligne la chevalerie et son esprit, cet effort des temps barbares pour arriver ? un ?tat meilleur: association des bons contre les mauvais, ?lan g?n?reux vers la vertu la plus sublime, le sacrifice de soi-m?me au profit des autres. Elle a d? avoir une grande influence sur les moeurs; et, quand son but a ?t? rempli, quand la marche de la civilisation l'a rendue moins n?cessaire, il en est rest? une galanterie, un respect de soi-m?me, une dignit? personnelle qui, en g?n?ral, ont ?t? et sont encore l'apanage des classes ?lev?es.
Je place ensuite l'influence salutaire du clerg?. Un clerg? riche, instruit et puissant, dont l'instruction sup?rieure a servi puissamment au d?veloppement des lumi?res, a ?t?, aux yeux des peuples, un exemple vivant de dignit? et d'ind?pendance morale. Ses hautes vertus et ses enseignements ont ?pur? les moeurs; ses ?carts m?mes ont sembl? produire le m?me r?sultat, car, si, ? une ?poque d?j? loin de nous, la corruption s'y est montr?e, la r?forme en a ?t? la suite, et alors le rigorisme a remplac? le rel?chement.
Enfin je mentionnerai une troisi?me puissance de la soci?t?, l'ordre judiciaire. La magistrature, de bonne heure, s'est rendue respectable par ses lumi?res et par son int?grit?. La justice, on le sait, est le premier besoin des hommes. L? o? l'autorit? l'assure, les individus se dispensent de chercher ? se la faire eux-m?mes; et il en r?sulte le maintien du bon ordre et de la paix int?rieure. Quand il en est autrement, la confusion et les d?sordres en sont les cons?quences; car, sous pr?texte de se faire justice, chaque individu, juge dans sa propre cause, s'abandonne bient?t ? ses passions, et alors il n'y a aucun frein aux crimes, aux vengeances, ? la corruption.
En Russie, ces trois ?l?ments de bon ordre et d'?ducation pour le peuple ont manqu? ? la fois. La chevalerie n'y a jamais exist?; le clerg? est ignorant et pauvre; la justice civile et criminelle avait un tarif pour ses d?cisions. L'?tat de confusion, il est vrai, o? se trouve la l?gislation, qui n'est qu'une collection des ukases rendus, en diverses circonstances, pour des faits particuliers, v?ritable d?dale o? l'on ne sait comment se retrouver; cet ?tat de confusion, dis-je, se pr?te merveilleusement ? l'arbitraire, au caprice et ? la corruption. Ce sera un des plus grands bienfaits de l'empereur actuel envers ses peuples que le code dont il a ordonn? la r?daction. Il ?tablira, dans peu d'ann?es, un mode r?gulier de jugement, et, en simplifiant les questions, il garantira la surveillance du gouvernement, l'?quit? et la r?gularit? des d?cisions.
Les causes que je viens d'indiquer ont exerc? une influence f?cheuse sur les moeurs de la haute classe de la soci?t?. Si l'on ajoute ? cela la puissance immense du ma?tre, qui, d'un mot, peut an?antir ce qu'il y a de plus grand ou ?lever ce qu'il y a de plus petit, sa pr?sence partout, son action sur tout, on comprendra ? quel point les caract?res ont pu se d?grader. On croira donc sans peine tout ce qui a ?t? dit sur la haute classe en Russie et r?p?t? trop souvent ailleurs, pour que j'en parle davantage ici; mais je dirai que l'administration proprement dite, les agents du gouvernement, d?positaires de deniers et de mati?res, passent en g?n?ral pour ?tre dilapidateurs. On pr?tend qu'il n'y a pas un r?giment sur lequel le colonel ne sp?cule; pas un magasin dont le gardien ne vende une partie ? son profit; pas un administrateur qui n'ait des int?r?ts personnels oppos?s ? ceux du souverain. Tel capitaine de vaisseau vendit, dans ses voyages, ses approvisionnements, ses agr?s et jusqu'? ses canons. Comme il n'y avait pas, lorsque j'?tais en Russie, au moins, de mode r?gulier et journalier de comptabilit?, rien ne garantissait la conservation des approvisionnements maritimes. Aussi, au moment o? l'empereur est mont? sur le tr?ne, il y avait trente ans qu'aucune comptabilit? n'avait ?t? arr?t?e. Nicolas, dont la pens?e et la volont? est de r?tablir l'ordre, y parviendra s'il est dans la puissance d'un homme de le faire. Actif, ferme, laborieux, ayant devant lui un grand nombre d'ann?es ? y consacrer, il a entrepris un travail ? l'imitation de ceux d'Hercule.
Peu apr?s mon arriv?e ? Saint-P?tersbourg, il envoya dans le port d'Arkhangel un de ses aides de camp pour prendre une connaissance d?taill?e des faits et de la situation des choses, et pr?parer des poursuites. Ayant eu avis de graves dilapidations commises dans le port de Cronstadt, il envoya, afin de les constater et de conna?tre les coupables, un officier de confiance pour faire mettre devant lui les scell?s sur les magasins. Cette d?marche annon?ait une suite d'op?rations; mais tous ces calculs furent d?jou?s. Un incendie consuma les magasins, et les comptables eurent ainsi bient?t rendu les comptes de leur gestion pendant un grand nombre d'ann?es. Les sages mesures de l'empereur se trouv?rent d?s lors sans effet.
Divers voyageurs ont rendu un compte d?taill? des choses curieuses et dignes de remarque que renferment Saint-P?tersbourg et les environs. J'en dirai cependant un mot ici, et j'exprimerai succinctement les r?flexions que leur vue m'a inspir?es.
La manufacture d'Alexandrowsky, premier ?tablissement que je visitai, est une filature de coton d'une grande beaut?. Le nombre des ouvriers s'?l?ve ? six mille. Il y r?gne un grand ordre. Les machines ? vapeur sont belles. En g?n?ral cette manufacture offre un coup d'oeil satisfaisant et pr?sente l'id?e d'une bonne direction. Un Anglais est plac? ? sa t?te. Les produits sont beaux; cependant les fils sont loin d'atteindre la finesse obtenue en France et en Angleterre, et on a renonc? ? produire divers num?ros.
Cette fabrique, appartenant ? l'empereur, ?tait sous la protection particuli?re de l'imp?ratrice-m?re, et le personnel des ouvriers, compos? uniquement d'enfants trouv?s. ? vingt ans, ils sont libres et s'engagent volontairement ? la fabrique, ou la quittent, s'ils le pr?f?rent. L'administration a pourvu, non-seulement ? leur instruction pour leur assurer les moyens de gagner leur vie par leur propre industrie, mais encore elle tend ? leur former, par des retenues sur le prix de leurs travaux, un petit capital suffisant pour leur fournir une premi?re ressource. Par suite il se trouve que les enfants trouv?s sont v?ritablement une classe privil?gi?e. Un enfant l?gitime, fils d'un paysan, ne peut ?tre affranchi que par la volont? de son seigneur. Il est tel paysan, livr? au commerce et ayant acquis des millions, qui ne peut, ? aucun prix, obtenir sa libert?, tandis que l'enfant trouv?, n'appartenant ? personne, mais prot?g? par le gouvernement, entre dans la soci?t? avec tous les droits d'un citoyen. D'apr?s cela, avec le temps, cette classe aura beaucoup contribu? ? la formation d'une esp?ce de bourgeoisie enrichie par le commerce et l'industrie.
Malgr? la belle apparence de cette fabrique, je la crois d'un faible produit pour le gouvernement. Elle doit ?tre plus ? sa charge qu'? son profit. En la consid?rant comme ?cole pour les ouvriers, elle devrait favoriser par tous les moyens les ?tablissements particuliers et ne pas leur pr?senter souvent une rivalit? funeste.
En g?n?ral, quand un gouvernement veut naturaliser chez lui une industrie, il doit faire les premiers frais, parce qu'il est assez riche pour supporter les pertes qui accompagnent toujours les d?buts; mais, quand l'?ducation est faite, quand l'industrie, naturalis?e, peut ?tre exploit?e avec succ?s par les particuliers, il doit se retirer de la concurrence et leur c?der ses ?tablissements. Tout le monde s'en trouve bien; le gouvernement ne d?pense plus, et les particuliers n'ont plus ? craindre un rival pourvu de trop d'avantages et trop favoris?. C'est d'apr?s ce principe qu'il y a bien des ann?es, ?tant premier inspecteur g?n?ral de l'artillerie, j'ai d?cid? le gouvernement ? renoncer ? la possession d'une manufacture d'armes de luxe, ?tablie ? Versailles, fort dispendieuse, mais qui n'en a pas moins prosp?r? quand elle est devenue propri?t? particuli?re.
La fabrique de glaces, que je vis ensuite, est remarquable par la dimension des ouvrages qui en sortent; cette manufacture est productive pour le gouvernement. On y polit les glaces ? la machine; mais ce polissage est moins parfait qu'en France, o? il se fait ? la main.
L? manufacture de porcelaine, situ?e dans le voisinage, ne m?rite aucune mention et ne devrait pas ?tre montr?e aux ?trangers.
La Monnaie, plac?e dans la forteresse, est tr?s-belle et tr?s-curieuse ? voir. Cet ?tablissement a atteint un degr? de perfection tr?s-sup?rieur ? ce qui existe en France, ou au moins y existait il y a peu d'ann?es. Une machine ? vapeur de la force de soixante chevaux, construite ? Saint-P?tersbourg, est une des plus belles et des meilleures que j'aie jamais vues fonctionner. Les Anglais ne font pas mieux, et nous, nous faisons beaucoup moins bien. Toutes les pi?ces de monnaie sont frapp?es au moyen d'un moteur commun, et l'on en frappe jusqu'? six et sept ? la fois. Le travail relatif ? l'?purement de l'or des mines de Sib?rie s'ex?cute au moyen de l'acide nitrique. Cette m?thode est plus ?conomique que l'emploi du mercure, dont on fait usage dans d'autres pays. Les pi?ces de monnaie sont assez belles. Elles pr?sentent une singularit? remarquable. Elles ne sont pas ? l'effigie du souverain. Depuis Paul, les empereurs de Russie ont fait cet acte de modestie. Du temps de Catherine II, elles portaient son image.
Une chose digne d'une grande admiration est l'?cole des mines. La mani?re dont elle est tenue et organis?e, ne laisse rien ? d?sirer. L'instruction donn?e est compl?te et la place d?j? ? la hauteur de tout ce qu'il y a de mieux en Europe en ce genre. Des galeries, construites ? l'imitation de celles d'exploitation, o? les diff?rents min?raux sont plac?s dans leurs gangues habituelles, et avec leur physionomie naturelle, compl?tent l'instruction des ?l?ves et leur donnent, pour ainsi dire, des connaissances pratiques.
Rien, au surplus, n'est d'un plus grand int?r?t pour l'empire russe que la formation de bons ing?nieurs des mines. Les richesses immenses, renferm?es dans les monts Ourals, mises chaque jour davantage ? d?couvert, semblent destin?es ? compl?ter ses moyens de puissance. Quand, aux avantages d'avoir ? la fois des arm?es braves, nombreuses et instruites, des peuples anim?s de ce d?vouement sans bornes, apanage du premier ?ge des nations sous une direction ?clair?e, il joindra encore la possession de grands tr?sors, on se demande comment on pourra lui r?sister.
Les r?sultats obtenus dans l'exploitation des mines d'or, en peu d'ann?es, et avant d'avoir un grand nombre d'ing?nieurs suffisamment instruits, sont ? peine croyables. ? l'exploitation des mines de fer a ?t? ajout?e celle des mines de cuivre, et maintenant voil? des mines d'or tellement riches, qu'on ?tait parvenu, ? l'?poque dont je parle, et au moment o? l'exploitation ?tait encore dans l'enfance, ? r?colter par an pour douze millions de francs d'or, quand les mines d'Am?rique, celles du Br?sil, du Mexique et du P?rou, n'ont jamais donn?, d'apr?s M. de Humboldt, que soixante millions par ann?e. Au moment o? j'?cris, les produits sont presque doubles.
Il y a deux natures d'exploitation, celle des mines en filon, et celle des sables aurif?res. Depuis le commencement de l'exploitation des mines d'Am?rique, le plus gros morceau d'or natif qu'on ait recueilli p?se trente-six livres. Il est d?pos? au cabinet d'histoire naturelle de S?ville. ? peine quelques coups de marteau avaient ?t? donn?s dans les galeries des monts Ourals, qu'un morceau d'or de vingt-quatre livres a ?t? trouv?. Il est expos? ? l'?cole des mines de Saint-P?tersbourg. L'espace occup? par les sables aurif?res pr?sente une surface de deux mille verstes carr?es. L'exploitation de ces sables n'a rien de dispendieux. Ils sont ? la superficie. Ils rendent peu par le lavage; mais, en traitant le minerai par le feu, avec le plomb ou au moyen du m?lange avec le mercure, les produits, d'abord tierc?s, ont fini par ?tre d?cupl?s.
Pour donner une id?e de la progression des recherches utiles faites dans les exploitations, je citerai, comme exemple, ce qui s'est pass? sur les terres d'un particulier russe, le comte Demidoff, dont le nom est assez connu. Il y a trente ans, ses forges en Sib?rie lui rapportaient quinze cent mille francs. Les mines de cuivre, trouv?es pr?s de ses mines de fer, ont doubl? sa fortune; et celles d'or, reconnues ensuite, l'ont augment?e encore d'une somme pareille.
L'?cole des mines, si utile, si compl?te, ne co?te presque rien ? l'?tat, et cette observation s'applique ? bien d'autres ?tablissements, dont je rendrai compte; car leur bas prix est ? peine croyable. Pour celui-ci, l'empereur d?bourse seulement cent trente mille francs par an. Avec cette somme, soixante-dix ?l?ves, nomm?s par lui, sont entretenus. L'?tablissement re?oit en outre trois cents ?trangers payant huit cents francs, qui y acqui?rent l'instruction la plus ?tendue.
Un autre ?tablissement, dont j'ai approfondi les d?tails avec un vif int?r?t, est celui des voies de communication, autrement dit, dans le langage fran?ais, ponts et chauss?es. Fond? par l'empereur Alexandre, au moyen d'ing?nieurs des ponts et chauss?es fran?ais, mis ? sa disposition par Napol?on, il est sous les ordres de l'un d'eux, le g?n?ral Bazaine, son chef aujourd'hui. Homme d'un m?rite sup?rieur, le g?n?ral Bazaine jouit avec raison d'une c?l?brit? m?rit?e. Cet ?tablissement ?tait alors sous une sorte de surintendance du duc Alexandre de Wurtemberg, oncle de l'empereur, homme d'esprit, mais dont l'intervention ?tait plus nuisible qu'utile. Instruit seulement d'une mani?re superficielle, il commettait souvent de grandes erreurs qu'il soutenait par son esprit et sa position.
Ce corps nombreux fait le service de tout l'empire. Il a ?t? augment? depuis peu, et port? jusqu'? six cents ing?nieurs. Les connaissances exig?es sont tr?s-?tendues, et peut-?tre trop ?tendues; car on y comprend les connaissances propres aux ing?nieurs militaires, afin de les mettre ? m?me de remplacer ceux-ci au besoin.
L'?cole se compose de cent ?l?ves, dont quatre-vingt-dix sont entretenus aux frais de l'empereur, et les dix autres ? leurs propres d?pens ou ? ceux de l'imp?ratrice ou des princes de la famille imp?riale. Elle ne co?te que cent trente mille francs par an. Les sommes consacr?es aux travaux publics sont fix?es chaque ann?e ? six millions, dont moiti? pour entretien et moiti? pour constructions nouvelles.
Une remarque faite par le g?n?ral Bazaine, et dont il m'a fait part, est digne d'?tre consign?e ici. Les Russes sont par leur nature ?minemment gens d'imitation. Ils arrivent vite ? un degr? de connaissances assez ?lev?, mais s'arr?tent ? une limite qu'ils ne peuvent presque jamais d?passer. La direction de cette ?cole lui a donn? l'occasion de faire constamment cette observation.
La Russie est tr?s-avanc?e pour sa navigation int?rieure. Ses belles et grandes rivi?res ayant peu de pente, l'absence des montagnes sur cette immense surface, entre les monts Karpathes et les monts Ourals, a rendu facile la construction des canaux qui lient la navigation des fleuves et la compl?tent. On y ajoute encore chaque jour; mais d?s ? pr?sent ou d'ici ? tr?s-peu de temps on pourra aller, par les eaux int?rieures, de la Baltique ? la mer Glaciale, des mers Baltique et Glaciale aux mers Noire et Caspienne. Tous les travaux s'ex?cutent ? si bas prix en Russie, les moyens d'ex?cution sont si abondants, qu'il n'y a pas d'entreprise qu'il ne soit facile de mener ? bien. La nature m?me semble s'y pr?ter par le peu d'obstacles que les localit?s pr?sentent. On doit donc trouver tout simple qu'ils soient d?j? tr?s-avanc?s.
Les principales communications, ind?pendamment de la navigation propre de beaucoup d'autres rivi?res, sont les suivantes:
De pareilles lignes de communication sont de puissants ?l?ments de richesse et de prosp?rit?!
L'?cole du g?nie militaire est ?tablie dans le palais Michel, dans ce palais qu'occupait Paul, o? il s'?tait fortifi? et o? il a p?ri. J'ai vu cette ?cole en d?tail, et je n'ai trouv? que des ?loges ? lui donner. L'instruction des ?l?ves m'a paru compl?te et ? peu pr?s la m?me que celle des ?l?ves de l'?cole de Metz. Le g?n?ral Opperman, sous les ordres duquel elle est plac?e, est un homme distingu?. Des plans en relief des places principales de l'empire, ? l'instar de ce qui existe aux Invalides, sont ex?cut?s. On y voit la place de Swenborg en Finlande, sans doute aussi forte que Gibraltar. On a repr?sent? dans cette collection de reliefs le champ de bataille de la Moskova. Des reliefs de cette ?tendue ne satisfont pas l'esprit et ne donnent pas le sentiment des localit?s. J'ai vu ? cette ?cole des planches en cuivre, rev?tues d'un enduit particulier, poss?dant les propri?t?s des pierres ? lithographier, et formant un appareil portatif et propre au service de la guerre.
On me montra en d?tail l'?tablissement de l'?tat-major, dont les attributions se composaient alors du personnel de l'arm?e, du mouvement, des op?rations et de la partie qui tient ? l'art. Il rappelait assez notre organisation sous l'Empire, o? presque tout aboutissait au prince de Neufch?tel, major g?n?ral. Une chose passag?re et accidentelle chez nous, et qui tenait ? ce que Napol?on ?tait son v?ritable ministre et s'occupait des moindres d?tails de son arm?e, avait ?t? rendue syst?matique et permanente en Russie. Le v?ritable ministre de la guerre y ?tait le major g?n?ral, rendant ses comptes journaliers ? l'empereur, prenant ses ordres et les transmettant. Le ministre de la guerre ?tait charg? du mat?riel; mais l'empereur Nicolas a depuis d?truit cette organisation insolite. Le minist?re de la guerre aujourd'hui renferme dans ses attributions tout ce qui concerne l'arm?e. Comme l'arm?e est constamment organis?e en corps d'arm?e de deux ou trois divisions, avec leur cavalerie, leur artillerie, leur administration, leurs ambulances, etc., la correspondance avec les corps se fait par l'interm?diaire des g?n?raux qui commandent.
Le d?p?t des cartes et des plans est extr?mement soign?. Tout ce qui tient ? la topographie ne laisse rien ? d?sirer. Le g?n?ral Diebitsch, alors ? la t?te de l'?tat-major, avait des connaissances ?tendues et donnait aux travaux une direction ?clair?e. Cent quatre-vingts commis suffisaient ? toute la correspondance. Toutes les branches des arts et des sciences, qui ont rapport au service militaire, sont r?unies dans cet ?tablissement. Il y a jusqu'? des ateliers pour la fabrication des instruments de math?matiques et d'astronomie. Une imprimerie y est attach?e; mais, comme le service particulier pour lequel elle est cr??e ne suffit pas ? l'employer constamment, elle sert au public.
On a attach? ? l'?tat-major un comit? de perfectionnement, pour juger toutes les inventions nouvelles. Je regarde cette derni?re institution comme une des meilleures et des plus utiles; nous en aurions grand besoin en France; car autant il est sage de se pr?server des innovations qui ne sont pas suffisamment motiv?es, autant il est funeste de n?gliger d'adopter les inventions dont les effets peuvent ?tre salutaires. C'est une v?rit? incontestable pour la soci?t? en g?n?ral, mais dont l'application est plus vraie encore pour l'art de la guerre ? l'?poque o? nous sommes, si f?conde en d?couvertes et en applications utiles. Comme un premier succ?s a souvent des cons?quences graves pour l'avenir et influe quelquefois puissamment sur la destin?e des ?tats, rien ne doit ?tre n?glig? pour l'obtenir.
Nous avons, en France, une beaucoup trop grande id?e de notre sup?riorit?, et en g?n?ral de tout ce que nous poss?dons. Par suite de ce sot et ridicule orgueil, nous sommes habituellement en arri?re de toutes les autres puissances pour l'emploi des choses utiles. En Russie, c'est le contraire. On est avide de conna?tre et on cherche avec empressement le meilleur emploi de ses moyens. L'?tablissement de ce comit? de perfectionnement , compos? d'hommes capables, ? m?me de choisir, d'adopter, d'approuver ou de rejeter, offre certainement de grands avantages. J'ai pass? ma jeunesse ? entendre vanter notre artillerie, et nous avions certainement alors le plus mauvais mat?riel de l'Europe. Si on s'est occup? d'une mani?re un peu efficace des fus?es ? la Congr?ve, c'est ? mes instances, ? mon retour de Russie, que la France en est redevable; c'est ? une esp?ce d'obsession et de violence que j'ai exerc?e aupr?s du ministre de la guerre.
Parmi les choses les plus dignes d'?loges que renferment Saint-P?tersbourg et les principales villes de Russie, je placerai les h?pitaux militaires. On a adopt? l'usage des h?pitaux r?gimentaires. Les malades ont, pour garantie des soins dont ils sont l'objet, l'esprit de famille propre aux corps militaires et la sollicitude de leurs chefs. Chaque r?giment a un ?tablissement pour trois cents hommes qu'il entretient au moyen d'un abonnement. Une journ?e de malade lui est pay?e par l'?tat soixante-quinze centimes. Quand le r?giment se met en marche, il emporte avec lui une partie de son mat?riel, de mani?re ? pouvoir soigner quatre-vingts hommes. S'il ne doit pas revenir, il remet le surplus ? l'administration, qui lui en tient compte. Pour assurer la bonne qualit? des m?dicaments, l'?tat se charge de les lui fournir d'apr?s un tarif. Les h?pitaux, en g?n?ral spacieux et a?r?s, pr?sentent l'aspect de soins satisfaisants et minutieux.
? Saint-P?tersbourg, il y a, ind?pendamment des h?pitaux r?gimentaires, un grand h?pital pour douze cents hommes, destin? ? recevoir, en cas de mouvement, les malades que les corps seraient oblig?s de laisser en arri?re. Ce syst?me r?gimentaire, bon partout, est indispensable dans un aussi grand pays, o? les villes sont rares et ?loign?es les unes des autres. Aussi donne-t-il les plus admirables r?sultats. Les gu?rissons sont promptes, les convalescences sont courtes, et l'arm?e russe, qui est si nombreuse, ne compte pas en totalit?, en y comprenant les troupes s?dentaires de police et tout ce qui re?oit ration par jour, plus de vingt ou vingt-cinq mille malades.
J'ai en beaucoup moins de motifs d'admiration en visitant l'arsenal. Il y a de grands magasins et de beaux ateliers, mais fort inf?rieurs ? ce que l'on voit dans nos grands ?tablissements en France. La salle d'armes cependant contient cent cinquante mille fusils. Ces fusils sont bons et leur mod?le se rapproche de celui des n?tres. Le prix en diff?re beaucoup. Ils co?tent de seize ? dix-huit roubles, environ moiti? du prix de France. La forgerie est belle. Les pi?ces sont for?es et tourn?es en m?me temps. La fonderie est mis?rable. Elle est encore dans l'enfance de l'art. Il est singulier que les diverses branches du m?me service pr?sentent de pareils disparates. Les chefs de l'artillerie m'ont paru avoir une instruction th?orique fort born?e, et je suis autoris? ? croire que les troupes de l'artillerie, tr?s-fortes dans l'ex?cution des manoeuvres, sont command?es par un grand nombre d'officiers dont l'instruction th?orique laisse beaucoup ? d?sirer.
Une ?cole d'artillerie assez bonne fournit une partie des officiers, et ceux-l? sont les plus instruits. On peut comparer leurs connaissances ? celles que l'on exigeait en France, pour le m?me service, ? l'?poque o? je suis entr? dans l'artillerie. Le nombre des officiers admis par cette voie est le plus petit de beaucoup. Ils re?oivent divers avantages, et, entre autres, ils ont en entrant un grade sup?rieur ? celui des officiers qui sortent du corps des cadets ou des sous-officiers. Ceux qui sortent du corps des cadets sont les plus nombreux, et leurs connaissances th?oriques sont ? peu pr?s nulles. Enfin, une troisi?me classe tire son origine du corps des sous-officiers. On exige de ceux-ci un examen ? peu pr?s semblable ? celui que subissent les cadets. Ainsi ce ne sont pas des savants; mais ces connaissances, ajout?es ? celles qui r?sultent de l'exp?rience et de l'habitude du service, leur donnent une valeur r?elle, et peut-?tre serait-il dans l'int?r?t bien entendu du service d'augmenter le nombre des emplois qui leur sont donn?s, en diminuant celui qui est d?volu aux cadets. Le corps des sous-officiers, si important, en recevrait des encouragements et de la consid?ration.
Il y a un autre ?tablissement, o? des fils de soldats d'artillerie sont r?unis. Ils re?oivent quelque instruction th?orique, une plus grande instruction pratique, et sortent de l? pour entrer dans le corps comme sous-officiers.
Mais j'arrive maintenant ? ce qui m'a paru au-dessus de tout ?loge: c'est le syst?me adopt?, avec autant d'intelligence que d'?conomie, pour venir au secours des serviteurs de l'?tat et donner une ?ducation convenable ? leurs enfants. Le premier besoin d'une soci?t? dont la civilisation est encore recul?e consiste dans l'instruction. Aussi la premi?re sollicitude du gouvernement, en Russie, est-elle de la r?pandre. Jamais conceptions plus vastes n'ont eu lieu en ce genre, et jamais r?sultats n'ont mieux r?pondu aux calculs et aux esp?rances. Ces ?tablissements, commenc?s sous Catherine II, continu?s sous Paul, d?velopp?s sous Alexandre, ne p?ricliteront pas sous leur successeur Nicolas, dont les sentiments sont paternels et l'esprit juste, qui a du positif dans tout ce qu'il entreprend, en sent toute l'importance, et j'ai la conviction qu'il trouve une grande douceur ? r?pandre un genre de bienfait dont la distribution est si facile et dont les fruits sont si assur?s. Quel encouragement pour celui dont la vie est consacr?e ? la d?fense de son pays, ? la gloire de son souverain, que de voir le sort de ses enfants assur? d'avance par l'empereur, chef de la grande famille qui les adopte et se charge de leur avenir! Je ne connais rien de plus touchant, de plus moral et de plus politique. Voici un aper?u de ces ?tablissements.
Le premier corps des cadets re?oit jusqu'? douze cents enfants. Admis d?s l'?ge de huit ans, ils sont divis?s en cinq compagnies. Au-dessus de dix ans, on les place dans un local s?par?; les autres sont soign?s par des femmes. Les plus ?g?s, c'est-?-dire de dix ans et au-dessus, divis?s en quatre compagnies, apprennent successivement le russe, le fran?ais et l'allemand, la g?om?trie, la fortification, les ?l?ments de chimie, de physique et tout ce qui est relatif au service militaire. Quand ces jeunes gens ont justifi? qu'ils poss?dent les connaissances exig?es, ils sont envoy?s dans l'arm?e ou dans l'artillerie, o? ils occupent des emplois d'enseignes. Un mus?e, rempli de mod?les de tous les genres, est ? leur disposition. Des reliefs de fortifications indiquent les divers syst?mes, comme aussi les travaux d'attaque et de d?fense de place, et facilitent merveilleusement l'?tude de cette partie de l'art de la guerre. Cette mani?re d'?tudier ne suffirait pas pour faire des ing?nieurs, mais elle satisfait ? tous les besoins du service de la ligne.
Trois autres ?tablissements du m?me genre existent: le deuxi?me corps des cadets, le r?giment des nobles, les cadets de la marine, ainsi que les pages, qui sont au nombre de cent quatre-vingts. L'empereur entretient ainsi et pourvoit ? l'?ducation et au placement de quatre mille enfants nobles ou fils d'officiers. Il y a d'autres ?tablissements semblables ? Moscou et dans d'autres gouvernements. Ainsi un officier, homme de coeur, peut faire le sacrifice de sa vie ? l'?tat et mourir pour l'empereur sans que des inqui?tudes sur sa famille viennent le d?tourner de ses devoirs et troubler ses derniers moments. Je le r?p?te, je ne connais rien de plus admirable, rien de plus utile au monde. Six cents francs par individu sont les frais support?s par l'?tat.
Le compl?ment de ces ?tablissements de bienfaisance se trouve dans les ?tablissements destin?s aux fils des soldats. Chaque r?giment de la garde a une ?cole, et chaque chef-lieu de gouvernement a un ?tablissement semblable. Moscou poss?de l'?tablissement principal, il renferme six mille enfants de tout ?ge, r?unis dans la m?me maison. Le nombre total des enfants des soldats entretenus et ?lev?s aux frais de l'empereur, ?tait, ? l'?poque dont je parle, de soixante-cinq ? soixante-dix mille. Jamais bienfaisance n'a ?t? plus ?clair?e et ?tablie sur une aussi grande ?chelle.
La premi?re condition dans toutes ces ?coles, c'est-?-dire la salubrit?, est remplie par de vastes salles bien tenues, une grande propret?, un habillement convenable et une nourriture qui est saine et abondante sans ?tre recherch?e. L'instruction se compose de l'?tude de la langue russe, du dessin, de la g?om?trie, de la musique, de l'arpentage et de quelques autres arts. Une discipline s?v?re y est maintenue, et les soins les plus minutieux se rencontrent constamment et partout. Des officiers de l'arm?e et des ?l?ves sortant de ces maisons d'?ducation en sont les chefs et les instituteurs.
L'?conomie est si bien observ?e dans ces ?tablissements, que, quoiqu'ils soient pourvus convenablement de toutes choses, la d?pense totale, dans un des lieux les plus chers, ? Moscou, ne s'?l?ve, en y comprenant tous les frais quelconques, les appointements des chefs et l'entretien des b?timents, qu'? soixante francs par an et par individu. C'est une chose ? peine croyable, mais constat?e. Quand on calcule les effets qui doivent en r?sulter pour la prosp?rit? int?rieure, on ne saurait trop admirer l'ing?nieuse pens?e, m?re de cette cr?ation.
Les ?l?ves, une fois form?s, satisfont aux divers besoins de la soci?t?. Une partie est envoy?e dans les r?giments pour y remplir les fonctions de sous-officiers; d'autres sont plac?s comme arpenteurs-g?om?tres dans les gouvernements; d'autres deviennent des musiciens dans les chapelles, dans les th??tres, et enfin chaque propri?taire riche qui, pour ses exploitations ou ses manufactures, ? besoin d'individus intelligents et instruits en demande et en obtient. Dans un certain nombre d'ann?es, ils auront contribu? puissamment ? la cr?ation d'une classe interm?diaire dont la Russie est presque totalement priv?e.
Mais ces ?tablissements ne sont pas les seuls sur lesquels la bienfaisance de l'empereur s'est ?tendue. Elle embrasse aussi les enfants de l'autre sexe. Le plus important est connu sous le nom de couvent. Il renferme sept cents jeunes filles. Il est divis? en deux parties distinctes: l'une, pour la noblesse, se composait de quatre cent soixante individus; l'autre, pour la bourgeoisie et les filles de sous-officiers faits officiers. Cette maison d'?ducation ?tait plac?e sous la protection de l'imp?ratrice-m?re. Les enfants y sont re?us de huit ? dix ans. L'instruction qu'on y donne porte sur une multitude d'objets; mais elle est tr?s-superficielle et traite de choses fort abstraites; elle-ne peut pas porter des fruits durables. De l? sortent les gouvernantes destin?es ? ?lever les enfants dans les grandes maisons et dans les instituts particuliers et de province.
Les filles de beaucoup de g?n?raux et de gens tr?s consid?rables y sont ?lev?es. Elles y trouvent l'avantage d'?tre connues et distingu?es par l'imp?ratrice et la famille imp?riale, qui portent un vif int?r?t ? cet ?tablissement. En g?n?ral, les sujets qui en sortent r?pondent aux soins dont ils ont ?t? l'objet, principalement sous le rapport des moeurs et de la religion. On leur apprend le russe, le fran?ais, l'allemand, la litt?rature de ces langues, la g?ographie, l'arithm?tique et la g?om?trie, la physique, la chimie, l'histoire naturelle, le dessin, la musique et les ouvrages de main. Elles chantent ensemble et en parties sans instrument, jusqu'au nombre de deux cents, avant leur repas. Ces belles voix fra?ches et virginales, ces concerts, ex?cut?s avec une rare perfection, donnent un avant-go?t de la musique des anges.
Les professeurs des sciences m'ont paru d'une instruction fort m?diocre. Madame Adelsberg, plac?e ? la t?te depuis vingt-cinq ans, est une femme consid?r?e et fort respectable. Elle a ?lev? dans leur premier ?ge l'empereur actuel et le grand-duc Michel.
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