Read Ebook: Introduction à la vie dévote by Francis De Sales Saint
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Ebook has 664 lines and 101360 words, and 14 pages
INTRODUCTION
LA VIE D?VOTE,
SAINT FRAN?OIS DE SALES,
?V?QUE ET PRINCE DE GEN?VE,
INSTITUTEUR DE L'ORDRE DE LA VISITATION DE SAINTE MARIE.
A LYON, CHEZ PERISSE FR?RES, LIBRAIRES, rue Merci?re, n? 33.
A PARIS, AU D?P?T DE LIBRAIRIE DE PERISSE FR?RES, place Saint-Andr?-des Arts, n? 11.
Mon cher neveu, c'est avec regret que j'ai souffert votre absence et notre s?paration; mais il nous faut rejoindre par le commerce des lettres; et pour le commencer par un sujet digne de vous et de moi, je ne saurois, ce me semble, mieux faire que de vous continuer le discours que je vous faisois sur le point de votre d?part. Je vous conjure donc, encore une fois, de faire vos d?lices et plus ch?res ?tudes des oeuvres de M. de Sales, d'?tre son lecteur assidu, son fils ob?issant, et son imitateur fid?le. C'est ? sa Philoth?e, qui est la meilleure guide qu'on puisse prendre pour se conduire dans le chemin de la vertu, que je dois depuis vingt ans, apr?s Dieu, la correction de mes moeurs; et s'il y a quelque chose en moi exempt de vice, je lui en ai obligation. Je l'ai lue une infinit? de fois, et je ne saurois me passer de la relire; elle ne perd jamais pour moi la gr?ce de la nouveaut?, et toutes les fois qu'elle repasse sous mes yeux, il me semble qu'elle me dit toujours quelque chose de plus que ce qu'elle m'avoit dit auparavant. Si vous m'en croyez, ce livre sera le miroir de votre vie, et la r?gle sur quoi vous prendrez la mesure de toutes vos actions, et de toutes vos pens?es. Il ne vous oblige pas ? l'aust?rit? et ? la solitude d'un ermite; il ne vous persuade pas d'entreprendre un genre de vie extraordinaire; son dessein est de vous mener au bout de la perfection chr?tienne, et de vous instruire dans la solide pi?t?, par une voie douce et facile, qui s'accommode admirablement ? toutes les diff?rentes conditions des hommes, quelque basses ou relev?es qu'elles puissent ?tre. Si la vertu, disoit un ancien, pouvoit nous ?tre repr?sent?e avec des couleurs assez vives, et des traits dignes de son m?rite, elle attireroit tous les mortels ? son amour, avec une ardeur et une passion extr?mes. Il me semble, certes, que le grand Fran?ois de Sales a r?ussi parfaitement dans ce dessein; en effet, il nous l'a repr?sent?e au vif avec tout l'?clat de sa majest?, et tous les attraits de ses beaut?s et de ses gr?ces. Mais ce qui est le plus digne de louange, et le plus agr?able en cet excellent ?crivain, c'est que se proposant Notre-Seigneur pour son mod?le, il a commenc? ? bien faire avant que de bien dire, et que son premier soin a ?t? d'ex?cuter lui-m?me ce qu'il devoit enseigner aux autres. De sorte qu'on peut dire avec raison, que ceux qui ?tudient ses livres, ?tudient encore sa vie, et que ses pr?ceptes et ses avis sont d'autant plus faciles ? pratiquer, qu'ils sont pr?venus et autoris?s de son exemple. Cet homme, n? dans une famille noble et riche, ?lev? dans la vertu et les belles-lettres, de la mani?re dont on a accoutum? d'instruire les enfans de bonne maison, a paru dans la cour des rois, et les palais des princes, dans les maisons des particuliers, dans les compagnies de ses amis, dans les affaires du monde, dans les exercices de d?votion: bref, dans tous les emplois de sa charge ?piscopale, avec une conduite et une saintet? merveilleuses; tellement que nous avons bien sujet de nous couvrir de rougeur et de honte, et de condamner notre l?chet?, nous, ? qui le pr?texte, ou de la coutume du monde, ou de l'occupation des grandes affaires, ou de la condition de notre naissance, sert d'excuse ordinaire pour nous dispenser de vivre dans les r?gles exactes de la pi?t? chr?tienne. Or ce que je dis de la Philoth?e, je le dis encore du Th?otime: je veux dire, de ce livre tout d'or de l'amour divin; bref, de tous les autres ouvrages de ce grand homme, je vous avoue que les lisant souvent, et de nuit, je me suis fait comme une id?e en moi-m?me, et un recueil de ses plus beaux sentimens, et des points principaux de sa doctrine, que je rumine puis apr?s ? mon loisir, que je go?te et que je fais passer, pour ainsi dire, dans mon estomac, afin de le transformer en mon sang et en ma substance. Voil? mon sentiment touchant ce saint homme, mon cher neveu, dont je vous fais part, vous exhortant de tout mon coeur ? le suivre: car en v?rit?, si vous le prenez pour le censeur et le guide de votre vie, si vous pratiquez en sa personne ce que S?n?que m?me nous enseigne, qu'il nous faut choisir l'exemple de quelque homme illustre, qui serve de patron ? notre conduite, et en pr?sence de qui nous nous imaginions d'?tre et d'agir en toutes occasions, ni je n'aurai sujet de me repentir du conseil que je vous donne, ni vous de l'avoir mis en ex?cution. Je finis, mon cher neveu, en vous disant avec Horace:
Adieu, vivez content, et si vous savez quelque chose de meilleur que ces avis, je vous prie de m'en faire part en toute sinc?rit?; sinon, servez-vous comme moi de ceux-ci, et faites-en votre profit.
ORAISON
D?DICATOIRE.
O doux J?sus! mon Seigneur, mon Sauveur et mon Dieu, me voici prostern? devant votre Majest?, vouant et consacrant cet ?crit ? votre gloire. Animez-en les paroles de votre sainte b?n?diction, afin que les ames pour lesquelles je l'ai fait, en puissent recevoir les inspirations que je leur d?sire, et particuli?rement celle d'implorer sur moi votre immense mis?ricorde, afin qu'en montrant aux autres le chemin de la d?votion en ce monde, je ne sois pas r?prouv? et confondu ?ternellement dans l'autre; mais qu'? jamais je chante avec eux pour cantique de triomphe le mot que de tout mon coeur je prononce maintenant en t?moignage de fid?lit? parmi les hasards de cette vie mortelle: Vive J?sus! vive J?sus! Oui, Seigneur J?sus, vivez et r?gnez en nos coeurs par tous les si?cles des si?cles. Ainsi soit-il.
PR?FACE.
Mon cher lecteur, je vous prie de lire cette Pr?face pour votre satisfaction et la mienne.
La bouqueti?re Glycera savoit si bien diversifier la disposition et le m?lange des fleurs, qu'avec les m?mes fleurs elle faisoit une grande vari?t? de bouquets: de sorte que le peintre Pausias demeura court quand il voulut imiter cette diversit? d'ouvrages; car il ne put changer sa peinture en autant de mani?res que Glycera faisoit ses bouquets. Ainsi le Saint-Esprit dispose et arrange avec tant de vari?t? les enseignemens qu'il nous donne sur la d?votion par la plume et la bouche de ses serviteurs, que la doctrine restant toujours la m?me, les discours n?anmoins qui s'en font sont bien diff?rens, selon les diverses formes qu'ils re?oivent. Je ne puis certes ni ne veux ?crire en cette Introduction que ce qui a d?j? ?t? dit avant moi sur ce sujet. Ce sont les m?mes fleurs que je pr?sente ? mon lecteur, mais le bouquet que j'en ai fait sera diff?rent des autres, ? cause de la forme que je lui ai donn?e.
Toutefois si cette Introduction voit le jour, ce n'a pas ?t? de mon choix et de mon propre mouvement. Il y a quelque temps qu'une ame vraiment pleine d'honneur et de vertu, se sentant press?e par la gr?ce de Dieu d'entrer dans la vie d?vote, me pria de l'assister en ce bon dessein; et moi qui lui ?tois fort d?vou? par toutes sortes de devoirs, et qui avois depuis long-temps remarqu? en elle de grandes dispositions ? la pi?t?, je me rendis fort soigneux ? la bien instruire; et l'ayant conduite par tous les exercices convenables ? ses d?sirs et ? sa condition, je lui en laissai des m?moires par ?crit, afin qu'elle p?t y recourir en cas de besoin. Depuis elle les communiqua ? un docte et d?vot religieux, qui, croyant que plusieurs personnes en pourroient profiter, m'exhorta fort ? les rendre publics; ce qu'il n'eut pas de peine ? me persuader, parce que son amiti? avoit beaucoup d'empire sur ma volont?, et son jugement un grand ascendant sur le mien.
Or, afin de rendre cet ouvrage plus utile et plus agr?able, je l'ai revu, j'y ai mis quelque ordre, et j'y ai ajout? plusieurs instructions qui alloient ? mon but: mais tout cela, je l'ai fait presque sans en avoir le loisir. C'est pourquoi l'on ne verra rien ici que de tr?s-imparfait, qu'un amas d'avertissemens que je donne de bonne foi, en t?chant de les expliquer le plus clairement que je puis. Et quant aux ornemens du style, je n'y ai pas seulement voulu penser, comme ayant assez d'autres choses ? faire sans cela.
J'adresse mes paroles ? Philoth?e, parce que, voulant rapporter ? l'utilit? commune des ames ce que j'avois d'abord ?crit pour une seule, je dois me servir d'un nom commun ? tous ceux qui aspirent ? la d?votion; et ce nom, c'est Philoth?e, qui veut dire celui ou celle qui aime Dieu.
Consid?rant donc en tout ceci une ame qui, par le d?sir de la d?votion, aspire ? l'amour de Dieu, j'ai partag? cette Introduction en cinq parties. Dans la premi?re, je t?che, par les consid?rations et les exercices convenables, de changer le simple d?sir de Philoth?e en une r?solution formelle d'embrasser la d?votion; ce qu'elle fait, apr?s sa confession g?n?rale, par une solide protestation qui est suivie de la tr?s-sainte communion, dans laquelle recevant son Sauveur et se donnant ? lui, elle entre heureusement dans son saint amour. Apr?s cela, pour la conduire plus avant, je lui montre deux grands moyens de s'unir de plus en plus ? la divine Majest?: savoir, l'usage des sacremens, par lesquels ce bon Dieu vient ? nous; et la sainte oraison, par laquelle il nous tire ? lui: c'est ce qui compose la seconde partie. Dans la troisi?me, je montre ? Philoth?e comment elle doit s'exercer en plusieurs vertus tr?s-propres ? son avancement; ce que je fais par certains avis particuliers qu'elle auroit peine ? trouver ailleurs, ou par elle-m?me. Dans la quatri?me, je lui d?couvre quelques emb?ches de ses ennemis, et lui montre comme elle doit s'en d?m?ler et passer outre. Enfin, dans la cinqui?me partie, je la conduis ? l'?cart pour se rafra?chir un peu, reprendre haleine et r?parer ses forces, de mani?re ? pouvoir ensuite plus heureusement gagner pays, et s'avancer en la vie d?vote.
Notre si?cle est fort bizarre; et je pr?vois bien que plusieurs diront qu'il n'appartient qu'aux religieux, et aux gens de d?votion, de donner ainsi des r?gles particuli?res ? la pi?t?; que cela requiert plus de loisir que n'en peut avoir un ?v?que charg? d'un dioc?se aussi pesant que le mien, et que cela d?tourne trop l'entendement qui doit ?tre occup? de choses importantes.
Mais, mon cher lecteur, je r?pons, avec le grand saint Denis, qu'il appartient principalement aux ?v?ques de perfectionner les ames; parce qu'?tant de l'ordre supr?me parmi les hommes, comme les s?raphins parmi les anges, leur loisir ne peut ?tre mieux employ? qu'? cela. Les anciens ?v?ques et les P?res de l'Eglise ?toient pour le moins aussi affectionn?s ? leurs charges que nous; et cependant ils ne laissoient pas de vaquer ? la conduite particuli?re de plusieurs ames qui recouroient ? eux, comme on le voit par leurs ?p?tres; imitant en cela les ap?tres, qui, tout occup?s qu'ils ?toient de la moisson g?n?rale de l'univers, recueilloient n?anmoins tr?s-soigneusement et avec une affection sp?ciale certains ?pis plus remarquables que les autres. Qui ne sait que Timoth?e, Tite, Phil?mon, On?sime, sainte Th?cle, Appia, ?toient les chers enfans du grand saint Paul, comme saint Marc et sainte P?tronille de saint Pierre? Je dis sainte P?tronille, car elle ne fut pas sa fille selon la chair, mais bien selon l'esprit, ainsi que le prouvent tr?s-savamment Baronius et Galonius; et saint Jean n'?crit-il pas une de ses ?p?tres canoniques ? la d?vote dame Electa?
C'est une peine, je le confesse, de conduire les ames en particulier; mais une peine qui soulage, pareille en ce point ? celle des moissonneurs et des vendangeurs, qui ne sont jamais plus contens que lorsqu'ils sont fort occup?s et charg?s. C'est un travail qui d?lasse et avise le coeur par la consolation qui en revient ? ceux qui l'entreprennent, comme fait le cinamome ? ceux qui le portent ? travers l'Arabie Heureuse. On dit que lorsque la tigresse retrouve un de ses petits que le chasseur lui laisse expr?s sur le chemin pour l'amuser tandis qu'il emporte les autres, elle s'en charge aussit?t, tel gros qu'il soit, et, loin d'en ?tre plus pesante, n'en est au contraire que plus prompte ? le sauver dans sa tani?re, l'amour naturel l'all?geant par ce fardeau. Or, combien plus volontiers un coeur paternel se chargera-t-il d'une ame qu'il aura trouv?e dans un vrai d?sir de la sainte perfection, la portant en son sein comme une m?re porte son petit enfant, sans nullement se ressentir de ce faix bien-aim?!
Mais il faut sans doute que ce soit un coeur paternel: et c'est pourquoi les ap?tres et les hommes apostoliques appellent leurs disciples non-seulement leurs enfans, mais encore plus tendrement leurs petits enfans.
Au demeurant, mon cher lecteur, il est vrai que j'?cris de la vie d?vote sans ?tre d?vot, mais non pas certes sans d?sir de le devenir. Et c'est encore ce qui me porte avec plus d'affection ? vouloir vous en instruire. Car, comme disoit un savant homme, la bonne fa?on d'apprendre, c'est d'?tudier; une meilleure, c'est d'?couter; mais la tr?s-bonne, c'est d'enseigner; et il arrive souvent, dit saint Augustin en ?crivant ? la pieuse Florentine, que l'office de donner sert de titre pour recevoir, et que la charge d'enseigner sert de fondement pour apprendre.
Alexandre fit peindre la belle Compasp?, qui lui ?toit si ch?re, par la main du c?l?bre Apelles. Apelles, forc? de consid?rer longuement Compasp?, en imprima l'amour en son coeur ? mesure qu'il en exprimoit les traits sur le tableau; si bien qu'Alexandre s'en ?tant aper?u, en eut piti?, et la lui donna g?n?reusement en mariage, se privant pour l'amour de lui de la plus ch?re amie qu'il e?t au monde. En quoi, dit Pline, il montra sa grandeur d'ame, plus qu'il n'e?t fait par le gain d'une bataille. Or il me semble, mon lecteur mon ami, qu'?tant ?v?que, Dieu veut que je peigne sur les coeurs non-seulement les vertus communes, mais encore sa tr?s-ch?re et bien-aim?e d?votion; et moi je l'entreprends volontiers, tant pour ob?ir et faire mon devoir, que pour l'esp?rance que j'ai qu'en la gravant dans l'esprit des autres, le mien ? l'aventure en deviendra saintement amoureux. Or, si jamais Dieu m'en voit vivement ?pris, il me la donnera en mariage ?ternel. La belle et chaste Rebecca, abreuvant les chameaux d'Isaac, fut choisie pour ?tre son ?pouse, et re?ut de sa part des pendans d'oreilles et des bracelets d'or. Ainsi je me promets de l'immense bont? de mon Dieu que, conduisant ses ch?res brebis aux eaux salutaires de la d?votion, il rendra mon ame son ?pouse, mettant en mes oreilles les paroles dor?es de son saint amour, et en mes bras la force de les bien pratiquer; en quoi consiste essentiellement la vraie d?votion, que je supplie sa divine Majest? de vouloir bien m'accorder, ? moi et ? tous les enfans de son Eglise, ? laquelle je veux ? jamais soumettre mes ?crits, mes actions, mes paroles, mes volont?s et mes pens?es.
A Annecy, le jour de sainte Magdeleine, 1608.
INTRODUCTION
LA VIE D?VOTE.
PREMI?RE PARTIE.
CONTENANT LES AVIS ET LES EXERCICES PROPRES A CONDUIRE L'AME, DEPUIS SON PREMIER D?SIR DE LA VIE D?VOTE, JUSQU'A UNE FERME R?SOLUTION DE L'EMBRASSER.
CHAPITRE PREMIER.
Description de la vraie d?votion.
Vous aspirez ? la d?votion, tr?s-ch?re Philot?e, parce qu'?tant chr?tienne, vous savez que c'est une vertu extr?mement agr?able ? la divine Majest?. Mais, comme il arrive que les petites fautes que l'on commet au commencement d'une affaire s'agrandissent beaucoup ? mesure qu'on avance, et deviennent ? la fin presque irr?parables, il faut, avant toutes choses, que vous sachiez bien ce que c'est que la vertu de d?votion; car il n'y en a qu'une de vraie, et il y en a beaucoup de fausses et de vaines; en sorte que, sans ce discernement, vous pourriez vous tromper, et perdre le temps ? suivre quelque d?votion imprudente et superstitieuse.
Le peintre Ar?lius donnoit ? tous ses personnages la figure des personnes qu'il aimoit; et chacun peint la d?votion selon sa passion et son humeur. Celui qui est adonn? au je?ne se tiendra pour bien d?vot pourvu qu'il je?ne, quoique son coeur soit plein de rancune; et n'osant pas tremper sa langue dans le vin, ni m?me dans l'eau, par sobri?t?, il ne se fera pas scrupule de la plonger dans le sang du prochain, par la m?disance et la calomnie. Un autre s'estimera d?vot parce qu'il dit une grande multitude d'oraisons tous les jours, quoiqu'apr?s cela il se r?pande en paroles f?cheuses, fi?res et injurieuses contre ses domestiques et ses voisins. Tel autre tire volontiers l'aum?ne de sa bourse pour la donner aux pauvres, mais il ne peut tirer la douceur de son coeur pour pardonner ? ses ennemis. Celui-ci pardonne ais?ment, mais de payer ses cr?anciers, c'est ce qu'il ne fait qu'? vive force de justice. Tous ces gens-l? passent pour d?vots, et ne le sont en aucune mani?re. Les officiers de Sa?l ?tant all?s chez David pour l'arr?ter, Michol mit une statue dans son lit, et l'ayant couverte des habits de David, elle leur fit accroire que c'?toit David lui-m?me qui dormoit malade. Ainsi beaucoup de personnes se couvrent de certaines pratiques ext?rieures qui appartiennent ? la d?votion, et le monde croit que ce sont vraiment des gens d?vots et spirituels, et dans le fait ce ne sont que des statues et des fant?mes de d?votion.
La vraie et solide d?votion, Philoth?e, pr?suppose l'amour de Dieu, ou plut?t elle n'est autre chose qu'un vrai amour de Dieu; je dis un vrai amour, et non pas un amour tel quel; car en tant que l'amour divin embellit notre ame, il s'appelle gr?ce, comme nous rendant agr?ables aux yeux de Dieu; en tant qu'il nous donne la force de faire le bien, il s'appelle charit?; mais quand il en est venu ? ce degr? de perfection, de nous porter non-seulement ? faire le bien, mais encore ? le faire soigneusement, fr?quemment et promptement, alors il s'appelle d?votion, et j'explique ceci par une comparaison. Les autruches ne volent jamais, bien qu'elles aient des ailes. Les poules volent, mais pesamment, rarement, et fort bas. Au contraire, les aigles, les colombes, les hirondelles ont le vol vif, ?lev? et presque continuel. Ainsi les p?cheurs ne volent pas en Dieu, mais font toutes leurs courses sur la terre et pour la terre: les gens de bien, qui n'ont pas encore atteint la d?votion, volent en Dieu par leurs bonnes actions, mais rarement, lentement et pesamment: et il n'y a que les personnes d?votes qui s'?l?vent en Dieu d'un vol prompt, fr?quent et ?lev?. En un mot, la d?votion n'est autre chose qu'une certaine agilit? et vivacit? spirituelle, par laquelle la charit? fait ses oeuvres en nous, ou nous par elle, promptement et affectionn?ment; et comme il appartient ? la charit? de nous faire pratiquer universellement tous les commandemens de Dieu, il appartient ? la d?votion de nous les faire observer avec toute la diligence et toute la ferveur possibles. Ainsi celui qui n'observe pas tous les commandemens de Dieu, n'est ni juste ni d?vot: il n'est pas juste, puisqu'il lui manque la charit?; il n'est pas d?vot, puisque, outre la charit?, il lui manque le z?le et la promptitude aux actions charitables, qui est le propre de la d?votion.
Et parce que la d?votion consiste dans la perfection de la charit?, elle nous rend prompts, actifs et diligens, non-seulement ? observer tous les commandemens de Dieu, mais encore ? faire le plus de bonnes oeuvres que nous pouvons, encore qu'elles ne soient pas de pr?cepte, mais simplement de conseil ou d'inspiration. Un homme qui rel?ve nouvellement de maladie marche autant qu'il lui est n?cessaire, mais lentement et pesamment: il en est de m?me d'un p?cheur nouvellement gu?ri de son iniquit?; il marche autant que Dieu le lui commande; mais pos?ment et lentement; et ce n'est que lorsqu'il a atteint la d?votion, que, comme un homme sain et robuste, non-seulement il chemine, mais il court et il saute en la voie des commandemens de Dieu, et de plus, il s'?lance dans les sentiers des conseils et des inspirations c?lestes. Enfin la charit? et la d?votion ne sont pas plus diff?rentes l'une de l'autre que la flamme ne l'est du feu; puisque la charit?, qui est le feu spirituel de l'ame, s'appelle d?votion quand elle est fort enflamm?e. En sorte que la d?votion n'ajoute rien au feu de la charit?, sinon la flamme qui rend la charit? prompte, active et diligente non-seulement dans l'observation des commandemens de Dieu, mais aussi dans la pratique des conseils et des inspirations c?lestes.
Propri?t?s et excellence de la d?votion.
Ceux qui vouloient d?tourner les Isra?lites d'entrer en la terre promise leur disoient que c'?toit un pays qui d?voroit ses habitans, c'est-?-dire, que l'air y ?toit si mauvais qu'on ne pouvoit y vivre long-temps; et qu'en outre les habitans ?toient des gens si prodigieux qu'ils mangeoient les autres hommes comme des sauterelles. C'est ainsi, ch?re Philoth?e, que le monde diffame tant qu'il peut la sainte d?votion, peignant les personnes d?votes avec un visage f?cheux, triste et chagrin, publiant partout que la d?votion rend l'humeur m?lancolique et le caract?re insupportable. Mais, comme Josu? et Caleb assuroient que, non-seulement la terre promise ?toit bonne et belle, mais encore que la possession en seroit douce et agr?able, de m?me le Saint-Esprit nous enseigne par la bouche de tous les saints, et notre Seigneur lui-m?me nous assure que la vie d?vote est une vie heureuse, aimable et douce.
Le monde voit que les d?vots je?nent, prient, souffrent les injures, servent les malades, donnent aux pauvres, veillent, r?priment leur col?re, font violence ? leurs passions, se privent des plaisirs sensuels, et font mille autres choses qui de leur nature sont p?nibles et rigoureuses; mais le monde ne voit pas la d?votion int?rieure qui rend toutes ces pratiques agr?ables, douces et faciles. Regardez les abeilles sur le thym: elles y trouvent un suc fort amer; mais en le su?ant elles le convertissent en miel: parce que telle est leur propri?t?. O mondains! il est vrai que les ames d?votes trouvent beaucoup d'amertume dans leurs mortifications; mais en les faisant, elles les convertissent en douceurs et en consolations: les feux, les flammes, les roues, les ?p?es, sembloient des fleurs et des parfums aux Martyrs, parce qu'ils ?toient d?vots. Que si la d?votion peut donner de la douceur aux plus cruels tourmens, et ? la mort m?me, que ne fera-t-elle pas pour les actions de vertu? le sucre adoucit les fruits qui ne sont pas murs, et corrige dans ceux qui sont murs l'effet souvent nuisible de leur crudit?: il en est de m?me de la d?votion; elle est le vrai sucre spirituel qui fait perdre aux mortifications leur amertume, et aux consolations leur danger: elle ?te le chagrin aux pauvres, et l'empressement aux riches; la d?solation ? l'oppress?, et l'insolence au favoris?; la tristesse aux solitaires, et la dissolution ? l'homme du monde; elle sert de feu en hiver, et de ros?e en ?t?; elle rend ?galement utiles l'honneur et le m?pris; elle re?oit le plaisir et la peine avec un coeur presque toujours ?gal, et nous remplit d'une suavit? merveilleuse.
Contemplez l'?chelle de Jacob, car c'est le vrai portrait de la vie d?vote. Les deux montans de cette ?chelle repr?sentent l'oraison qui demande l'amour de Dieu, et l'usage des sacremens qui le donne; les ?chelons ne sont autre chose que les divers degr?s de charit?, par lesquels on va de vertu en vertu, en descendant par l'action au secours et support du prochain, ou montant, par la contemplation, jusqu'? l'union amoureuse de Dieu. Or, voyez, je vous prie, quels sont ceux qui sont sur l'?chelle; ce sont des hommes qui ont des coeurs ang?liques, ou des anges qui ont des corps humains. Ils ne sont pas jeunes, mais ils le paroissent, parce qu'ils sont pleins de vigueur et d'agilit?. Ils ont des ailes pour voler et s'?lancer en Dieu par la sainte oraison, mais ils ont aussi des pieds pour marcher avec les hommes et s'entretenir avec eux dans un saint et aimable commerce. La beaut? et la joie brillent sur leurs visages, pour indiquer qu'ils re?oivent toutes choses avec une douceur et une paix parfaites. Ils ont la t?te nue, aussi-bien que les bras et les pieds, parce que leurs pens?es, leurs affections et leurs oeuvres n'ont d'autre but que de plaire ? Dieu. Le reste de leur corps est couvert, mais d'une belle et l?g?re tunique, qui nous montre que, s'ils usent de ce monde et des choses mondaines, c'est en toute puret? et simplicit? de coeur, n'en prenant que l?g?rement et autant seulement que leur condition l'exige. Telles sont les personnes d?votes. Croyez-moi, ch?re Philoth?e, la d?votion est la douceur des douceurs, et la reine des vertus; c'est la perfection de la charit?. Si la charit? est un lait, la d?votion en est la cr?me; si elle est une plante, la d?votion en est la fleur; si elle est une pierre pr?cieuse, la d?votion en est l'?clat; si elle est un baume, la d?votion en est l'odeur, et l'odeur pleine de suavit? qui conforte les hommes et r?jouit les anges.
Que la d?votion convient ? toutes sortes de vocations et de professions.
Dieu, en cr?ant le monde, commanda aux plantes de porter leurs fruits, chacune selon son esp?ce. Ainsi commande-t-il aux chr?tiens, qui sont les plantes vivantes de son ?glise, de produire des fruits de d?votion, chacun selon sa qualit? et son ?tat. La d?votion doit ?tre diff?remment pratiqu?e par le gentilhomme, par l'artisan, par le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la femme mari?e; et non-seulement cela, mais il faut encore accommoder la pratique de la d?votion aux forces, aux affaires et aux devoirs de chaque particulier. Je vous le demande, Philoth?e, seroit-il convenable que l'?v?que voul?t ?tre solitaire comme les chartreux? et si les gens mari?s ne vouloient pas plus amasser que les capucins, et si l'artisan ?toit tout le jour ? l'?glise comme le religieux, et le religieux expos? ? toutes sortes de rencontres pour le service du prochain, comme l'?v?que; cette d?votion ne seroit-elle pas ridicule, d?r?gl?e et insupportable? Cette faute cependant arrive tr?s-souvent; et le monde, qui ne distingue pas, ou qui ne veut pas distinguer entre la d?votion et l'indiscr?tion de ceux qui se croient d?vots, murmure et crie contre la d?votion, qui n'est pour rien dans ces d?sordres.
Non, Philoth?e, la d?votion ne g?te rien quand elle est vraie, ou plut?t il n'est rien qu'elle ne perfectionne; et si elle nuit ? la vocation l?gitime de quelqu'un, c'est une preuve qu'elle est fausse. L'abeille, dit Aristote, tire son miel des fleurs, sans les endommager aucunement, les laissant fra?ches et enti?res comme elle les a trouv?es. Mais la vraie d?votion fait encore mieux, car non-seulement elle ne g?te en rien les vocations et les affaires, o? l'on se trouve, mais au contraire elle les orne et les embellit. Toutes sortes de pierreries, ?tant jet?es dans le miel, en deviennent plus ?clatantes, chacune selon sa couleur: de m?me aussi chacun devient plus agr?able dans sa vocation, quand il y joint la d?votion: le soin de la famille en est plus paisible, l'amour des ?poux plus sinc?re, le service du prince plus fid?le, et toutes sortes d'occupations plus douces et plus aimables.
C'est une erreur, et m?me une h?r?sie, de vouloir bannir la vie d?vote de la compagnie des soldats, de la boutique des artisans, de la cour des princes, du m?nage des gens mari?s. Il est vrai, Philoth?e, que la d?votion purement contemplative, monastique et religieuse, est impraticable en ces sortes de vacations; mais aussi, outre ces trois d?votions, il y en a plusieurs autres, tr?s-propres ? perfectionner ceux qui vivent dans le monde. Abraham, Isaac, Jacob, David, Job, Tobie, Sara, R?becca et Judith en sont la preuve dans l'Ancien Testament: et quant au Nouveau, saint Joseph, Lydia et saint Cr?pin furent s?rement tr?s-d?vots dans leurs boutiques: sainte Anne, sainte Marthe, sainte Monique, Aquila, Priscille tr?s-d?votes en leur m?nage; Corn?lius, saint S?bastien, saint Maurice tr?s-d?vots parmi les armes; Constantin, H?l?ne, saint Louis, le bienheureux Am?, saint Edouard tr?s-d?vots sur leurs tr?nes. Il est m?me arriv? que plusieurs ont perdu la perfection dans la solitude, qui est cependant si favorable ? la vie parfaite, et l'ont conserv?e dans le monde, qui semble y ?tre si contraire. Loth, dit saint Gr?goire, qui fut si chaste dans la ville, se souilla dans la solitude. Ainsi, quelque ?tat que nous ayons, nous pouvons et nous devons aspirer ? la vie parfaite.
De la n?cessit? d'un directeur pour entrer et pour avancer dans la d?votion.
Le jeune Tobie, se disposant ? partir pour Ragez: <
Un ami fid?le, dit l'Ecriture-Sainte, est une forte protection: celui qui l'a trouv? a trouv? un tr?sor. Un ami fid?le est un rem?de qui donne la vie et l'immortalit?: ceux qui craignent Dieu le trouvent. Ces divines paroles, comme vous voyez, regardent principalement l'immortalit?, pour laquelle il faut avant tout avoir cet ami fid?le, qui guide nos actions par ses avis et ses conseils, et qui nous garantisse des pi?ges et des tromperies du d?mon. Un tel ami nous sera comme un tr?sor de patience dans nos afflictions et dans nos chutes; il nous sera un baume salutaire dans nos tristesses de coeur et autres maladies spirituelles; il nous gardera du mal, et rendra notre bien meilleur; et quand il nous arrivera quelque infirmit?, il emp?chera qu'elle ne soit mortelle ? force de soins et de bons secours.
Mais qui trouvera cet ami? le Sage r?pond: ceux qui craignent Dieu; c'est-?-dire les humbles, qui d?sirent ardemment leur avancement spirituel. Puisqu'il est donc si important, Philoth?e, d'entreprendre avec un bon guide ce saint voyage de d?votion, priez Dieu tr?s-instamment qu'il vous en envoie un selon son coeur, et ne doutez pas qu'il ne le fasse; car quand il devroit vous donner un ange du Ciel, comme il fit pour le jeune Tobie, il vous le donneroit plut?t que de vous laisser manquer d'un conducteur fid?le.
Or, quand vous l'aurez trouv?, pensez effectivement que c'est un ange pour vous. Ne le consid?rez pas comme un simple homme, et ne mettez pas votre confiance en lui ? cause de son grand savoir, mais bien ? cause de Dieu, qui vous secourra et vous parlera par son entremise, mettant dans son coeur et sur ses l?vres tout ce dont vous aurez besoin: en sorte que vous devez l'?couter comme un ange qui descend du Ciel pour vous y mener. Traitez avec lui ? coeur ouvert, en toute simplicit?, lui manifestant clairement votre bien et votre mal, sans aucune esp?ce de d?guisement ni de d?tour. Par ce moyen, le bien sera plus s?r, et le mal plus promptement r?par?. Votre ame en sera aussi plus forte dans ses peines, et plus mod?r?e dans ses consolations. Ayez en lui une extr?me confiance, m?l?e d'un saint respect; de telle sorte que le respect ne diminue pas la confiance, et que la confiance n'emp?che pas le respect. Confiez-vous en lui avec le respect d'une fille pour son p?re, et respectez-le avec la confiance d'un fils pour sa m?re. En un mot, que cette amiti? soit forte et douce, toute sainte, toute sacr?e, toute divine, toute spirituelle.
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