Read Ebook: La Mort by Maeterlinck Maurice
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Ebook has 37 lines and 8923 words, and 1 pages
t-ce une intelligence des millions de fois plus vaste que la n?tre, dirige l'Univers? C'est peut-?tre une force d'une tout autre mature; une force qui diff?re autant de celle dont se glorifie notre cerveau, que l'?lectricit?, par exemple, diff?re du vent qui souffle sur la route. C'est pourquoi il est assez probable que notre pens?e, si puissante qu'elle devienne, t?tonnera toujours dans le myst?re. S'il est certain que tout ce qui se trouve en nous doit se trouver dans la nature, puisque tout nous vient d'elle, si la pens?e et toutes les logiques qu'elle a mises au point culminant de notre ?tre, dirigent ou semblent diriger tous les actes de notre vie, il ne s'ensuit nullement qu'il n'y ait pas dans l'Univers une force tr?s sup?rieure ? la pens?e, une force n'ayant avec celle-ci aucun rapport imaginable, qui anime et gouverne toutes choses selon d'autres lois, et dont on ne trouve en nous que des traces presque insaisissables, de m?me qu'on ne trouve dans les plantes ou les min?raux que des traces presque insaisissables de pens?e.
En tout cas, il n'y a pas l? de quoi perdre courage. C'est n?cessairement l'illusion humaine du mal, du laid, de l'inutile et de l'impossible qui a tort. Il faut attendre non point que l'Univers se transforme, mais que notre intelligence s'?panouisse ou prenne part ? l'autre force; et entretenir notre confiance en un monde qui ignore nos notions de but et de progr?s parce qu'il a sans doute des id?es dont nous n'avons nulle id?e et qui, au surplus, ne saurait se vouloir du mal ? lui-m?me.
Ce sont l? sp?culations assez vaines, dira-t-on volontiers. Qu'importe au fond l'id?e que nous nous faisons de ces choses qui appartiennent ? l'inconnaissable; puisque l'inconnaissable, fussions-nous mille fois plus intelligents, nous ?tant ? jamais ferm?, l'id?e que nous nous en faisons n'aura jamais aucune valeur. Il est vrai; mais il y a des degr?s dans l'ignorance de l'inconnaissable, et chacun de ces degr?s marque une conqu?te de l'intelligence. Appr?cier de plus en plus compl?tement l'?tendue de ce qu'il ignore est tout ce que le savoir de l'homme peut esp?rer. Notre id?e de l'inconnaissable fut et sera toujours sans valeur, je l'accorde, mais elle n'en est et n'en demeurera pas moins l'id?e la plus importante de l'esp?ce humaine. Toute notre morale, tout ce qu'il y a de plus profond et de plus noble dans notre existence fut toujours fond? sur cette id?e sans valeur v?ritable. Aujourd'hui comme hier, encore qu'il soit possible de reconna?tre plus clairement qu'elle ne saurait avoir de r?elle valeur, si incompl?te, si relative qu'elle demeure, il est n?cessaire de la porter aussi haut, aussi loin que l'on peut. Elle seule cr?e la seule atmosph?re o? puisse vivre le meilleur de nous-m?mes. Oui, c'est l'inconnaissable o? nous n'entrerons point; mais ce n'est pas une raison pour se dire: <
Quelle que soit la v?rit? derni?re, que nous admettions l'infini abstrait, absolu et parfait, l'infini immobile, immuable, arriv? et qui sait tout, o? tend notre raison; ou que nous pr?f?rions celui que nous offre le t?moignage, ici-bas irr?cusable de nos sens, l'infini qui se cherche, ?volue et ne s'est pas encore fix?; ce qu'avant tout il nous importe d'y pr?voir, c'est notre sort qui, d'ailleurs, dans l'un et l'autre cas, doit se confondre avec cet infini m?me.
NOTRE SORT DANS CES INFINIS
Le premier infini, l'infini id?al est le plus conforme aux exigences de notre raison, ce qui n'est pas une raison pour lui donner la pr?f?rence. Il nous est impossible de pr?voir ce que nous y deviendrons, puisqu'il semble exclure tout devenir. Il ne nous reste donc qu'? interroger le second, celui que nous voyons et imaginons dans le temps et l'espace. Au surplus, il se peut qu'il pr?c?de le premier. Quelque absolue que soit notre conception de l'Univers, nous avons vu qu'on peut toujours admettre que ce qui n'eut pas lieu dans l'?ternit? d'avant, adviendra dans celle d'apr?s nous; et que rien, sinon d'innombrables hasards, ne s'oppose ? ce que l'Univers, s'il ne la poss?de pas encore, n'acqui?re enfin la conscience int?grale qui le fixe ? son apog?e.
Nous voici dans l'infini de ces mondes, dans l'infini stellaire, dans l'infini des cieux qui nous masque assur?ment autre chose, mais ne saurait ?tre une illusion totale. Il ne nous para?t peupl? que d'objets, plan?tes, soleils, ?toiles, n?buleuses, atomes, fluides impond?rables qui s'agitent, s'unissent et se s?parent, se repoussent et s'attirent, s'affaissent et s'?panouissent, se d?placent sans cesse et n'arrivent jamais, mesurent l'espace dans ce qui n'a pas de borne et computent les heures dans ce qui n'a pas de terme. En un mot, nous voici dans un infini qui para?t avoir ? peu pr?s le m?me caract?re, les m?mes habitudes que cette puissance au sein de laquelle nous respirons et que sur notre terre nous appelons la nature ou la vie.
Qu'y deviendrons-nous? Il n'est pas vain de se le demander, alors m?me que nous nous y m?lerions apr?s avoir perdu toute conscience, toute notion du moi, alors m?me que nous n'y serions plus qu'un peu de substance sans nom, ?me ou mati?re, on ne le saurait dire, en suspens dans l'ab?me ?galement sans nom qui remplace l'espace et le temps. Il n'est pas vain de se le demander, car c'est de l'histoire des mondes ou de l'Univers qu'il s'agit; et cette histoire, bien plus que celle de notre petite existence, est notre propre et grande histoire, o? peut-?tre quelque chose de nous-m?mes ou d'incomparablement meilleur et plus vaste que nous, finira par nous retrouver quelque jour.
Y serons-nous malheureux? Nous ne sommes gu?re rassur?s lorsque nous songeons aux habitudes de la nature et consid?rons que nous faisons partie d'un Univers qui n'a pas encore rassembl? sa sagesse. Nous avons vu, il est vrai, qu'heur et malheur n'existent que par rapport ? notre corps, et qu'ayant perdu l'organe des souffrances, nous ne retrouverons plus aucune des douleurs de la terre. Mais l? ne se borne point l'inqui?tude; et notre pens?e devant laquelle s'arr?tent toutes nos douleurs d'autrefois, roulant, d?sempar?e, de mondes en mondes, inconnue ? elle-m?me dans de l'inconnaissable qui se cherche sans espoir, ne conna?tra-t-elle pas ici l'effroyable torture dont nous avons d?j? parl? et qui, sans doute, est la derni?re que l'imagination puisse toucher de l'aile? Enfin, quand il n'y aurait plus rien de notre corps et notre pens?e, il resterait la mati?re et l'esprit qui les compos?rent et dont le sort ne nous doit pas ?tre plus indiff?rent que notre propre sort; car, r?p?tons-le, ? partir de notre mort, l'aventure de l'Univers devient notre aventure. Ne nous disons donc point: <
Ce tout dont nous serons, en un monde qui se cherche toujours, continuera-t-il d'?tre en proie ? des exp?riences nouvelles, incessantes et peut-?tre p?nibles? Puisque la partie que nous y f?mes s'y trouva malheureuse, pourquoi la partie que nous y serons y aurait-elle meilleure chance? Qui nous assure que ces combinaisons et ces essais, qui ne finiront point, ne seront pas plus douloureux, plus maladroits et plus funestes que ceux dont nous sortons, et comment expliquer que ceux-ci aient pu se produire apr?s tant de millions d'autres qui auraient d? ouvrir les yeux du g?nie de l'infini? On a beau se persuader, comme le veut la sagesse hindoue, que nos douleurs ne sont qu'illusions et apparences, il n'en est pas moins vrai qu'elles nous rendent tr?s r?ellement malheureux. L'Univers a-t-il ailleurs une conscience plus compl?te, une pens?e plus juste et plus sereine que sur cette terre ou dans les mondes que nous apercevons? Et s'il est vrai qu'il ait atteint en quelque autre lieu cette pens?e meilleure, pourquoi celle qui pr?side aux destin?es de notre terre n'en profite-t-elle point? Aucune communication ne serait-elle possible entre des mondes qui doivent ?tre n?s de la m?me id?e et s'y trouvent plong?s? Quel serait le myst?re de cet isolement? Faut-il croire que la terre marque l'?tape la plus avanc?e et l'exp?rience la plus favoris?e? Qu'aurait donc fait la pens?e de l'Univers et contre quelles t?n?bres lui aurait-il fallu lutter pour n'en ?tre que l?? Mais, d'un autre c?t?, ces t?n?bres ou ces obstacles, qui ne na?traient que d'elle-m?me, ne pouvant surgir de nulle autre part, eussent-ils pu l'arr?ter? Qui donc aurait pos? ? l'infini ces probl?mes insolubles, et de quel endroit plus recul? et plus profond que lui-m?me seraient-ils sortis? Il faut pourtant que quelqu'un sache ce qu'ils demandent; et comme derri?re l'infini ne peut se trouver personne qui ne soit l'infini m?me, il est impossible d'imaginer une mauvaise volont? dans une volont? qui ne laisse autour d'elle aucun point qu'elle n'occupe tout entier. Ou bien, les exp?riences commenc?es dans les astres se continuent-elles m?caniquement, en vertu de la force acquise, sans ?gard ? leur inutilit? et ? leurs cons?quences pitoyables, selon la coutume de la nature qui ignore notre parcimonie et gaspille les ?toiles dans l'espace comme les semences sur la terre, sachant que rien ne se peut perdre? Ou encore, toute la question de notre repos et de notre bonheur, comme celle de la destin?e des mondes, se r?duit-elle ? savoir si l'infini des tentatives et des combinaisons est ou n'est pas ?gal ? celui de l'?ternit?? Ou enfin, pour en venir au plus probable, est-ce nous qui nous trompons, ignorons tout, ne voyons rien et estimons imparfait ce qui peut-?tre est sans d?faut; nous qui ne sommes qu'un infime fragment de l'intelligence que nous jugeons ? l'aide des petits d?bris de pens?e qu'elle a bien voulu nous pr?ter?
Comment pourrions-nous r?pondre, comment nos pens?es et nos regards p?n?treraient-ils l'infini et l'invisible, nous qui ne comprenons et ne voyons m?me pas la chose par laquelle nous voyons et qui est la source de toutes nos pens?es? En effet, ainsi qu'on l'a fait tr?s justement observer, l'homme ne voit pas la lumi?re elle-m?me. Il ne voit que la mati?re ou plut?t la petite partie des grands mondes qu'il conna?t sous le nom de mati?re, touch?e par la lumi?re.
Il n'aper?oit les immenses rayons qui parcourent les cieux qu'? l'instant qu'ils sont arr?t?s par un objet conforme ? l'un de ceux que son oeil est accoutum? de voir sur cette terre; sinon tout l'espace peupl? de soleils innombrables et d'une puissance sans limites, au lieu d'?tre l'ab?me d'absolues t?n?bres qui absorbe et ?teint les faisceaux de clart?s qui de toutes parts le traversent, ne serait qu'un prodigieux, un insoutenable oc?an de fulgurations. Et si nous ne voyons pas la lumi?re, du moins en croyons-nous conna?tre quelques traits ou quelques reflets; mais nous ignorons absolument tout de ce qui, sans doute, est la seule loi essentielle de l'Univers: la gravitation. Qu'est-ce donc que cette force, de toutes la plus puissante et la moins visible, insaisissable, sans forme, sans couleur, sans temp?rature, sans consistance, sans saveur et sans voix, mais si formidable qu'elle suspend et meut dans l'espace tous les mondes que nous voyons et tous ceux que nous n'apercevrons jamais? Plus rapide, plus subtile, plus spirituelle que la pens?e, elle r?gne ? tel point sur tout ce qui existe, de l'infiniment grand ? l'infiniment petit, qu'il n'est pas un grain de sable sur notre terre, une goutte de sang dans nos veines, qui, p?n?tr?, travaill?, anim? par elle, n'agisse ? tout instant sur la plus lointaine plan?te du dernier syst?me solaire que nous nous effor?ons d'imaginer par del? les bornes de notre imagination. Voici longtemps que le mot fameux de Shakespeare: <
Il n'y a pas plus de choses que n'en peut r?ver ou imaginer notre philosophie; il n'y a que des choses qu'elle ne peut r?ver, il n'y a que de l'inimaginable; et si nous ne voyons m?me pas la lumi?re, qui est la seule chose que nous croyions voir, on peut dire qu'il n'y a tout autour de nous que de l'invisible.
Nous nous agitons dans l'illusion de voir et de conna?tre ce qui est strictement indispensable ? notre petite vie. Tout le reste, qui est ? peu pr?s tout, nos organes nous en d?fendent non seulement l'acc?s, la vision ou la perception, mais nous interdisent m?me de soup?onner ce qu'il est, comme ils nous emp?cheraient d'y rien comprendre si une intelligence d'un autre ordre s'avisait de nous le r?v?ler ou de nous l'expliquer. Le nombre et le volume des myst?res est aussi illimit? que l'Univers. Si l'humanit? se rapprochait un jour de ceux qui lui semblent aujourd'hui les plus grands et les plus inaccessibles; par exemple, l'origine et le but de la vie; derri?re ceux-ci, comme des montagnes ?ternelles, elle en verrait imm?diatement surgir d'autres qui seraient aussi grands et aussi insondables; et ainsi ind?finiment. Par rapport ? ce qu'il faudrait savoir pour tenir la cl? de ce monde, elle se trouverait toujours au m?me point d'ignorance centrale. Il en irait encore de m?me si nous poss?dions une intelligence plusieurs millions de fois plus vaste et plus p?n?trante que la n?tre. Tout ce que d?couvrirait sa puissance miraculeusement accrue rencontrerait des limites non moins infranchissables qu'? pr?sent. Tout est sans bornes dans ce qui n'a pas de bornes. Nous serons les prisonniers ?ternels de l'infini. Il nous est donc impossible d'appr?cier en quoi que ce soit, f?t-ce sur le plus petit point imaginable, l'?tat pr?sent de l'Univers, et de dire, tant que nous serons hommes, s'il suit une ligne droite ou s'il d?crit un cercle sans mesure, s'il devient plus sage ou plus insens?, s'il s'avance vers l'?ternit? qui n'aura pas de fin ou revient sur ses pas vers celle qui n'a pas eu de commencement. Tout ce qui nous est accord? dans notre minuscule enceinte, c'est de nous y ?vertuer vers ce qui nous para?t ?tre le mieux et d'y demeurer h?ro?quement convaincus que rien de ce que nous y faisons ne s'y peut perdre.
Mais que toutes ces questions insolubles ne nous poussent pas vers la crainte. Au point de vue de notre avenir d'outre-tombe, il n'est nullement n?cessaire que nous ayons r?ponse ? tout. Que l'Univers ait trouv? sa conscience, la trouve un jour ou la cherche ?ternellement, il ne saurait exister pour ?tre malheureux et souffrir, non plus dans son ensemble que dans une seule de ses parties; peu importe que celle-ci soit invisible ou incommensurable, attendu que le plus petit est aussi grand que le plus grand dans ce qui n'a terme ni mesure. Torturer un point, c'est m?me chose que torturer les mondes; et s'il torture les mondes, c'est sa propre substance qu'il torture. Son sort m?me, o? nous prenons place, nous prot?ge; car nous ne sommes que de l'infini. Il tient en nous comme nous tenons en lui. Son souffle est notre souffle, son but est notre but et nous portons en nous tous ses myst?res. Nous y participons de toutes parts. Il n'y a rien en nous qui lui ?chappe; il n'y a rien en lui qui ne nous appartienne. Il nous prolonge, nous remplit, nous traverse de tous c?t?s. Dans l'espace et le temps, et dans ce qui, par del? l'espace et le temps, n'a pas encore de nom, nous le repr?sentons et le r?sumons tout entier avec toutes ses propri?t?s et tout son avenir; et si son immensit? nous effraie, nous sommes aussi effrayants que lui-m?me.
Si donc nous devions y souffrir, nos souffrances n'y seraient qu'?ph?m?res, et rien n'importe qui n'est pas ?ternel. Il est possible, bien qu'assez incompr?hensible, que des parties se trompent et s'?garent; mais il est impossible que la douleur soit une de ses lois durables et n?cessaires; car il aurait port? cette loi contre lui-m?me. Aussi bien est-il et doit-il ?tre sa propre loi et son unique ma?tre; sinon la loi ou le ma?tre auquel il devrait ob?ir serait seul l'Univers, et le centre d'un mot que nous pronon?ons sans pouvoir en saisir l'?tendue serait simplement d?plac?. S'il est malheureux, c'est qu'il veut son malheur; s'il veut son malheur, il est fou, et s'il nous para?t fou, c'est que notre raison fonctionne au rebours de tout et des seules lois possibles puisqu'elles sont ?ternelles; ou, plus humblement, c'est qu'elle juge ce qu'elle ne comprend point.
Il faut donc que tout finisse ou peut-?tre que tout soit d?j?, sinon dans le bonheur, du moins dans un ?tat exempt de toute souffrance, de toute inqui?tude, de tout malheur durable; et qu'est-ce au fond que notre bonheur sur cette terre, sinon l'absence de douleur, d'inqui?tude et de malheur?
Mais il est pu?ril de parler de bonheur et de malheur quand il s'agit de l'infini. L'id?e que nous avons du bonheur et du malheur est si sp?ciale, si humaine, si fragile, qu'elle ne d?passe pas notre taille et tombe en poussi?re d?s que nous la sortons de sa petite sph?re. Elle provient enti?rement de quelques hasards de nos nerfs qui sont faits pour appr?cier de minimes incidents, mais auraient pu sentir tout au rebours et se r?jouir de ce qui les peine.
Je ne sais si l'on se rappelle la saisissante page de Sir William Crookes, o? l'illustre savant d?montre qu'aux yeux d'un homme microscopique, presque tout ce que nous tenons pour lois essentielles de la nature se trouverait d?menti; tandis que des forces que nous ignorons ? peu pr?s, telles que la tension superficielle, la capillarit?, les mouvements Browniens, deviendraient pr?pond?rantes. Il se prom?nerait, par exemple, sur une feuille de chou, ? l'heure de la ros?e, et la voyant constell?e d'?normes globes de cristal, il en conclurait que l'eau est un corps solide qui s'arrondit et monte dans les airs. A quelques pas de l?, s'approchant d'une mare, il constaterait que ce m?me corps, au lieu de s'?lever, para?t s'incliner ? partir du bord, en une immense courbe concave. S'il essayait, avec l'aide de ses amis, d'y jeter une de ces ?normes barres d'acier que nous appelons aiguilles, il verrait celle-ci creuser ? la surface du liquide une sorte de lit et y flotter tranquillement. Il tirerait naturellement de ces exp?riences et de mille autres qu'il pourrait faire, des th?ories diam?tralement contraires ? celles sur quoi repose toute notre vie. Il en irait de m?me dans l'hypoth?se de William James, o? il s'agit d'alt?rations possibles dans le sens de la dur?e. <
Nous ne croyons voir sur notre t?te que catastrophes, morts, tourments et d?sastres, nous frissonnons ? la seule pens?e des grands froids et des formidables et noires solitudes interplan?taires et nous nous imaginons que les mondes qui roulent dans l'espace sont aussi malheureux que nous parce qu'ils se glacent, se d?sagr?gent, se heurtent et se consument en d'indicibles flammes. Nous en inf?rons que le g?nie de l'Univers est un tyran atroce, en proie ? une monstrueuse d?mence, qui ne se compla?t qu'au supplice de soi-m?me et de tout ce qu'il porte. A des millions d'?toiles, qui sont plusieurs milliers de fois plus grandes que notre soleil, ? des n?buleuses dont aucun chiffre, aucun mot de nos langues ne peut exprimer la nature et les dimensions, nous pr?tons notre sensibilit? d'un instant, le petit agencement ?ph?m?re de nos nerfs; et nous sommes convaincus que la vie doit ?tre impossible ou ?pouvantable en ces mondes, parce que nous y aurions trop chaud ou trop froid. Il serait bien plus sage de nous dire qu'il e?t suffi d'un rien, de quelques papilles de plus ou de moins sur notre ?piderme, de quelques ramifications d?plac?es dans l'oeil et l'oreille, pour que la temp?rature, le silence et les t?n?bres de l'espace devinssent un printemps d?licieux, une musique inou?e, une lumi?re divine. <
CONCLUSIONS
Afin de garder de tout ceci une image plus vive et un souvenir plus pr?cis, embrassons d'un dernier coup d'oeil le chemin parcouru. Nous avons ?cart?, pour les motifs que nous avons dits, les solutions religieuses et l'an?antissement total. L'an?antissement est mat?riellement impossible; les solutions religieuses occupent une citadelle sans portes ni fen?tres o? la raison humaine ne p?n?tre point. Vient ensuite l'hypoth?se de la survivance de notre moi, d?livr? de son corps, mais gardant pleine et intacte conscience de son identit?. Nous avons vu que cette hypoth?se, en ses strictes limites, n'est que fort peu probable et m?diocrement d?sirable, bien que, par l'abandon du corps, source de tous nos maux, elle semble moins redoutable que notre existence actuelle. D'autre part, d?s qu'on essaye de l'?tendre ou de l'?lever, afin qu'elle paraisse moins barbare ou moins na?ve, on rejoint l'hypoth?se de la conscience universelle ou de la conscience modifi?e, qui, avec celle de la survivance sans aucune esp?ce de conscience, ferme le champ ? toutes les suppositions et ?puise ce que l'imagination peut pr?voir.
La survivance sans aucune esp?ce de conscience ?quivaudrait pour nous ? l'an?antissement pur et simple et, par cons?quent, ne serait pas plus redoutable que celui-ci, c'est-?-dire qu'un sommeil sans r?ve et sans r?veil. L'hypoth?se est, sans contredit, plus acceptable que celle de l'an?antissement, mais pr?juge de fa?on tr?s t?m?raire les questions de la conscience universelle et de la conscience modifi?e.
Avant de r?pondre ? celles-ci, il faut choisir son Univers, car nous avons le choix. Il s'agit de savoir de quelle mani?re nous envisagerons l'infini. Sera-ce l'infini immobile, immuable, de toute ?ternit? parfait et ? son apog?e et l'Univers sans but que doit, ? l'extr?me pointe de nos pens?es, concevoir notre raison? Croyons-nous qu'? notre mort, l'illusion de mouvement et de progr?s que nous voyons du fond de cette vie s'?vanouira brusquement? Il est in?vitable, alors, qu'? l'instant de notre dernier soupir, nous serons absorb?s dans ce que, faute de mieux, nous appelons la conscience universelle. Au contraire, sommes-nous persuad?s que la mort nous r?v?lera que l'illusion ne se trouve pas dans nos sens, mais dans notre raison, et qu'en un monde incontestablement vivant, malgr? l'?ternit? ant?rieure ? notre naissance, toutes les exp?riences n'ont pas ?t? faites, c'est-?-dire que le mouvement et l'?volution continuent et ne s'arr?teront nulle part ni jamais; il nous faudra d?s lors admettre la conscience modifi?e ou progressive. Les deux aspects, au fond, sont ?galement inintelligibles, mais d?fendables, et, bien qu'inconciliables, s'accordent sur un point, ? savoir que la douleur sans terme et le malheur sans esp?rance en sont ?galement et ? jamais exclus.
L'hypoth?se de la conscience modifi?e n'exige pas la perte de la petite conscience acquise dans notre corps; mais elle rend celle-ci presque n?gligeable, la jette, la noie et la dissout dans l'infini. Il est naturellement impossible d'?tayer cette hypoth?se de preuves satisfaisantes; mais il n'est pas facile de la ruiner comme les pr?c?dentes. S'il ?tait permis de parler de vraisemblance, quand notre seule v?rit? est que nous ne voyons pas la v?rit?, elle est la plus vraisemblable des hypoth?ses d'attente, et ouvre de magnifiques portes aux r?ves les plus plausibles, les plus vari?s et les plus s?duisants. Notre moi, notre ?me, notre esprit, ou quel que soit le nom dont nous appellerons ce qui nous survivra pour demeurer nous-m?mes, retrouvera-t-il au sortir de notre corps les innombrables vies qu'il doit avoir v?cues depuis les mill?naires qui n'eurent pas de commencement? Continuera-t-il de s'accro?tre en s'assimilant tout ce qu'il rencontrera dans l'infini, durant des mill?naires qui n'auront pas de fin? S'attardera-t-il quelque temps autour de notre terre, y menant, dans des r?gions invisibles ? notre oeil, une existence de plus en plus haute et heureuse, comme le veulent les th?osophes et les spirites? Ira-t-il vers d'autres syst?mes plan?taires, ?migrera-t-il en d'autres mondes dont nos sens ne soup?onnent m?me pas l'existence? Tout semble permis dans ce grand songe, hormis ce qui pourrait en arr?ter l'essor.
N?anmoins, d?s qu'il s'aventure trop loin dans les espaces d'outre-tombe, il se heurte ? d'?tranges obstacles et s'y brise les ailes. Si nous admettons que notre moi ne demeure pas ?ternellement tel qu'il ?tait ? l'instant de notre mort, nous ne pouvons plus imaginer qu'? un moment donn? il s'arr?te, cesse de s'?tendre et de s'?lever, atteigne sa perfection et sa pl?nitude, pour n'?tre plus qu'une sorte d'?pave immuable en suspens dans l'?ternit? et une chose finie dans tout ce qui ne finira jamais. Ce serait bien la seule et v?ritable mort; et d'autant plus affreuse qu'elle mettrait un terme ? une vie et ? une intelligence sans ?gales, ? c?t? desquelles celles que nous poss?dons ici-bas ne p?seraient m?me pas ce que p?se une goutte d'eau en face de l'Oc?an ou un grain de sable en contrepoids d'une cha?ne de montagnes. En un mot, ou nous croyons que notre ?volution s'arr?tera un jour; et c'est une fin incompr?hensible et une sorte de mort inconcevable; ou nous admettons qu'elle n'aura pas de terme, et d?s lors, ?tant infinie, elle prend tous les caract?res de l'infini et doit se perdre et se confondre en lui. C'est du reste ? quoi aboutissent la th?osophie, le spiritisme et toutes les religions o? l'homme, dans son bonheur supr?me, est absorb? par Dieu. Et c'est encore une fin incompr?hensible, mais du moins c'est la vie. Et puis, incompr?hensible pour incompr?hensible, apr?s avoir fait tout ce qui est humainement possible pour comprendre l'une ou l'autre ?nigme, jetons-nous de pr?f?rence dans la plus vaste et partant la plus vraisemblable, celle qui contient toutes les autres et apr?s laquelle il ne reste plus rien. Sinon les questions se redressent ? chaque ?tape et les r?ponses sont toujours diff?r?es. Et questions et r?ponses nous m?nent au m?me ab?me in?vitable. Puisqu'il faut t?t ou tard l'aborder, pourquoi n'y pas aller tout de suite? Tout ce qui nous arrive dans l'intervalle, nous int?resse sans nul doute, mais ne nous retient pas, n'?tant pas ?ternel.
Nous voici donc devant le myst?re de la conscience universelle. Bien que nous soyons incapables de comprendre l'acte d'un infini qui se replierait sur soi pour se sentir, par cons?quent se d?finir et se s?parer d'autre chose, ce n'est pas une raison suffisante pour le d?clarer impossible; car, si nous rejetions toutes les r?alit?s et impossibilit?s que nous ne comprenons point, il ne nous resterait plus de quoi vivre. Si cette conscience existe sous cette forme dont nous avons l'id?e, il est ?vident que nous nous y trouverons et y prendrons part. S'il y a conscience en quelque lieu, ou quelque chose qui remplace la conscience, nous serons dans cette conscience ou cette chose, puisque nous ne pouvons ?tre ailleurs. Et cette conscience ou cette chose o? nous nous trouverons, ne pouvant ?tre malheureuse, puisqu'il est impossible que l'infini n'existe que pour son malheur, nous n'y serons pas malheureux non plus. Enfin, si l'infini o? nous serons lanc?s n'a aucune esp?ce de conscience ni rien qui en tienne lieu, c'est que la conscience ou ce qui la pourrait remplacer, n'est pas indispensable au bonheur ?ternel.
Voil?, je pense, ? peu pr?s, ce qu'il est permis d'affirmer, pour l'instant, ? l'?me inqui?te devant l'espace insondable o? la mort va bient?t la jeter. Elle y peut esp?rer tout ce qu'elle y r?vait; elle y craindra peut-?tre moins ce qu'elle y redoutait. Si elle pr?f?re demeurer dans l'attente et n'admettre aucune des hypoth?ses que j'ai expos?es de mon mieux et sans parti pris, il semble cependant difficile de ne pas accueillir, tout au moins, cette grande assurance que l'on retrouve au fond de chacune d'elles: ? savoir que l'infini ne saurait nous vouloir du mal, attendu que s'il tourmentait ?ternellement le moindre d'entre nous, il tourmenterait quelque chose qu'il ne peut arracher de soi, et partant tout lui-m?me.
Je n'ai rien ajout? ? tout ce qu'on savait. J'ai simplement tent? de s?parer ce qui peut ?tre vrai de ce qui certainement ne l'est point; car, si l'on ignore o? se trouve la v?rit?, on apprend n?anmoins ? conna?tre o? elle ne se trouve pas. Et peut-?tre, en recherchant cette introuvable v?rit?, aurons-nous accoutum? nos yeux ? percer, en la regardant fixement, l'?pouvante de la derni?re heure. Il reste sans nul doute, ? dire bien des choses que d'autres diront avec plus de force et d'?clat. Mais n'esp?rons pas que quelqu'un prononce sur cette terre le mot qui mette un terme ? nos incertitudes. Il est au contraire fort probable que personne en ce monde, ni peut-?tre dans l'autre, ne d?couvrira le grand secret de l'Univers. Et, pour peu qu'on r?fl?chisse, il est tr?s heureux qu'il en soit ainsi. Nous avons non seulement ? nous r?signer ? vivre dans l'incompr?hensible, mais ? nous r?jouir de n'en pouvoir sortir. S'il n'y avait plus de questions insolubles ni d'?nigmes imp?n?trables, l'infini ne serait pas infini; et c'est alors qu'il faudrait ? jamais maudire le sort qui nous aurait mis dans un Univers proportionn? ? notre intelligence. Tout ce qui existe ne serait plus qu'une prison sans issues, un mal et une erreur irr?parables. L'inconnu et l'inconnaissable sont et seront peut-?tre toujours n?cessaires ? notre bonheur. En tout cas, je ne souhaiterais pas ? mon pire ennemi, sa pens?e f?t-elle mille fois plus haute et plus puissante que la mienne, d'?tre ?ternellement condamn? ? habiter un monde dont il aurait surpris un secret essentiel et auquel, ?tant homme, il aurait commenc? ? comprendre quelque chose.
TABLE DES CHAPITRES
Notre injustice envers la mort 1 L'an?antissement 33 La survivance de la conscience 39 L'hypoth?se th?osophique 67 L'hypoth?se n?o-spirite. Les apparitions 77 Les communications avec les morts 85 La correspondance crois?e 131 La r?incarnation 147 Le sort de la conscience 179 Les deux aspects de l'infini 203 Notre sort dans ces infinis 229 Conclusions 257
B--8844.--L.-Impr. r?un., 7, rue Saint-Beno?t, Paris.
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