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Read Ebook: Histoire de France 1440-1465 (Volume 7/19) by Michelet Jules

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Ebook has 399 lines and 55225 words, and 8 pages

Il ne fallait pas moins, pour nous calmer, qu'une pens?e si grave, que cette forte et virile consolation, lorsque souvent ramen?s vers la mer, nous portions sur la plage, de la Hogue ? Dunkerque, tout ce pesant pass?... Eh bien! d?posons-le aux marches de la nouvelle ?glise, sur cette pierre d'oubli, qu'une bonne et pieuse Anglaise a plac?e ? Boulogne, pour relever ce qu'ont d?truit nos p?res. <>

Dure l'?mulation, la rivalit?! sinon la guerre... Ces deux grands peuples doivent ? jamais s'observer, se jalouser, s'imiter, se d?velopper ? l'envi: <>

CHAPITRE PREMIER

Au moment o? l'on apprit ? la cour de Bourgogne que Talbot d?barquait en Guienne, un confident de Philippe le Bon ne put s'emp?cher de dire: <>

C'est qu'? ce moment m?me le roi avait ? Gand des envoy?s, il essayait d'intervenir entre le duc et les Flamands en armes; sans le d?barquement de Talbot, il allait peut-?tre, comme suzerain et protecteur, venir en aide ? la ville de Gand.

Au reste, la m?sintelligence avait commenc? bien avant, d?s le trait? d'Arras; la guerre diplomatique datait de la paix m?me. La maison de Bourgogne, cette branche cadette de France, devient peu ? peu ennemie de la France, anglaise de volont?; bient?t elle le sera d'alliance et de sang. La duchesse de Bourgogne, la s?rieuse et politique Isabelle, qui est Lancastre du c?t? de sa m?re, viendra ? bout de marier son fils ? une Anglaise, Marguerite d'York; celle-ci, ? son tour, donnera sa belle-fille ? l'Autrichien Maximilien, qui compte les Lancastre parmi ses a?eux maternels; en sorte que leur petit-fils, l'?trange et dernier produit de ces combinaisons, Charles-Quint, Bourguignon, Espagnol, Autrichien, n'en est pas moins trois fois Lancastre.

Tout cela se fit doucement, lentement, un long travail de haine par des moyens d'amour, par alliances, mariages, et de femmes en femmes. Les Isabelle, les Marguerite et les Marie, ces rois en jupes des Pays-Bas , ont pendant plus d'un si?cle ourdi de leurs belles mains la toile immense o? la France semblait devoir se prendre.

Le roi, quelle arme a-t-il contre le duc de Bourgogne? Sa haute juridiction; mais les provinces fran?aises de son adversaire, bien loin de r?clamer cette juridiction, craignent de se rattacher au royaume, de partager ses extr?mes mis?res. La Bourgogne, par exemple, ? qui son duc ne demandait gu?re que des hommes, presque point d'argent, n'e?t voulu pour rien au monde avoir affaire au roi.

Les pays, au contraire, qui se croyaient bien s?rs de n'?tre pas fran?ais, qui ne craignaient pas les empi?tements de la fiscalit? fran?aise, h?sitaient moins ? recourir au roi, ? invoquer, sinon sa juridiction, au moins son arbitrage. Li?ge et Gand ?taient en correspondance habituelle avec la France; le roi y avait un parti, il y tenait des gens pour profiter des mouvements, pour les exciter quelquefois. Ces formidables machines populaires lui servaient, quand son adversaire avan?ait trop sur lui, ? le tirer en arri?re et l'obliger de tourner la t?te.

Doux et f?minin mysticisme. Aussi y eut-il encore plus de b?guines que de beghards. Quelques-unes, de leur vivant, furent tenues pour saintes; t?moin celle de Nivelle que le roi de France, Philippe le Hardi, envoya consulter. G?n?ralement, elles vivaient ensemble dans des b?guinages o? se trouvaient unis des ateliers et des ?coles, et ? c?t? il y avait l'h?pital o? elles soignaient les pauvres. Ces b?guinages ?taient d'aimables clo?tres, non clo?tr?s. Point de voeux, ou tr?s-courts; la b?guine pouvait se marier; elle passait, sans changer de vie, dans la maison d'un pieux ouvrier. Elle la sanctifiait; l'obscur atelier s'illuminait d'un doux rayon de la gr?ce.

<> Cela est vrai partout, bien plus en ces contr?es, dans ce pluvieux Nord , sous ces brouillards, dans ces courtes journ?es... Qu'est-ce que les Pays-Bas, sinon les derni?res alluvions, sables, boues et tourbi?res, par lesquels les grands fleuves, ennuy?s de leur trop long cours, meurent, comme de langueur, dans l'indiff?rent Oc?an?

Plus la nature est triste, plus le foyer est cher. L?, plus qu'ailleurs, on a senti le bonheur de la vie de famille, des travaux, des repos communs... Il y a peu d'air et peu de jours peut-?tre sous ces ?tages qui surplombent, et pourtant la Flamande trouve encore moyen d'y ?lever une p?le fleur. Il n'importe gu?re que la maison soit sombre, l'homme ne peut s'en apercevoir; il est pr?s des siens, son coeur chante... Qu'a-t-il besoin de la nature? Dans quelle campagne verrait-il plus de soleil que dans les yeux de sa femme et de ses enfants?

Voil? l'id?al, le r?ve? un peuple travaillant dans l'amour... Mais le diable en est jaloux.

Il ne lui faut pas grand'place; il aura toujours bien un coin dans la plus sainte maison. Au sanctuaire m?me de pi?t?, dans cette cellule de b?guine , il trouvera prise. O? donc? Au petit m?nage, <> Pour le cacher, il suffirait d'une feuille de ce beau lis.

Ceci demande explication.

La Flandre s'est form?e, pour ainsi dire, malgr? la nature; c'est une oeuvre du travail humain. L'occidentale a ?t? en grande partie conquise sur la mer qui, en 1251, ?tait encore tout pr?s de Bruges. Jusqu'en 1348, on stipulait dans les ventes de terres, que le contrat serait r?sili? si la terre ?tait reprise par la mer avant dix ans.

La Flandre orientale a eu ? lutter tout autant contre les eaux douces. Il lui a fallu resserrer, diriger, tant de cours d'eaux qui la traversent. De polder en polder, les terres ont ?t? endigu?es, purg?es, raffermies; les parties m?mes qui semblent aujourd'hui les plus s?ches, rappellent par leurs noms qu'elles sont sorties des eaux.

La faible population de ces campagnes, alors noy?es, malsaines, n'e?t jamais fait ? coup s?r des travaux si longs et si co?teux. Il fallait beaucoup de bras, de grandes avances, surtout pouvoir attendre. Ce ne fut qu'? la longue, lorsque l'industrie eut entass? les hommes et l'argent dans quelques fortes villes, que la population d?bordante put former des faubourgs, des bourgs, des hameaux, ou changer les hameaux en villes. Ainsi g?n?ralement la campagne fut cr??e par la ville, la terre par l'homme; l'agriculture fut la derni?re manufacture n?e du succ?s des autres.

L'industrie ayant fait ce pays de rien, m?ritait bien d'en ?tre souveraine. Les trois grands ateliers, Gand, Ypres et Bruges, furent les trois membres de Flandre. Ces villes consid?raient la plupart des autres comme leurs colonies, leurs d?pendances; et en effet, ? regarder ce vaste jardin o? les habitations se succ?dent sans interruption, les petites villes autour d'une cit? apparaissent comme ses faubourgs, un peu ?loign?es d'elle, mais en vue de sa tour, souvent m?me ? port?e de sa cloche. Elles profitaient de son voisinage, se couvrant de sa banni?re redout?e, se recommandant de son industrie c?l?bre. Si la Flandre fabriquait pour le monde, si Venise d'une part, de l'autre Bergen ou Novogorod, venaient chercher les produits de ses ateliers, c'est qu'ils ?taient marqu?s du sceau r?v?r? de ses principales villes. Leur r?putation faisait la fortune du pays, y accumulait la richesse, sans laquelle on n'e?t jamais pu accomplir l'?norme travail de rendre cette terre habitable, en sorte qu'elles pouvaient dire, avec quelque apparence: <>

Les grandes villes, malgr? les petites, malgr? le comte, auraient maintenu leur domination, si elles ?taient rest?es unies. Elles se brouill?rent pour diverses causes, d'abord ? l'occasion de la direction des eaux, question capitale en ce pays. Ypres entreprit d'ouvrir au commerce une route abr?g?e, en creusant l'Yperl?, le rendant navigable, et dispensant ainsi les bateaux de suivre l'immense d?tour des anciens canaux, de Gand ? Damme, de Damme ? Nieuport. De son c?t?, Bruges voulait d?tourner la Lys, au pr?judice de Gand. Celle-ci, plac?e au centre naturel des eaux, au point o? se rapprochent les fleuves, souffrait de toute innovation. Malgr? les secours que les Brugeois tir?rent de leur comte et du roi de France, malgr? la d?faite des Gantais ? Roosebeke, Gand pr?valut sur Bruges; elle lui donna une cruelle le?on, et elle maintint l'ancien cours de la Lys. Elle eut moins de peine ? pr?valoir sur Ypres; par menace ou autrement, elle obtint du comte sentence pour combler l'Yperl?.

Les voil? irrit?s et honteux, accusant tout le monde. Gand mit ? mort un doyen des m?tiers qui avait command? la retraite. Bruges accusait ses vassaux, les gens de l'?cluse, de n'avoir pas suivi sa banni?re; elle accusait la noblesse des c?tes, ? qui elle payait pension pour garder la mer et repousser les pirates. Loin de les repousser, les ports avaient vendu des vivres aux Anglais, au moment m?me o? ils enlevaient dans la campagne cinq mille enfants; les paysans furieux mirent ? mort l'amiral de Horn et le tr?sorier de Z?lande, qui avaient assist? ? la descente sans y mettre obstacle. Z?landais, Hollandais, s'?taient visiblement arrang?s avec les Anglais, ils ne boug?rent point.

Gand avait commenc? avant Bruges, elle finit avant. Une population d'ouvriers avait moins d'avances, moins de ressources qu'une ville de marchands qui, d'ailleurs, ?taient soutenus du dehors. Quand les Gantais eurent ch?m? quelque temps, ils commenc?rent ? trouver que c'?tait trop souffrir, et pourquoi? pour conserver ? Bruges sa domination sur la c?te. Les Brugeois s'?taient donn? un tort, dans lequel les Gantais, gens formalistes et scrupuleux, devaient trouver pr?texte pour abandonner leur parti. Le serment f?odal engageait le vassal ? respecter la vie de son seigneur, son corps, ses membres, sa femme, etc. Le duc, ayant compt? l?-dessus, s'?tait jet? dans Bruges et avait failli y p?rir. La duchesse, non moins hardie, avait cru imposer en restant, et le peuple avait arrach? d'aupr?s d'elle la veuve de l'amiral. Nous trouvons ainsi cette princesse m?l?e de sa personne dans toutes ces terribles affaires, en Hollande comme en Flandre. Elle se chargea, en 1444, de calmer la r?volte des cab?liaux, qui voulaient tuer leur gouverneur, M. de Lannoy, et ils le cherch?rent jusque sous sa robe.

Un honorable bourgeois fut fait capitaine, et ce qui flatta fort la ville, c'est qu'avec l'autorisation du comte, il exer?a une sorte de dictature dans la Flandre, menant les milices vers Bruges, et lui signifiant qu'elle e?t ? se soumettre ? l'arbitrage du comte, ? reconna?tre l'ind?pendance de l'?cluse et du Franc. Bruges indign?e, par repr?sailles, envoya des ?missaires ? Courtrai et autres villes d?pendantes de Gand, pour les engager ? s'en affranchir. Le capitaine de Gand fit d?capiter ces ?missaires; il d?fendit qu'on port?t des vivres ? Bruges, et donna ordre que partout o? les Brugeois para?traient, on sonn?t contre eux la cloche d'alarme. Il fallut bien que Bruges c?d?t, qu'elle reconn?t le Franc pour quatri?me membre de Flandre.

C'?tait un beau succ?s pour le comte d'avoir bris? l'ancienne trinit? communale, un plus grand d'avoir fait cela par les mains de Gand, d'avoir cr?? contre elle une ?ternelle haine, de l'avoir isol?e pour toujours. Gand restait plus faible en r?alit?, par suite de cette triste victoire, plus faible et plus orgueilleuse, persuad?e qu'elle ?tait que le comte n'e?t jamais pacifi? la Flandre sans elle. La banni?re souveraine de Flandre ?tait-elle d?sormais celle de Gand ou celle du comte? cela devait t?t ou tard se r?gler par une bataille.

Chose bizarre, et qui ne s'explique que par l'extr?me attachement des Flamands aux traditions de familles et de communes, ces grandes villes d'industrie, loin d'avoir la mobilit? que nous voyons dans les n?tres, se faisaient une religion de rester fid?les ? l'esprit du droit germanique, si peu en rapport avec leur existence industrielle et mercantile. Il ne s'agit donc pas ici, comme on pourrait croire, d'une querelle sp?ciale entre le comte et une ville; c'est la grande et profonde lutte de deux droits et de deux esprits.

Il y avait des symboles g?n?raux et communs, employ?s presque partout, comme la paille rompue dans les contrats, la gl?be de t?moignage d?pos?e ? l'?glise, l'?p?e de justice, la cloche, ce grand symbole communal auquel vibraient tous les coeurs. De plus, chaque localit? avait quelques signes sp?ciaux, quelque curieuse com?die juridique, par exemple, ? Li?ge, l'anneau de la porte rouge, le chat d'Ypres, etc.. Celui qui regarde ces vieux usages flamands du haut de la sagesse moderne n'y verra sans doute qu'un jeu d?plac? dans les choses s?rieuses, les amusements juridiques d'un peuple artiste, des tableaux en action, souvent burlesques, les T?niers du droit... D'autres, avec plus de raison, y sentiront la religion du pass?, la protestation fid?le de l'esprit local... Ces signes, ces symboles, c'?tait pour eux la libert?, sensible et tangible; ils la serraient d'autant plus qu'elle allait leur ?chapper: Ah! Freedom is a noble thing!...

Des villages aux villes, des villes ? la grande cit?, de celle-ci au comte, du comte au roi, ? tous les degr?s, le droit d'appel ?tait contest?; ? tous, il ?tait odieux, parce qu'en ?loignant les jugements du tribunal local, il les ?loignait aussi de plus en plus des usances du pays, des vieilles et ch?res superstitions juridiques. Plus le droit montait, plus il prenait un caract?re abstrait, g?n?ral, prosa?que, antisymbolique; caract?re plus rationnel, quelquefois moins raisonnable, parce que les tribunaux sup?rieurs daignaient rarement s'informer des circonstances locales, qui, dans ce pays, plus que partout ailleurs, peuvent expliquer les faits et les placer dans leur vrai jour.

Ce conseil, plac? ? Gand, au milieu m?me du peuple contre la juridiction duquel on l'?tablissait, ne put faire grand'chose, et finit de lui-m?me ? la mort de Jean. Mais d?s que Philippe le Bon eut acquis le Hainaut et la Hollande, et qu'il tint ainsi la Flandre serr?e de droite et de gauche, il ne craignit point de r?tablir le conseil. Peu de gens os?rent s'y adresser; Ypres, toute d?chue qu'elle ?tait, punit une petite ville d'y avoir port? un appel.

J'ai dit comment, apr?s le mauvais succ?s de la Praguerie, Philippe le Bon avait cru embarrasser le roi en rachetant le duc d'Orl?ans, en lui faisant tenir l'assembl?e des grands ? Nevers, laquelle, faute d'audace ou de force, ne r?ussit qu'? pr?senter des dol?ances. ? cette guerre d'intrigues contre la France, ajoutez celle des armes que le duc faisait ? l'Allemagne, en se saisissant du Luxembourg. Ces embarras se compliqu?rent et d'une mani?re alarmante, en 1444, lorsque d'une part la guerre civile ?clata en Hollande, et que de l'autre les bandes fran?aises et anglaises, sous la banni?re du dauphin, travers?rent les Bourgognes pour aller en Suisse.

Elles auraient bien pu ne pas aller jusqu'en Suisse, la maison d'Anjou poussait le roi ? la guerre. Mais la commencer contre la Bourgogne, lorsqu'on n'?tait encore s?r de rien du c?t? de l'Angleterre, c'e?t ?t? folie. La maison d'Anjou ne pouvant agir contre son ennemi, s'arrangea avec lui comme avaient fait les ducs d'Orl?ans, de Bourbon et tant d'autres, comme allait faire le duc de Bretagne. La duchesse de Bourgogne eut en grande partie le m?rite de ces n?gociations.

Elle obtint du roi que les appels de Flandre seraient ajourn?s pour neuf ans. Mais les Flamands ne pouvaient lui en savoir gr?, cet ajournement devant profiter au conseil du comte, ? ce tribunal qui si?geait contre eux, chez eux, et duquel ils se d?fendaient bien plus difficilement que des empi?tements lointains du Parlement de Paris. L'ind?pendance que le comte se faisait ainsi contre la France et l'Empire, il ne l'obtenait que par des armements, des intrigues co?teuses, par des d?penses qui retombaient principalement sur la Flandre. La question de juridiction et tous les embarras qu'elle entra?nait rendaient de plus en plus grave la question des subsides; tandis que la cit? souffrait chaque jour dans son ind?pendance et son orgueil, l'individu souffrait dans ses int?r?ts, dans son argent, c'est-?-dire dans son travail, car les guerres, les f?tes, les magnificences, devaient ajouter des heures ? la journ?e de l'ouvrier.

En 1439, en pleine paix, l'imp?t fut ?norme. C'?tait, disait-on, pour racheter le duc d'Orl?ans. La ran?on du seigneur ?tait bien un cas d'aide f?odale, mais non, ? coup s?r, la ran?on du cousin du seigneur. Une bonne partie de l'argent se mangea dans une f?te, et la f?te fut pour Bruges, pour les marchands et les ?trangers.

De l?, le duc alla passer pr?s de deux ans dans les f?tes et les tournois de Bourgogne, dans la guerre de Luxembourg. La Flandre paya pour cette guerre; elle paya pour les armements qui prot?g?rent la Bourgogne au passage des Armagnacs. Enfin, le duc vint ? Gand, au foyer du m?contentement, tenir une solennelle assembl?e de la Toison d'or, faire en quelque sorte par devant les Flamands une revue des princes et seigneurs qui le soutenaient, leur montrer quel redoutable souverain ?tait leur comte de Flandre. Une c?r?monie co?teuse ?tal?e devant ce peuple ?conome, un tournoi magnifique au March? des vieux habits, la Toison d'or donn?e ? un de ces Z?landais qui avaient fait manquer le si?ge de Calais, qui aid?rent ? la chute de Bruges, et bient?t ? celle de Gand, rien de tout cela, sans doute, ne pouvait calmer les esprits. Il y avait ? parier qu'? la premi?re vexation fiscale, il y aurait explosion.

Cette ann?e m?me, 1448, le duc se crut assez fort pour risquer la chose. Il essaya d'un droit sur le sel, droit odieux pour bien des causes, mais sp?cialement en ceci, qu'il portait sur tous, annulait tout privil?ge; pour les privil?gi?s, nobles et bourgeois, payer un tel imp?t, c'?tait d?roger.

Justement cet appui manqua. Loin de pouvoir faire la guerre au roi, Philippe le Bon lui adressait supplique pour qu'il n'?voqu?t point l'affaire de Gand . Cette affaire devenait une guerre et une guerre g?n?rale de Flandre. Sans renoncer ? la gabelle, il voulait frapper d'autres droits plus vexatoires encore: droit sur la laine, c'est-?-dire sur le travail; droit sur les consommations les plus populaires, le pain, le hareng; des p?ages sur les canaux entravaient les communications et mettaient tout le pays comme en ?tat de si?ge. Le droit de mouture, qui indirectement atteignait tout le monde, directement le paysan, eut cet effet, nouveau en Flandre, de mettre les campagnes du m?me parti que les villes.

Le duc s'aper?ut alors de sa folie, il retira sa gabelle, il donna de bonnes paroles, caressa Bruges et l'apaisa. Les marchands, comme ? l'ordinaire, aid?rent ? calmer le peuple. Gand resta seule, et le duc crut ne venir jamais ? bout de cette ?ternelle r?sistance, s'il ne changeait la ville m?me en ce qu'elle avait de plus vital, s'il n'y d?truisait la pr?pond?rance qu'y avaient prise les m?tiers, s'il ne la ramenait ? la constitution qu'elle avait subie pendant l'invasion de Philippe le Bel; la commune ainsi bris?e, il e?t bris? les confr?ries, y introduisant peu ? peu des faux-fr?res, des artisans des campagnes, en sorte que, non-seulement l'esprit de la cit?, mais la population m?me change?t ? la longue.

Cette rude sentence indique assez que le duc ne demandait qu'une r?volte, esp?rant ?craser la ville, si le roi n'intervenait pas. Il agissait tout ? la fois contre le roi et pr?s du roi. Il lui adressait une supplique pour qu'il n'?voqu?t point l'affaire. Mais, par derri?re, il poussait le duc de Bretagne et probablement le dauphin. Le roi voyait et savait tout. ? ce moment m?me, il fit arr?ter Jacques Coeur , qui pr?tait de l'argent au dauphin et qu'on soup?onnait de l'avoir d?livr? d'Agn?s.

Si l'on en croit les Gantais, l'exasp?ration du duc e?t ?t? si furieuse que ses d?put?s ? Gand crurent lui faire plaisir en y pr?parant un massacre. La ville les lui d?non?a, et sur son refus de les rappeler, elle les jugea elle-m?me et leur fit trancher la t?te. Les r?solutions de ce peuple irrit?, souffrant, sans travail, devaient ?tre violentes et cruelles. Je vois cependant qu'un ex-?chevin de Gand, un grand seigneur, ayant ?t? pris lorsqu'il coupait les canaux pour affamer la ville, le peuple ajourna son supplice, ? la pri?re de la noblesse, et finit par lui permettre de se racheter.

Audenarde d?livr?e, le duc prit l'offensive et p?n?tra dans le pays de Wa?s, entre la Lys et l'Escaut, pays tout coup? de canaux, d'acc?s difficile, dont les Gantais se croyaient aussi s?rs que de leur ville. La gendarmerie y ?tait arr?t?e ? chaque pas par les eaux, par les haies, derri?re lesquelles s'embusquaient les paysans. Dans une affaire, le brave Jacques de Lalaing ne ramena ses cavaliers engag?s au-del? d'un canal, qu'avec des efforts incroyables, et il eut, dit-on, cinq chevaux tu?s sous lui.

N?anmoins, ? la longue, le duc ne pouvait manquer d'avoir l'avantage. Les Gantais ne trouvaient qu'une froide sympathie dans les Pays-Bas. Bruxelles interc?da pour eux, mais mollement. Li?ge leur conseilla d'apaiser leur seigneur. Mons et Malines n'?taient rien moins qu'amies; le duc y assemblait sa noblesse, y faisait ses pr?paratifs, expliquait aux gens de ces villes ses projets de guerre et leur demandait des secours. Quant aux Hollandais, d?s longtemps ennemis des Flamands, ils se r?unirent sans distinction de partis, remont?rent l'Escaut avec une flotte, d?barqu?rent une arm?e dans le pays de Wa?s, et firent ce qu'eux seuls pouvaient faire, une guerre habile parmi les canaux.

Abandonn?e des uns, accabl?e par les autres, Gand ne faiblit point. Elle ne fit que deux choses et tr?s-dignes. D'une part, avec douze mille hommes, traversant tout le pays en armes, elle fit une sommation derni?re ? la ville de Bruges. Mais rien ne bougea; la noblesse et les marchands continrent le peuple; les Brugeois se content?rent de faire boire et manger les douze mille hommes hors de leurs murs.

D'autre part, Gand avait ?crit au roi de France une belle et noble lettre, o? elle exposait le mauvais gouvernement des gens du comte de Flandre; la lettre, fort obscure vers la fin, semble insinuer que le roi pourrait intervenir, mais ce qui, dans un tel p?ril, est h?ro?que et digne de m?moire, c'est qu'il n'y a pas un mot d'appel, pas un mot qui implique reconnaissance de la juridiction royale.

Cette d?faite, la r?duction du pays de Wa?s, l'approche de l'arm?e ennemie, une ?pid?mie qui ?clata, tout donnait force aux partisans de la paix. Le peuple se rassembla au March? des vendredis; sept mille os?rent voter pour la paix, contre douze mille qui tinrent pour la guerre. Les sept mille obtinrent que, sans poser les armes, on accepterait l'arbitrage des ambassadeurs du roi.

Le chef de l'ambassade, le fameux comte de Saint-Pol, qui commen?ait alors sa longue vie de duplicit?, trompa tout ? la fois le roi et Gand. Il avait du roi mission expresse de saisir cette occasion pour obtenir du duc le rachat des villes de la Somme; mais il e?t ?t? probablement moins ind?pendant dans sa Picardie; il s'obstina ? n'en point parler. D'autre part, contrairement aux promesses qu'il avait faites aux Gantais, il donna, sans leur communiquer, et tout ? l'avantage du duc de Bourgogne, une sentence d'arbitre qui lui e?t livr? la ville.

Un tel arbitrage ne pouvait ?tre accept?. Ce qui servait mieux le duc, ce qui, selon toute apparence, avait ?t? sollicit? par lui, pay? peut-?tre aux Anglais, c'est qu'? ce moment m?me Talbot d?barque en Guyenne , Bordeaux tourne; tous les ennemis du roi, le duc, le dauphin, la Savoie, sont sauv?s du m?me coup.

Ainsi cette fi?re ville ne songeait plus qu'? combattre, seule avec son droit. L'audace croissait par le danger; les t?tes se prenaient d'un vertige de guerre, comme il arrive alors dans les grandes masses, toutes les ?motions, la peur m?me, tournant en t?m?rit?. Ces vastes mouvements de peuple comprennent mille ?l?ments divers; divers ou non, tous vont tourbillonnant ensemble. D'abord, le brutal orgueil de la force et du bras, dans les m?tiers o? l'on frappe, forgerons, bouchers. Puis, dans les m?tiers populeux, chez les tisserands par exemple, le fanatisme du nombre, qui s'?blouit de lui-m?me, se croit infini, un vague et sauvage orgueil, comme l'aurait l'Oc?an de ne pouvoir compter ses flots. ? ces causes g?n?rales, ajoutez les accidentelles, l'?l?ment capricieux, le d?soeuvr?, le vagabond, le plus malfaisant de tous, peut-?tre, l'enfant, l'apprenti d?cha?n?... Cela est partout de m?me. Mais il y avait une chose toute sp?ciale dans les soul?vements de ces villes du Nord, chose originale et terrible, et qui y ?tait indig?ne, c'?tait l'ouvrier mystique, le lollard illumin?, le tisserand visionnaire, ?chapp? des caves, effar? du jour, p?le et h?ve, comme ivre de je?ne. L?, plus qu'ailleurs, se trouve naturellement l'homme qui doit marquer alors d'une mani?re sanglante, celui qui, ce jour-l?, se sent tout ? coup hardi, court au meurtre et dit: C'est mon jour!... Un seul de ces fr?n?tiques, un ouvrier moine, ?gorgea quatre cents hommes dans le foss? de Courtrai.

Dans ces moments, il suffisait qu'une banni?re de m?tier par?t sur la place, pour que toutes d'un mouvement invincible vinssent se poser ? c?t?. Confr?ries, peuple, banni?res, tout branlait au m?me son, un son lugubre qu'on n'entendait que dans les grandes crises, au moment de la bataille ou quand la ville ?tait en feu. Cette note uniforme et sinistre de la monstrueuse cloche ?tait: Roland! Roland! Roland! C'?tait alors un profond trouble, tel que nous ne pouvons gu?re le deviner aujourd'hui. Nous, nous avons le sentiment d'une immense patrie, d'un empire; l'?me s'?l?ve en y songeant... Mais l?, l'amour de la patrie, d'une petite patrie, o? chaque homme ?tait beaucoup, d'une patrie toute locale, qu'on voyait, entendait, touchait, c'?tait un ?pre et terrible amour... Qu'?tait-ce donc, quand elle appelait ses enfants de cette p?n?trante voix de bronze; quand cette ?me sonore, qui ?tait n?e avec la commune, qui avait v?cu avec elle, parl? dans tous ses grands jours, sonnait son danger supr?me, sa propre agonie... Alors, sans doute, la vibration ?tait trop puissante pour un coeur d'homme; il n'y avait plus en tout ce peuple ni volont?, ni raison, mais sur tous un vertige immense... Nul doute qu'ils auraient dit alors comme les Isra?lites ? leur dieu: <> Tous prirent les armes ? la fois, de vingt ans jusqu'? soixante; les pr?tres, les moines ne voulurent point ?tre except?s. Il sortit de la ville quarante-cinq mille hommes.

Ce grand peuple alla ainsi ? la mort, dans sa simplicit? h?ro?que, vendu d'avance et trahi. Un homme ? qui ils avaient confi? la d?fense de leur ch?teau du Gavre, se chargea de les attirer. Il se sauva de la place et vint dire ? Gand que le duc de Bourgogne ?tait presque abandonn?, qu'il n'avait plus avec lui que quatre mille hommes. Deux capitaines anglais, au service de la ville, parl?rent dans le m?me sens, et avec l'autorit? que devaient avoir de vieux hommes d'armes. Arriv?s devant l'ennemi, les Anglais pass?rent au duc, en disant: <>

Cette d?fection alarmante ne les fit pas sourciller; ils avanc?rent en bon ordre, en faisant trois haltes pour mieux garder leurs rangs. L'artillerie l?g?re du duc et ses archers les ?mouvaient peu encore; mais voil? qu'au milieu d'eux un chariot de poudre ?clate, le chef de leur artillerie, soit prudence, soit trahison, crie: <> Un vaste d?sordre commence, les longues piques s'embarrassent; la seconde bataille, form?e d'hommes mal arm?s, la troisi?me de paysans et de vieilles gens, s'enfuient ? toutes jambes; les archers picards ne leur laissent d'autre route que l'Escaut; ils nagent, ils plongent, enfoncent sous leurs armes, reviennent et trouvent au rivage les archers qui, jetant leurs arcs, n'employaient plus que les massues; il ?tait recommand? de ne prendre personne en vie.

Vingt mille hommes p?rirent, parmi lesquels on trouva deux cents pr?tres ou moines. Ce fut le lendemain une sc?ne ? crever le coeur, lorsque les pauvres femmes vinrent retourner tous les morts pour reconna?tre chacune le sien, et qu'elles les cherchaient jusque dans l'Escaut. Le duc en pleura. On lui parlait de sa victoire: <>

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