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Words: 37312 in 6 pages
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: Suzanne et le Pacifique by Giraudoux Jean - Pacific Ocean Fiction; French fiction 20th century FR Littérature; FR Nouveautés
onger si c'?tait une race trop grosse. Les plus gourmands et les moins d?vou?s ? la patrie des singes, au lieu de noix et de bananes pleines, m'envoyaient des coquilles et des pelures qui, elles, flottaient. Puis j'entendis des cris d'enfant qu'on bat et je vis, d?gringolant de liane en liane sans qu'aucune p?t le retenir, un singe ridicule, ? peine plus gros que les singes pour orgues de Barbarie , qui se tournait de face vers moi, qui ne put m?me garder cet ?quilibre, et dont je vis soudain le derri?re bleu. Tous les autres, indign?s de voir trahir ainsi ? la fois leur pr?sence et leur secret, s'enfuirent, et la verdure fut trou?e de cent taches indigo. Je les vis d'arbre en arbre sauter, comme un ramoneur surgir de chaque cocotier, se poursuivre chacun comme le d?nonciateur, dispara?tre. Puis, dans le voisinage, je les entendis pousser ensemble la m?me clameur, une exclamation provoqu?e s?rement par quelque autre b?te, mais cette fois unanime, et dont l'accord prouvait que passait l?-bas un ?tre sur lequel les singes ne sauraient avoir d'avis et de cris m?lang?s comme en ce qui regarde une jeune fille de Bellac... un boa peut-?tre, ou un fauve... Mais je n'avais pas peur, j'avan?ai...
Joie, pour qui ne sait plus ce qu'est un oeil, sans gaine blanche, un oeil autre que l'oeil des oiseaux, un oeil enfin d?cousu par le vrai canif, pour qui a cherch? des semaines un poisson ? yeux ovales, d'apercevoir ? chaque minute, n? d'une minute de silence, un petit animal neuf, une paire d'yeux. Des rats, qui bondirent ? la mer, annon?ant faussement que l'?le allait sombrer. Des cobayes. Des musaraignes. Je les suivais d'un regard ?tonn? d'avoir ? ne point s'?lever, habitu? par les oiseaux ? une vie verticale dont j'?tais ce matin sortie... Sur le sable, sur la partie de l'?le o? j'aurais eu le plus de chances de trouver une trace humaine, j'avan?ais, essayant de la d?m?ler dans mille empreintes de singes avec la patience de celui qui cherche, dans un champ de tr?fle, le tr?fle ? quatre feuilles... De loin j'entendais d'ailleurs encore les singes,--? nouveau discordants: c'est qu'ils pensaient ? moi... Puis j'entrai, la zone des cocotiers franchie, dans un haut gazon plant? de tiges de rosiers, toutes s?ches--des hommes jadis avaient pass? l?--et partout, au lieu de ces taches color?es et stupides qui m'accompagnaient hier encore, des glissements, et bient?t, me regardant de ce regard par lequel dans mon enfance il avait pris ma confiance, rabaissant cette oreille qui avait conquis ma tendresse, remuant ce nez qui lui avait donn? mon amour, un lapin... Partout, me regardant ? travers un animal, ? travers ce d?cor de mon existence ancienne qu'?tait une antilope, un chat, une fouine, les deux yeux d'un petit acteur. Partout, au lieu de ces bruits frip?s de plumes, des bruits de pas, de trot, de galop, un rythme d'Europe qui me redonnait la lenteur et la vitesse. De beaux oiseaux rouges et verts montaient ? chaque instant sous mes pas, tout droits, comme les fus?es italiennes qu'on lance pour distraire un criminel de son crime, un savant de son travail, mais je ne levais plus les yeux. Je heurtais du pied de gros oeufs orange, plac?s l? pour retarder ma course vers le li?vre ou le blaireau, mais je ne les ramassais plus. Toute ma journ?e se passa ? tourner ? rebours un cin?ma de mon enfance qui me rendit les cochons d'Inde, les ?cureuils. Quand j'entendais les herbes froiss?es, quand un buisson ondulait, au lieu de n'avoir ? penser comme dans mon ?le: c'est le vent d'Est, c'est le vent d'Ouest,... de ma m?moire s'?chappait, la raclant doucement s'il avait des piquants, un nouvel animal:--C'est un p?cari, me disais-je... C'est un iguane... C'est peut-?tre un tatou... Chaque insecte, chaque plante me donnait, comme ? un cr?ateur, l'image, l'attente de l'animal qui vivait d'eux: des blattes? ma mangouste n'?tait pas loin... Des abeilles? attention aux petits ours... Des carabes dor?s? j'allais voir un carabier. De naufrag?e, d'?pave, j'?tais promue Alice aux pays des merveilles. Plus qu'elle encore j'?prouvais ce d?lire int?rieur que donne l'id?e du singe bleu, et cet apitoiement sur le mal humain que donne le tatou, et ce d?vouement pour la patrie que donne la petite antilope grise, et cet amour des savants, des po?tes, que donne l'antilope ray?e. Chaque motte de l'?le tomb?e ? la mer devenait un rat musqu?, une loutre, et la regagnait aussit?t, lui redonnant en vie et en poil tout ce qu'elle perdait de roche et de feuillage. Un ?lan encore de l'?le, et j'allais voir les racines plong?es dans l'eau s'agiter, devenir des trompes, le tronc tachet? des viellis devenir un cou de girafe. Puis, comme si les fruits ?taient vivants, d'un arbre que je secouai, entre vingt fruits, un ?cureuil tomba sur mon ?paule. D?j? il avait gliss? le long de mon corps, je n'avais attrap? qu'une prune ?cras?e, mais j'avais enfin ?t? fr?l?e par autre chose qu'une aile et qu'une ?caille, par un de ces ?tres qui donnent plus ? l'homme que des chapeaux et des peignes, par un de ces ?tres destin?s ? orner, non plus notre t?te, mais notre corps, par un ?tre de ma chaleur.
Je vois maintenant qu'il e?t ?t? trop violent, trop dangereux pour moi de retrouver tout de suite, sans interm?diaire, des hommes... Mais un beau soleil, ce jour-l?, projecteur d'Europe, projetait sur ces b?tes de petits d?fauts, de petites qualit?s qui ne me rendaient qu'? une douce et enfantine humanit?. Tous les animaux des fables ?taient l?, qui m'avaient, ? dix ans, quand je croyais les humains sans d?faut, amen?e ? croire au mal, ? la l?g?ret?, ? l'?go?sme; les m?mes lapins, rats et belettes. J'?tais ? nouveau dans un pays o? mon esprit et mon coeur d'autrefois se monnayaient et avaient cours. Que sert-il d'?tre bonne, avec des poissons torpille et des truites arc-en-ciel? D'?tre obstin?e avec des ptem?rops et des gourahs? D'?tre voluptueuse avec des paradisiers et des poules? Je sentais qu'ici, en ce moment, chacun de mes gestes, observ? par mille yeux, servait ? faire battre un coeur et ? me rendre d?esse dans un cerveau d'antilope ou de musaraigne, et je ne refusais plus sur ce poil la royaut? que j'avais d?daign?e sur les moussons et les coraux. Puis une chevrette passa, une patte boiteuse, mal soud?e ? la cassure mais garnie d'un tampon goudronn?: et, comme si je reconnaissais ? une greffe sur un arbre le passage d'un homme, je me sentis,--le chat sauvage aussi y contribua un peu, surgissant tout ? coup, ouvrant sa gueule rose, crachant vers moi,--inond?e de tendresse...
C'?tait bien la tendresse d'Europe qui consiste ? caresser un animal vivant, point celle d'Asie qui est de se tuer pour son chef, point la tendresse am?ricaine, qui est de feindre, en dansant, d'avoir le pied pris ? du chewing gum tomb? ? terre et d'amuser ainsi sa danseuse. J'essayai de saisir une de ces mille b?tes. Mais les plus famili?res ? mon coeur s'enfuyaient le plus vite, et il ne me resta apr?s une heure de course qu'un tatou, dont je ne savais que faire et qui attendait, stupide, comme au colin-maillard quand on vous a fait prendre un passant inconnu. Je cherchais, ? d?faut d'eux-m?mes, ? atteindre leurs petits, ? trouver un nid de chats sauvages, de renards, de blaireaux; en vain. Une sarigue passa, que je ne pus fouiller. Les singes continuaient leur vacarme, tournant autour de l'?le et s'ameutant de distance en distance comme les fanfares, au premier janvier, dans les bourgs, qui vont souhaiter la bonne ann?e aux membres d'honneur. Parfois ? un craquement, je les devinais au-dessus de moi, silencieux et immobiles jusqu'? la seconde o? l'un d'eux, apr?s un faux geste, devait choir, oblig? de revenir chercher presque jusqu'au sol son adresse de singe. Alors ils battaient en retraite assourdissante... Mais d?j?, attir?e par des bananes toutes d?cortiqu?es dont je semais ma route, par des tranches de noix de coco enti?res, une guenon boiteuse me suivait. Je me retournai vers elle soudain, et alors au lieu de fuir, se roulant sur le dos, de trois pattes, la patte boiteuse ?cart?e de cet honneur, elle me tendit son enfant. Il criait, mais ne r?sistait pas. Il me faisait des grimaces, mais il m'embrassait. Il me battait, mais regardait d?j? par-dessus mon ?paule comme d'un rempart, et, au premier geste berceur que je fis, dans un ?lan pour m'?chapper, il s'endormit.
C'?tait bien dans la vie que je rentrais, car ma journ?e du lendemain, au lieu d'?tre faite d'heures interchangeables, se morcela en ?pisodes, comme en Europe. Il y eut l'?pisode du tremblement de terre, celui de la mort de la guenon, celui du tr?sor.
D?j? le jour renaissait. Les feuilles de bananier combles de ros?e chaviraient l'une apr?s l'autre. C'est cette eau que j'aimais boire chaque matin apr?s avoir press? un pamplemousse au-dessus de la feuille m?me. Le son m?tallique que mon ?le rendait parfois ?tait ici plus marqu? encore. Des scies grin?aient, les feuilles de palmier se heurtaient au fracas du zinc; avec les cris des singes autour de moi qui jouaient ? eux seuls toutes les fables de La Fontaine, se rencontrant de face sur une liane au-dessus d'un gouffre et ne c?dant point, tirant par la queue une guenon sur le dos qui ?treignait une noix, l'un d'en bas parlant ? l'autre d'en haut qui mangeait une banane, j'avais plus encore aussi cette impression de me r?veiller dans un jardin public, le matin, non loin d'une usine. Une mangouste passa au galop, j'eus le sursaut qu'on a au Jardin des Plantes quand la mangouste s'?chappe, du regard cherchant je ne sais quel gardien... Mon petit singe passait de mon ?paule ? ma poitrine, comme la goutte d'eau d'un niveau, chaque fois que je me levais ou m'?tendais... Je voyais sur la mer ces moutons et ces flocons que les appartements rendent le matin, gloire des femmes de m?nage. Au-dessus de ces ?chafaudages invisibles que sans rel?che b?tissaient les singes pour repeindre devant les cocotiers une invisible fa?ade, avec leurs clameurs quand tombait une planche invisible, prise dans le filet que tra?aient autour de moi martres, bigans et h?rissons, les oiseaux-mouches heurtant des sphinx, qui mod?raient leurs h?lices puis rebondissaient vers le ciel... toute l'?le travaillant pour moi comme un chantier... c'est alors qu'eut lieu le tremblement de terre...
Le soir, quand tout fut calm?, quand je n'ignorai plus, pour les avoir vus ?perdus, aucun des animaux de l'?le, quand les singes attir?s par la lune d'un arbre se pench?rent vers la mer, glapissant lorsqu'un singe p?le tendait de l'eau la main vers le plus hardi d'entre eux, quand les antilopes s'endormirent d'?puisement, agenouill?es, quand les familles d'?cureuils chass?s des troncs d'arbre erraient encore, couchant enfin chez des oiseaux, quand la mer, toute la journ?e secou?e et battue, fut saisie aux quatre angles et tir?e, tendue ? craquer; quand le jet d'eau de la source d'eau chaude baissa peu ? peu; ? l'heure en somme o? j'aurais d? ?tre expuls?e de ce jardin public, alors mourut la guenon.
Alors cette ?le ennemie, dont les petits ?-coups terribles n'avaient pu me d?sar?onner, accroch?e que j'?tais ? tous ses ar?ons, aux lianes, aux racines, voulut se venger d?s le lendemain en m'humiliant, et en m'offrant, jou?e par des animaux grotesques, la revue des deux grands jeux humains, que jamais je n'avais vue jou?e par des hommes m?me, l'amour avec des tatous, la mort avec une guenon. Au milieu d'une clairi?re ronde pour l'amour, sur un rivage ouvert pour la mort, avec toutes les pr?cautions de clart? et d'?vidence de la nature quand elle veut gagner au mat?rialisme un acad?micien, je vis les tatous s'aimer, la guenon mourir. Mais du moins la guenon mima en grande actrice ce qu'est en Europe la mort d'un ami d'un jour. Les amis d'un jour qui meurent le soir, relient dans leur esprit leur mort et votre rencontre, croient mourir de cette derni?re, vous pardonnent. Ils vous montrent du doigt la place o? ils souffrent... Ils acceptent la banane avec enthousiasme, la laissent tomber en fr?missant de d?go?t, embrassent votre main... Ils cherchent par contenance de petits poux sur votre grand bras nu et lisse... vous supplient on ne sait de quoi, de leur donner vite un nom, de ne pas les laisser mourir sans avoir du moins, une minute, un nom; ils pleurent... Cette souffrance que les draps l?-bas cachent et qui s'amasse sur leur t?te, je la vis s'emparer du corps entier de la guenon comme une cigu?, ses pieds devinrent froids, puis ses genoux, ses mains firent le geste de plumer un oiseau, elle sacrifia un perroquet ? son dieu des m?decines, et, mourut, guenon, de la plus grande mort...
Les traces du naufrag? qui m'avait pr?c?d?e dans cette ?le ?taient ?videmment du m?me homme, mais les unes semblaient dater d'hier et les autres semblaient centenaires. Des pics, des crochets portaient cent ans de rouille, mais ? certains mouvements des antilopes je croyais voir qu'elles avaient jadis ?t? caress?es. Un des singes donnait l'impression qu'il avait ?t? battu, un autre d'avoir ?t? humili?. Tout ce que cet homme avait voulu cr?er en mat?riaux imp?rissables, sa maison de troncs d'arbre, son hangar de marbre, je le trouvais d?j? mang? de mousse ou ?croul?... mais les deux fossettes d'amiti? et de crainte imprim?es sur deux coeurs d'animaux ?taient encore visibles. Sur quelques plantes aussi marquait sa marque: les herbes parasites respectaient au centre de l'?le un enclos pel?, respectaient trois vieux ?pis, et les tiges de tournesols, pendant que leurs figures n'ob?issaient qu'au soleil, ?taient plant?es suivant une ordonnance qui ob?issait d'abord ? un humain. Pas une femme s?rement, car il s'?tait ent?t? aux besognes pauvres qu'on assigne ? l'?nergie et au sexe fort dans les ?les d?sertes: ici, o? tout est abondance en fruits et en coquillages, il avait d?frich? et sem? du seigle; ici, pr?s de deux grottes chaudes la nuit et fra?ches le jour, il avait coup? des madriers et b?ti une hutte; ici, o? l'on apprend ? grimper en deux heures, il avait construit des ?chelles, des vingtaines d'?chelles rang?es au fond d'un vallon comme les veilles d'assaut ou de cueillettes des olives; ici, o? les ruisseaux coulaient ? vitesse diff?rente pour ?tancher les soifs les plus diverses, il avait amen? des conduites en bambou jusqu'? sa case; ici, o? partout ?tait la mer, il y avait une petite piscine en ciment, un tub; ici, o? la nuit s'?gale au jour, o? le soleil d'un jeu r?gulier avec l'?quateur joue ? la corde, il y avait des cadrans solaires sur chaque pierre plate et un vieux squelette de pendule en ressorts ? boudins... Sur le rocher qui dominait la mer, ?tait grav? un m?tre s?par? en d?cim?tres... Le Pacifique pouvait m?me s'y mesurer au millim?tre. Comme une femme qui succ?de dans une chambre d'h?tel ? un homme qui y fuma, j'eus le besoin d'a?rer cette ?le, de jeter sur le banc de pierre, sur la chaise en bambous quelques ?crans de pleureuses et quelques divans de plumes. L? o? tout est solitude et bont?, il y avait grav? en latin sur la grotte: M?fie-toi de toi-m?me. On y voyait aussi, dans un petit clos pris sur les champs d'orchid?es, des fleurs mis?rables, des zinias, des balsamines... Pr?s du tub, je trouvai un sou italien.
Un sou n'est pas grand'chose, surtout pour qui vient de d?couvrir un tr?sor, mais qu'il f?t italien, mais que ce f?t ce sou qu'on me refusait enfant dans les p?tisseries, et que les vagabonds n'acceptaient que s'ils allaient vers le Sud, j'en fus atterr?e. Car j'avais imagin? un Irlandais, un Su?dois seul dans une ?le, mais le dernier de tous, apr?s le Belge, apr?s le Luxembourgeois, un Italien... Jamais ma propre d?tresse, ma solitude ne fut claire comme ? cette minute o? je vis un Italien ? ma place. Ce mot de solitude, supportable si juste avec son sens ?cossais ou danois, me fut d?coch? soudain d'Italie m?me et de sa capitale. Tout ce que la solitude italienne tient de villas, de terrasses, de feux d'artifice et de foule, avec les roulements des chariots; avec les vignes d'o? les vendangeuses tout ? l'heure invisibles se rel?vent ? la fois quand vous passez; avec, supr?me solitude, dans un ciel tout bleu, un cur? sous un aqueduc qui tend la main pour voir si l'eau traverse et goutte; et la solitude des conciles; et le pape, presque seul aussi dans son ?le, et enfin les grands jardins o? l'on serait seul, si l'on n'?tait justement avec la solitude comme avec un autre que soi; la vision m'en fit comprendre que, si j'avais support? mon ?le, c'est que justement tout ce qui ?tait italien en moi, j'avais eu la force de me le cacher. J'avais soudoy? de nacre, pour qu'elles ne me hantent pas, les terrasses d'onyx et d'alb?tre; j'avais soudoy? de corail les marais pontins et le Rialto; de fruits rouges gros comme des citrouilles et d'orchid?es les cypr?s, les piments et les roses. Solitudes latines qu'h?las je d?couvris gr?ce ? ce sou, et sans les avoir connues; enfant que je n'avais pas eu et dont je retrouvais pourtant les v?tements et les jouets. Solitude portugaise, avec des pampres au nord si ?pais sur les routes que les enfants y font des trous pour voir les a?roplanes, et Cintra, o? les vautours, conscients eux de l'altitude, tournoient ? dix m?tres au-dessus des hommes, qui se croient toujours au niveau de la mer; avec le bruit des fontaines parfois assourdi, quand une femme ?tend devant le jet son pied nu. Solitude espagnole, avec un grand sol en pierre sur lequel de petites taches de velours et de soie se prom?nent, qui sont les hommes et les femmes, un grand silence de Dieu avec de petits points tendres et amers, qui sont les guitares et mandolines! Comme on juge un poison sur un ?tre plus faible, de l'absinthe sur un l?zard, de l'opium sur une chatte, je versai une seconde cette solitude de l'?quateur dans deux grands yeux italiens tendus au-dessous de moi comme pour recevoir un collyre... Et je vis mon Italienne bl?mir, mourir! Une Florentine seule sur un r?cif, m?me proche de l'Italie; une Napolitaine seule en Sicile, une Corse, seule, toute seule dans l'?le d'Elbe, quelle piti?, alors que de chacune des Touamotou, des Nouvelles H?brides et des Bahamas, une Anglaise en chandail jaillissait au moindre appel!
Rien ne prouvait d'ailleurs que le naufrag? f?t bien Italien. J'allais ? la recherche d'autres indices, aussi acharn?e ? identifier cet anc?tre que si c'?tait le mien et que si les hommes se reproduisaient par marcottage, quelques g?n?rations apr?s leur mort, sans interm?diaires palpables. C'?tait un marin, on le voyait ? de petites ancres grav?es sur les ?corces et les pierres; c'?tait un homme qui avait quitt? l'?le, y ?tait revenu, on le voyait aux b?tes dont la pr?sence ne s'expliquait que par voyages dans d'autres continents: il y avait des fourmiliers, mais pas une seule fourmi, et ils mangeaient les ?corces et les feuilles comme l'eussent fait les fourmis m?mes. Il y avait des mangoustes, mais pas un seul serpent, et elles se vengeaient sur la seule chose commune aux autres esp?ces et aux serpents, sur les oeufs. Je trouvai quelques ossements d'animaux venus dans l'?le d?j? vieux, ou isol?s et sans femelle ou m?le, un chien, un chat, esp?ces ?teintes pour moi d?sormais, esp?ces ancestrales. C'?tait tout. A part les dix centimes italiens, que je glissai dans une fente de corail comme pour que toute la mer se m?t ? jouer une marche,--l'appareil ne fonctionnait plus, la mer se taisait,--pas d'autres signes que les ancres, distendues ou chavir?es sur les ?corces, intactes sur les roches, qu'il avait jet?es sans arr?t comme dans une temp?te, et qui r?sistaient, mordant aux acajous, aux amboines, sans voir qu'il ?tait parti. En vain essayais-je d'obtenir quelque preuve de l'antilope aux caresses, lui disant des noms italiens, lui parlant avec l'accent v?nitien, l'accent romain... La nuit d?j? revenait... J'?levais mes bras pour b?iller, et les singes me lan?aient, croyant qu'on comble ainsi le sac humain, les fruits qui croissent le plus haut. De l'autre ?le, mes oiseaux apprivois?s me faisaient leur derni?re visite de ce jour, oies et canards suivant le courant ? cause des poissons, tous les autres volant tout droit.
J'avais r?solu de nager aussi jusqu'? la troisi?me ?le, malgr? son aspect. A sept ou huit encablures, inculte comme un cuirass?, elle surveillait ses deux soeurs. Pas un arbre. Le vent soufflait sur elle les pollens par cuiller?es, les duvets de tournesols par quarterons, et ces oiseaux ? bec long par qui se marient les pal?tuviers, et ces insectes gonfl?s de graines de fraisiers qui remplacent en Polyn?sie le marcottage, mais on la sentait st?rile. Elle n'avait pas non plus sa bague, ses r?cifs, n?gresse pr?s des deux favorites, ?pouse ill?gitime du Pacifique, et je n'?tais pas sans inqui?tude sur l'abordage. A mesure que je nageais vers elle, j'avais d?j? assez l'instinct de la mer pour sentir les poissons de moins en moins nombreux. Je traversais des zones d'un liquide qui me supportait ? peine, et qui devait ?tre du p?trole, puisqu'en sortant de l'eau, je vis mes tatouages ? demi effac?s. Je longeai une heure enti?re une falaise ? pic et qui devait ?tre en pierre ponce, puisque mon c?t? gauche, pour l'avoir effleur? trois fois, redevint blanc comme en Europe; et par un escalier, un vrai escalier en pas de vis comme ceux qui m?nent chez nous dans les caves, je montai, avec l'impression de m'enfoncer, sur la pointe des pieds et les coudes au corps, me gardant de petites sources qui devaient ?tre des acides. C'est du dernier escalier que je vis les dieux... Ils ?taient align?s par centaines comme des menhirs; hautes de cinq, de dix, de quinze m?tres, d'?normes t?tes contemplaient ma t?te encore au ras du sol, avec des nez tout fronc?s comme si tous m'avaient d?j? senti monter, des yeux caves dont les plus proches de moi pleuraient de petites larmes s?ches qui ?taient des souris effray?es; tous surpris dans une op?ration silencieuse, dont il m'avait sembl? surprendre les miroitements, les scintillements. Mais je me sentais rassur?e, de n'avoir touch? leur ?le que de mes orteils. Je gravis les derni?res marches.
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